Tunisie : Kaïs Saïed annonce sa feuille de route, la question économique passe à la trappe
Consultations électroniques, élections législatives, nouvelle Constitution… Le point sur les annonces présidentielles.
L’annonce de mesures clés pour baliser la prochaine étape politique était attendue le 17 décembre à l’occasion de la commémoration de la révolution, dont le président de la République a décidé qu’elle n’aurait plus lieu le 14 janvier. Mais Kaïs Saïed a pris tout le monde de court et a déroulé, sans l’avoir annoncé, sa feuille de route le 13 décembre, en début de soirée.
Le 17 décembre 2022 auront lieu les législatives, conformément au système adopté
Il a ainsi décidé de dévoiler le calendrier du changement constitutionnel qu’il compte opérer. De janvier à mars 2022 auront lieu les consultations, populaires directes ou par voie électronique, qui complèteront les travaux d’un comité d’experts pour la rédaction d’une nouvelle Constitution basée sur une autre organisation des pouvoirs assortie d’une loi électorale ad hoc.
Changement de cap
Le 25 juillet 2022, un an après que Kaïs Saïed a suspendu l’Assemblée et s’est arrogé tous les pouvoirs, se tiendra un référendum destiné à valider l’adoption de la loi fondamentale. Quant aux législatives, elles se tiendront le 17 décembre 2022 conformément au système adopté. Entre temps, la justice sera assainie et un décret d’amnistie judiciaire exigera des contrevenants qu’ils réalisent des projets au profit du peuple dans les régions.
Attendue depuis le 25 juillet 2021, la feuille de route de Kaïs Saïed est sans surprise, puisqu’il en avait exposé l’essentiel au fil de ses interventions. Beaucoup estiment qu’il opère là un nouveau passage en force en imposant des mesures et un changement de cap politique à 180 degrés sans avoir consulté les Tunisiens.
Malentendu
L’opinion s’attendait en outre à des décisions d’une autre nature, allant de la dissolution de l’Assemblée à celle de partis politiques comme Ennahdha en passant par celle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). En lieu et place de ces mesures, les Tunisiens ont vu la Constitution suspendue et le système politique entièrement refondé.
Certains ont vu dans le timing de l’annonce l’effet de la déclaration du G7, le 10 décembre, qui pressait Kaïs Saïed d’expliciter ses objectifs et préconisait « un retour rapide au fonctionnement des institutions démocratiques avec un parlement élu jouant un rôle significatif ». Mais le locataire de Carthage estime que ces interventions de la communauté internationale relèvent d’une forme d’ingérence.
Les Tunisiens sont préoccupés par l’inflation galopante, la montée du chômage et l’état des finances publiques
Grande absente des annonces du président, l’urgence économique et sociale. « Tous les indicateurs pointent une explosion sociale ! » a mis en garde le politologue Maher Hanin, le 12 décembre, en marge du Congrès du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Loin de nourrir un grand intérêt pour les arguties juridiques et institutionnelles, les Tunisiens sont surtout préoccupés par l’inflation galopante, la montée du chômage et de l’insécurité, et par l’état des finances publiques.
Zones d’ombre
« Comment allons-nous tenir encore un an dans un tel flou politique et avec autant d’approximations ? Est-ce si difficile d’anticiper, voire de devancer les besoins des Tunisiens ? » tempête un citoyen perdu dans les réformes institutionnelles.
Sans oublier que le projet institutionnel de Kaïs Saïed comporte des zones d’ombre. Qu’en sera-t-il des instances constitutionnelles comme l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) ? Comment se dérouleront les consultations électroniques ?
Hier soir, contrairement au 25 juillet, aucune explosion de joie n’a suivi le discours du président
Qui supervisera ces instance, ainsi que les réunions consultatives ? Le texte de la Constitution fera-t-il l’objet d’une campagne explicative ?
Le président compte « faire payer les traîtres et les corrompus », mais qui jugera qui cela concerne et que comportera son projet de conciliation judiciaire ? Autant de questions qui exigent des réponses rapides en signe de bonne foi et de maîtrise du projet de refonte politique. « Il n’a échappé à personne qu’hier soir, contrairement au 25 juillet, aucune explosion de joie n’a suivi le discours du président », relève un pharmacien du quartier Ennasr.
La liesse populaire n’était pas au rendez-vous mais les critiques ont fusé sur la mise à l’écart des cercles politiques par Kaïs Saïed et sa propension à agir seul. « Je suis l’État, je suis le président, je suis le gouvernement, je suis le Parlement, je suis la justice, je suis le peuple, je suis le prophète infaillible, et quiconque me critique ou s’oppose à moi est soit un avide, soit un menteur, un traître, un voleur, un agent ou un ignorant », résume de manière lapidaire sur les réseaux sociaux Hichem Ajbouni, du Courant démocrate.
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