Guerre d’Algérie : « La question » d’Henri Alleg reposée sur les planches

Dans une pièce de théâtre mise en scène par Laurent Meininger, Stanislas Nordey redonne vie aux écrits du journaliste Henri Alleg. Une ode à la résistance et une dénonciation du recours à la torture.

Stanislas Nordey sur la scène du Théâtre des quartiers d’Ivry © Jean-Louis Fernandez

Stanislas Nordey sur la scène du Théâtre des quartiers d’Ivry © Jean-Louis Fernandez

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Publié le 16 décembre 2021 Lecture : 4 minutes.

« C’est aux « disparus » et à ceux qui, sûrs de leur cause, attendent sans frayeur la mort, à tous ceux qui ont connu les bourreaux et ne les ont pas craints, à tous ceux qui, face à la haine et la torture, répondent par la certitude de la paix prochaine et de l’amitié entre nos deux peuples [algérien et français] qu’il faut que l’on pense en lisant mon récit, car il pourrait être celui de chacun d’eux. » Ainsi se termine le premier chapitre de La Question, d’Henri Alleg. Ainsi résonne sa voix, portée par Stanislas Nordey, sur la scène du Théâtre des quartiers d’Ivry, près de Paris.

Maison des horreurs

La sobriété dans le récit des tortures subies par Alleg pendant un mois dans un immeuble désaffecté d’El-Biar, dans la banlieue d’Alger, on la retrouve dans le jeu du comédien et la mise en scène de Laurent Meininger. Elle fait entendre ce que l’écrivain François Mauriac avait appelé « le ton neutre de l’Histoire. » Pas besoin de mille effets pour vivre l’horreur des sévices : les coups, la gégène, les brûlures, le penthotal ou sérum de vérité, les menaces contre sa famille… Le supplicié décrit avec une précision clinique l’enchaînement des événements depuis son arrestation le 12 juin 1957 chez son ami et camarade du parti communiste Maurice Audin, qui ne reviendra jamais de cette maison des horreurs. On découvre la guerre telle qu’elle est.

Alleg est français, c’est pour ça qu’il a été entendu. S’il avait été algérien, son témoignage serait passé à la trappe

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Alleg évoque son propre cas mais il parle au nom de tous les autres, qu’il entend de sa cellule entre deux séances de torture. Des Français et des Musulmans, comme on les distinguait jadis. Selon Laurent Meininger, « Alleg est français, c’est pour ça qu’il a été entendu. S’il avait été algérien, son témoignage serait passé à la trappe. Alleg s’est exprimé pour les disparus. »

Et pour faire entendre leurs voix, il a employé le système D. Écrit sur du papier toilette, le manuscrit est recueilli par les membres du collectif des avocats communistes qui viennent lui rendre visite entre septembre et décembre 1957 à la prison de Barberousse. Sa parution en 1958 fait grand bruit. Ce sont les éditions de Minuit qui le publient. Son fondateur, Jérôme Lindon, s’était déjà illustré pour avoir publié des grands textes de résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.

Résistance à l’oppression

À la fois soutenu par des publications comme L’Humanité, France Observateur, L’Express et de grands intellectuels comme Mauriac et Sartre, le livre, au succès fulgurant, est saisi par les autorités françaises. Le système qu’il a dénoncé se met en branle pour le faire taire. Alleg, qui a éprouvé sa résistance physique face aux tortionnaires de l’armée française, se met à nouveau en danger pour défendre son texte jusqu’au bout. Il sera emprisonné en France pour reconstitution de ligue dissoute (le PC algérien) et atteinte à la sûreté de l’État.

« Alleg nous parle de comment on résiste à n’importe quelle forme d’oppression : en se levant, en tenant debout, en parlant, en ayant des idées, des convictions, des valeurs. C’est ce qu’il apporte, en plus d’un témoignage sur la guerre d’Algérie. »

 Il faut que les Français sachent ce qui se fait ici en leur nom

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La pièce, qui partira en tournée dans toute la France en 2022, a ainsi pour thème la résistance et, si elle reste d’actualité, c’est parce qu’elle fait vibrer une corde toujours sensible : « La société française est labourée par la guerre d’Algérie. De générations en générations, elle reste une cicatrice. Elle nous habite tous inconsciemment. Il n’y a pas une famille française dont un parent n’est pas allé là-bas la fleur au fusil en se disant : “il y a des événements en Algérie”. Ces gens se sont en fait retrouvés dans une guerre coloniale de domination où certains défendaient leur terre et d’autres voulaient en garder une qui n’était pas à eux. Ils sont tombés dans ce qu’on ne nommait pas mais qui était une guerre ».

C’est pour montrer cette cruelle vérité que Laurent Meininger a mis en scène ce texte : « Je suis tombé par hasard sur ce livre et je me suis dit : “c’est ça, la guerre”. On comprend vraiment, concrètement, jusqu’où les hommes peuvent aller ». La pièce se termine par un appel à la paix et à l’éveil des consciences : « Il faut que [les Français] sachent que les Algériens ne confondent par leurs tortionnaires avec le grand peuple de France, auprès duquel ils ont tant appris et dont l’amitié leur est si chère. Il faut qu’ils sachent pourtant ce qui se fait ici en leur nom. » Une ambition qui rejoint celle du metteur en scène : « Quand on se rend compte de ce qu’est la guerre, on réalise qu’il faut à tout prix l’éviter ».

Henri Alleg en 2007 © DESPATIN et GOBELI/Opale/Leemage

Henri Alleg en 2007 © DESPATIN et GOBELI/Opale/Leemage

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