Abdel Raouf Dafri

Fils d’immigrés algériens, le scénariste de La Commune, série française sur la banlieue parisienne diffusée par Canal +, est devenu une référence dans la profession. Et séduit les producteurs américains.

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

Il arrive au rendez-vous avec quelques exemplaires de Jeune Afrique, un magazine qu’il « achète régulièrement » et qu’il « aime bien ». Abdel Raouf Dafri, le scénariste de La Commune, une série façon western sur la banlieue, ses habitants et ses drames, diffusée sur la chaîne française Canal +, est un homme qui n’est jamais là où on l’attend. Né il y a quarante-trois ans dans le nord de la France, ce fils d’immigrés algériens a lentement mais sûrement gravi les échelons pour devenir l’un des scénaristes les plus en vue de l’Hexagone. Qui l’eût cru de cet ex-ouvrier qui, dès l’âge de 16 ans, pointait comme chaudronnier-soudeur à l’usine ? Dafri n’y restera pas longtemps. Grâce à sa tchatche d’« Italien du Maghreb » et à quelques « bonnes rencontres », il est successivement animateur en grande surface et à la radio de la Voix du Nord, puis enfin reporter à France 3 Lille avant de se retrouver au chômage à la fin des années 1990. Devenu RMiste, il écrit ses premiers scénarios, notamment celui de La Commune, essuie des refus successifs avant de croiser le chemin de Thomas Langmann, le réalisateur des deux futurs volets consacrés à la vie de Jacques Mesrine au cinéma, dont Dafri écrit le scénario. Aujourd’hui, courtisé par les Américains, il s’apprête aussi à écrire la saison 2 de La Commune. Rencontre avec un homme qui n’a pas fini de surprendre.

Jeune Afrique : Comment l’idée de cette série vous est-elle venue ?
Abdel Raouf Dafri : Si j’ai été indéniablement inspiré par l’un de mes films préférés, Il était une fois en Amérique, de Sergio Leone, où d’anciens amis d’enfance prennent des chemins complètement opposés, j’ai surtout voulu faire un film où il y a des Noirs, des Arabes qui prennent en main leur destin. Des gens qui n’ont pas besoin d’un conseiller d’éducation blanc pour les aider à trouver la route. Gandhi disait : « Il vaut mieux être les propriétaires de sa misère et se dépatouiller dedans, que d’être dans un confort asservi. » J’adhère complètement à cela, car autrement, c’est comme si je laissais quelqu’un régenter ma vie de couple. Attention, cela ne veut pas dire que je suis en guerre contre la France ! Mais on a trop longtemps dépossédé les Maghrébins et les Subsahariens de leur pouvoir de décision.

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Vous avez vous-même longtemps vécu dans une cité du Nord. Votre propre expérience vous a-t-elle inspiré dans l’écriture du scénario ?
Ce qui m’intéressait ce n’était pas de décrire une série ethnique à la Spike Lee, mais de montrer des individus dans leur pluralité ethnique qui ne sont ni des victimes ni des bourreaux, mais juste des citoyens français qui sont en désespérance et qui vivent avec les moyens que la République leur a laissés. Des gens dont la trajectoire de vie est la chute libre. J’ai écrit cette série lorsque j’étais RMiste, alors je sais bien de quoi je parle.

Vous dites : il faut plonger les doigts dans la plaie de la société française et trifouiller pour en sortir les tripes. Pourquoi voulez-vous appuyer là où ça fait mal ?
Ce sont les lignes de fracture de la société française qui m’intéressent. Il est clair qu’il y a un problème et je veux savoir pourquoi ça ne va pas. Je me souviens de Sarkozy disant pendant la campagne présidentielle : « L’être humain n’est pas une marchandise comme les autres. » On en conclut que l’être humain est juste une marchandise. À partir de là, quand l’être humain n’est plus une fin en soi mais un moyen, eh bien qu’est-ce qu’on a comme comportements déviants ? La Commune parle de ces comportements déviants. On n’a plus d’amis, on a juste des complices. Mon ambition est de mélanger le spectacle et la réflexion, à la manière des Américains. Ce n’est pas un problème de Blancs, d’Arabes ou de Noirs, mais juste un problème d’humains qui cherchent à vivre par tous les moyens.

