Trafiquants de préhistoire

Cinq touristes allemands accusés d’avoir dérobé des pièces archéologiques dans le Parc national du Tassili ont été condamnés à des peines d’emprisonnement.

Publié le 7 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Les cinq ressortissants allemands arrêtés le 20 novembre à Djanet, dans le Sud algérien, en possession de plusieurs pièces archéologiques datant du néolithique étaient-ils de simples touristes ou des pillards déguisés ? Le tribunal de cette même ville, devant lequel les prévenus ont comparu le 29 novembre, a tranché en prononçant des peines de trois mois de prison ferme, assorties de fortes amendes. « Mes clients ne sont pas des malfaiteurs, mais des touristes en quête d’aventure. Les autorités judiciaires ont voulu faire un exemple », regrette Me Adnane Bouchaïb, leur avocat.
Il est certain que, résolus à s’attaquer au problème du pillage des sites archéologiques sahariens, les responsables algériens entendent se servir de cette affaire pour lancer un avertissement aux trafiquants, en ce début de saison touristique. « Nous comptons lui donner le maximum d’écho, tant au niveau national qu’international, pour éviter le renouvellement de telles pratiques », confirme le dirigeant d’un office de tourisme. Soit, mais quels sont exactement les faits reprochés aux condamnés ?
Jeudi 11 novembre, venant de Tunisie, les cinq Allemands se présentent au poste frontière de Tayeb Larbi, dans la wilaya (département) d’El-Oued, dans l’extrême Sud-Est algérien. Conformément à la réglementation en vigueur, ils prennent contact avec une agence agréée, signent un contrat et sont pris en charge par un guide assermenté. Les formalités expédiées, la petite troupe s’enfonce dans le désert et, le 14 novembre, débarque à Djanet, une oasis très prisée des touristes occidentaux. Après deux jours de villégiature, ils faussent compagnie à leur guide et s’évanouissent dans la nature. Plus d’accompagnateur, plus de surveillance : le groupe pénètre en toute quiétude dans le Parc national du Tassili, une sorte de musée à ciel ouvert de 80 000 m2 classé par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’humanité : il regorge de gravures et de peintures rupestres, mais aussi de vestiges de l’activité humaine datant de la période néolithique (5 000-2 500 av. J.-C.). Toutes pièces d’une grande valeur, bien sûr.
Propriétaire d’une agence spécialisée dans la collecte et la revente d’objets archéologiques, Ernest Heilmelier (53 ans), le chef du groupe, a déjà fait plusieurs séjours en Algérie. En a-t-il profité pour se rendre à Djanet et se livrer au pillage et au trafic ? Nombre de professionnels du tourisme en sont convaincus.
Samedi 20 novembre, coup de théâtre. Le quotidien arabophone El-Khabar annonce à la une la disparition des cinq Allemands. Très vite, la thèse d’un enlèvement par des terroristes islamistes est évoquée. Il faut dire qu’en février 2003, presque au même endroit, trente-deux touristes, en majorité allemands, avaient été kidnappés par un groupe armé lié à al-Qaïda. L’armée algérienne avait finalement donné l’assaut et libéré une partie d’entre eux. Les autres avaient été exfiltrés vers le Mali, puis relâchés après le versement d’une rançon de 5 millions d’euros. Il y a quelques semaines, le chef du commando, Abderrezak el-Para, « émir » du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), a été extradé vers l’Algérie par les autorités libyennes.
Cette dramatique prise d’otages ayant fait grand bruit dans la presse internationale, l’image du pays en avait quelque peu pâti. Et le tourisme saharien en avait été sévèrement affecté. Pas question de renouveler l’expérience… Le 20 novembre, Kara Mohamed Seghir, le ministre du Tourisme, exclut formellement la piste de l’enlèvement. « L’État, déclare-t-il, assure parfaitement la sécurité des touristes qui visitent le Sud algérien. » De gros moyens sont mobilisés pour retrouver les disparus sains et saufs. Dans la soirée du samedi 20 novembre, les cinq Allemands sont localisés dans le Parc national du Tassili et interceptés. Dans leurs bagages et leurs véhicules, les enquêteurs découvrent trente et un échantillons géologiques et cent treize objets datant du néolithique : oeufs d’autruche, pilons, molettes, flèches, meules, etc. Un vrai trésor…
Il vaut savoir que des pièces de ce type peuvent valoir jusqu’à 5 000 euros sur les marchés européen et américain. « Nous avons découvert que, via Internet, des commanditaires peu scrupuleux proposent des voyages de rêve à des aventuriers, qu’ils chargent, en échange, de dérober quelques précieux objets archéologiques », explique Sid-Ahmed Kerzabi, le vice-président de l’Association des amis du Tassili. Selon un chercheur algérien, il existerait actuellement 524 sites spécialisés dans ce commerce illégal.
La richesse du patrimoine algérien attise naturellement les convoitises. Hélas ! la surveillance de ce territoire aussi vaste que le France relève presque de la mission impossible compte tenu de la faiblesse des moyens affectés à cette tâche : trois automobiles en tout et pour tout. D’autant que le retour progressif des touristes, qui ont longtemps boudé le désert par crainte du terrorisme, complique un peu plus les choses. Ancienne directrice du Parc national du Tassili, l’archéologue Malika Hachid s’en désole : « Nous ne disposons d’aucun hélicoptère, et les salariés du Parc n’ont même pas de statut. Nous avons besoin de l’aide de tous », dit-elle. Une brigade spécialisée dans la protection du patrimoine culturel et archéologique du Sud a bien été mise en place, mais son domaine d’intervention est des plus réduits. Pour décourager les prédateurs, les autorités ont donc choisi de traduire en justice ceux – ils sont malheureusement bien peu nombreux – qui sont pris la main dans le sac. En espérant un effet dissuasif.

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