Tension à la frontière

Kigali s’impatiente de voir désarmés les combattants hutus installés sur le territoire de son voisin. Et menace de s’en charger lui-même. Au risque de mettre le feu aux poudres.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Assiste-t-on à une reprise des hostilités entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) ? C’est pourtant entre ces deux pays que la tension est au plus haut. Le président rwandais Paul Kagamé a confirmé à plusieurs reprises, devant le Sénat de son pays le 30 novembre 2004, qu’il allait « venir à bout » des extrémistes hutus rwandais réfugiés dans l’est de la RDC. Plusieurs milliers de soldats rwandais pourraient déjà être infiltrés en RDC, des mouvements de troupes ayant été signalés près de Masisi (Nord-Kivu) et Bunia (Ituri). De son côté, le ministre de la Coopération régionale Mbusa Nyamwisi a déclaré l’envoi de quelque 10 000 soldats dans la zone. La Mission des Nations unies au Congo (Monuc), qui vient d’être renforcée mais dont le mandat se borne au maintien de la paix, est sur les dents.
Pourtant, d’énormes efforts diplomatiques ont été déployés, notamment en marge du Sommet de la Francophonie, les 26 et 27 novembre à Ouagadougou, par le chef de l’État nigérian Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’Union africaine. Aidé de son homologue français Jacques Chirac et du Premier ministre belge Guy Verhofstadt, il a, une fois encore, mis en présence Paul Kagamé et Joseph Kabila, de RDC, le 26 novembre. Deux jours plus tôt, alors qu’il était en visite officielle à Dakar, Kagamé s’en était pris violemment aux rébellions armées composées de hutus d’origine rwandaise. « Nous avons affaire à eux depuis 1994 [date du génocide au Rwanda]. Nous en avons appelé à la communauté internationale et à la RDC pour les neutraliser, en vain. Le moment venu, nous allons nous en occuper. Nous avons déjà repéré leurs bases », a-t-il déclaré.
En quelques phrases, le président rwandais venait de faire voler en éclats la déclaration adoptée par quatorze chefs d’État à Dar es-Salaam, la capitale économique tanzanienne, le 20 novembre, en clôture de la conférence des Grands Lacs. L’annonce était-elle trop ambitieuse ? Il s’agissait de transformer, à terme, la région en un « espace de paix et de sécurité durable ». Au cours de ces dix dernières années, les conflits se sont multipliés en Afrique centrale, et les victimes se comptent par millions. Vaste chantier donc, nécessitant des moyens financiers et humains considérables.
Le président tanzanien, Benjamin Mkapa, a donc plaidé en faveur d’un droit d’ingérence dans les affaires d’un pays pour parvenir à cette « paix durable ». Parole hâtive, peut-être, mais qui s’appuie sur les termes du texte cosigné : celui-ci interdit désormais « tout soutien direct et indirect, toute livraison d’armes ou toute autre forme d’assistance aux groupes armés opérant dans la région » et leur défend « de mener, à partir de tout territoire, des actes d’agression ou de subversion contre d’autres États membres ».
Il n’en faut pas davantage à Paul Kagamé. Pour lui, le problème de la sécurité du Rwanda est loin d’être résolu. Aucun représentant de ce qu’il est convenu d’appeler les « forces négatives » n’a été associé à la conférence de Dar es-Salaam. Pas même les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), mouvement d’opposants armés installés dans l’est du Kivu. Ces derniers s’estiment pourtant « incontournables ». Ils ont d’ailleurs trouvé un bon moyen de le prouver : refuser tout désarmement. Or celui-ci a été programmé par la Monuc, sur la base du volontariat. Lors de leur passage, le 23 novembre, à Kigali, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont encore insisté sur cet aspect de la question. Ils estiment que seul un désarmement volontaire suivi du rapatriement des ex-combattants est susceptible de mettre un point final à l’instabilité entre le Rwanda et la RDC. Le président Kagamé reste incrédule. « Ces rebelles sont des extrémistes, leur demander de renoncer à l’objectif pour lequel ils se battent depuis dix ans est tout simplement irréaliste », a-t-il martelé. D’où son envie d’aller régler lui-même le problème.
À Ouagadougou, il s’est montré cependant sensible aux inquiétudes suscitées par ses propos. Il a donc repris à son compte une proposition déjà envisagée par Kinshasa, qui consiste à former des patrouilles conjointes, sous commandement congolais, pour sécuriser la zone. Mais Kabila, outré de ce qu’il comprend comme une menace d’invasion de son pays, n’a pas saisi la perche qui lui était tendue. Fort d’une expérience toute personnelle – il a dû attendre six ans pour que l’armée rwandaise, appelée en 1996 par son père Laurent-Désiré et dans laquelle lui-même a combattu, quitte le territoire -, il n’entend pas voir une seule botte de soldat rwandais franchir la frontière. Du bout des lèvres, il a seulement accepté qu’Olusegun Obasanjo continue sa médiation, vienne le voir à Kinshasa et opère une tournée régionale à la recherche d’une solution.

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