Vous dites que vous voulez raconter la société française et en même temps vous déclarez que le boulot de scénariste est un boulot d’escroc. Où est la vérité ?
La vérité et la morale, c’est le job des curés. Le mien, c’est de raconter un mensonge super plaisant et désagréable à regarder. En clair, c’est comme essayer de séduire une fille sans lui faire de promesses que je ne pourrais pas tenir. Ce n’est jamais que de la fiction, même si ce n’est pas rassurant. Nous les scénaristes sommes un peu comme des inspecteurs de travaux finis : on vient pour constater les dégâts. J’ai un regard qui est tout sauf affectueux.

Encore une fois Canal + innove en lançant cette série qui décoiffe. Les chaînes dites classiques comme TF1 finiront-elles par se montrer moins frileuses un jour ?
Je ne pense pas qu’une chaîne généraliste comme TF1 soit prête à diffuser une fiction de ce genre, à moins qu’elle ne soit un jour économiquement à terre. Elle ne le fera en tout cas pas par amour de l’art mais par instinct de survie, sans doute le jour où elle n’arrivera plus à vendre ses produits.

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Vous êtes par ailleurs le scénariste de deux volets à gros budget consacrés à Jacques Mesrine, en salles en 2008. Comment vous, le gars des cités, vous êtes-vous retrouvés à la tête d’un tel projet ?
À l’époque, Thomas Langmann n’avait en sa possession que deux scénarios si piètres que même Vincent Cassel, alors pressenti pour interpréter Mesrine, avait renoncé au rôle. C’est lorsqu’il a lu l’un de mes textes qui sera le prochain film de Jacques Audiard qu’il s’est dit : « Ce mec-là il va pouvoir m’écrire Mesrine. » On s’est rencontrés, le courant est passé et je me suis permis de lui dire que je n’écrirais le scénario que si Vincent Cassel jouait dans le film. Petit problème, Cassel ne voulait plus le faire. J’ai alors demandé à le rencontrer pour lui exposer ma vision du film et il m’a dit : « Ta vision m’intéresse, maintenant il ne reste plus qu’à lire ton texte. » J’ai donc écrit le premier scénario en m’inspirant de L’Instinct de mort, le roman autobiographique de Jacques Mesrine, et d’une tonne de documents. J’ai passé un mois à lire toutes les archives sur Mesrine, car ce qui m’intéressait, c’était l’être humain, pas la légende. Je voulais également faire une photographie de la société française à partir du parcours de ce type-là. Le premier scénario ayant plu à tout le monde, je me suis attelé au second, qui a également remporté l’adhésion.

N’avez-vous pas, par moments, l’impression de vivre un rêve éveillé, vous l’ancien RMiste ?
Effectivement. Tout s’enchaîne à présent, car outre La Commune et Mesrine, il y a aussi Le Prophète, le prochain film de Jacques Audiard qui sera tourné l’année prochaine. C’est d’ailleurs grâce au Prophète, qui a été lu par un studio outre-Atlantique, que j’ai été contacté par les Américains pour écrire un scénario sur un trafic de drogue au Maroc. Je leur ai envoyé les dix premières pages de l’histoire et ils ont adoré la dimension épique.

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Pensez-vous vous lancer un jour dans un registre plus léger, la comédie par exemple ?
J’aime voir les gens poussés aux extrêmes. Pierre Desproges disait : « Un type qui glisse sur une peau de banane, c’est drôle. Mais ce qui est encore plus drôle, c’est s’il meurt. »

Espérez-vous vendre votre série à l’étranger ?
Je l’espère. Ce serait formidable de la vendre à l’Angleterre, car les Américains ont déjà leur lot de violences. Je pense aussi à l’Italie et à l’Espagne où il y a beaucoup de Marocains, des banlieues, et donc des problèmes.
Vous dites : « Je ne suis militant de rien, je montre juste une lutte pour la survie de gens qui n’ont pas de thunes. » À propos de thunes, le métier de scénariste rapporte-t-il ?
Pour ça oui. Je gagne super bien ma vie. Je n’ai aucun souci pour les cinq ou six années à venir. Quand j’ai signé le dernier chèque des impôts, moi l’ancien RMiste qui touchais 300 euros par mois, je n’ai pu m’empêcher de dire « waouh ! ». Aujourd’hui, le fils d’analphabètes algériens, aîné d’une famille de sept enfants, est le scénariste français le mieux payé sur la place parisienne et il a signé avec les Ricains

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