Performances

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Ce n’est pas un jeu, c’est un véritable examen de passage. Je vous invite à y soumettre les dirigeants politiques qui vous intéressent, ou dont vous connaissez le parcours. Ils peuvent être encore vivants et en fonctions, ou bien n’être plus de ce monde mais après avoir laissé une trace.
Une fois soumis à cet « examen de passage », et pourvu qu’ils aient exercé le pouvoir assez longtemps, ils peuvent être classés dans l’une des trois catégories suivantes :
– ceux qui ont fait avancer leur pays politiquement, économiquement et culturellement ;
– ceux qui, au contraire, lui ont fait prendre du retard ;
– et, ceux, enfin, qui n’ont fait ni l’un ni l’autre, dont le passage à la direction de leur pays ne l’a fait ni progresser ni reculer : ils auront été ce qu’on appelle « une somme nulle » ou « un accident de l’Histoire ».

Nous pouvons avoir, les uns et les autres, une appréciation différente des performances de tel ou tel dirigeant, surtout lorsqu’il est encore en fonctions. Le jugement objectif ou impartial est plus aisé lorsqu’il s’agit de dirigeants disparus, plus particulièrement encore de ceux qui ont quitté la scène depuis assez longtemps pour que les historiens (qui ont besoin d’un délai de vingt-cinq à cinquante ans pour se prononcer) acceptent de donner leur avis.
Cela posé, passons de la théorie à son application, des généralités aux cas particuliers et osons citer des noms, passer en revue ce qu’a donné l’exercice du pouvoir politique au cours des dernières décennies, en Afrique et dans le monde.
Je me hasarde à vous soumettre mon palmarès, celui d’un observateur parmi d’autres, donc contestable. S’il vous aide à établir le vôtre, il aura joué son rôle.

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Il y a tout d’abord les très grands dirigeants : par leur mérite, et grâce aux circonstances, ils ont accédé au statut d’« historiques ».
Il s’agit de Winston Churchill, Charles de Gaulle, Franklin Delano Roosevelt ou Mao Zedong, dont le passage au pouvoir a coïncidé avec un grand moment de l’Histoire et qui ont pu, d’une certaine manière, peser sur le destin de leur pays, de leur continent, voire du monde : sans eux au pouvoir à ce moment-là, l’Histoire aurait été différente.
Ils ont été révélés à eux-mêmes, à leurs concitoyens et au monde par la guerre de 1939-1945 (dont le cours a été également infléchi – mais négativement – par la personnalité de deux autres « historiques » : Adolf Hitler et Joseph Staline).

La lutte des pays colonisés pour leur indépendance, qui est un autre affrontement planétaire, a révélé, à son tour, en Afrique comme en Asie, tout de suite après la fin de la Seconde Guerre mondiale, une pléiade d’autres personnages historiques. La plupart de ceux d’entre eux qui ont survécu à la lutte et exercé le pouvoir – le grand Ho Chi Minh n’a pas eu cette chance – ont grandement fait avancer leur pays et, dans certains cas, l’ont créé ou ressuscité. Viennent à l’esprit, sans que la liste soit exhaustive, les noms de Soekarno, Nehru, Bourguiba, Mohammed V, Senghor, Houphouët.
Je n’y inclus pas Boumedienne, parvenu au pouvoir par un coup d’État et dont la politique économique de « type bulgare » (de l’époque) a ruiné son pays. Ni Sékou Touré ni Nkrumah, dont les performances sont à mes yeux on ne peut plus négatives : en définitive et tout compte fait, tous les deux ont fait perdre du temps à leur pays.

Si l’on passe des années fondatrices des indépendances (les années 1950 et 1960) à une période plus récente, si l’on embrasse du regard l’ensemble de la planète, que voit-on ?
Qu’il y a désormais sur terre près de deux cents États, dont les trois quarts n’existent que depuis un demi-siècle et ne sont considérés comme tels que parce qu’ils sont membres des Nations unies. Il y a donc, en 2004, quelque deux cents chefs d’État contre une cinquantaine en 1954, et, de même que l’inflation grignote la valeur d’une monnaie, le nombre de plus en plus élevé de chefs d’État tire la valeur moyenne vers le bas : il y a donc parmi nos 190 à 200 chefs d’État beaucoup d’accidents de l’Histoire qui, de ce fait, sont… hors palmarès.
Nous ne nous intéresserons par conséquent qu’aux pays d’une certaine importance et qui ont une histoire. Nous chercherons à identifier les dirigeants actuels – ou très récents – de ces nations, qui ont gouverné assez longtemps et ont fait avancer leur pays, ou bien, à l’inverse, lui ont fait perdre un temps précieux.

Si je m’en tiens à ce qu’a été le Tiers Monde, je range parmi ceux qui ont fait avancer leur pays trois Asiatiques et quelques Africains. Vous verrez que ces derniers ont inventé le fonctionnement… en tandem.
Les Asiatiques
– Deng Xiao Ping pour la Chine : elle lui doit l’extraordinaire essor économique et la vraie renaissance politique qu’elle connaît depuis 1978.
– Lee Kwan Yew pour Singapour : cette cité pauvre est devenue, grâce à cet homme d’État, en moins d’un demi-siècle, une des dix nations les plus prospères du monde.
– Mahathir Bin Mohamad pour la Malaisie, qu’il a gouvernée vingt-deux ans et dont il a fait le plus avancé des pays musulmans.
Les Africains
– C’est à Léopold Sédar Senghor que revient le mérite du premier tandem africain. Au bout de vingt ans de pouvoir, il a distingué Abdou Diouf et lui a passé le relais.
Vingt ans plus tard, ce dernier s’inclinera devant le verdict du suffrage universel et laissera la place à Abdoulaye Wade, faisant ainsi du Sénégal la plus vieille démocratie africaine (près de cinquante ans).
– Alpha Oumar Konaré-Amadou Toumani Touré : au Mali voisin et tout de suite après, nous avons vu fonctionner un tandem différent et, d’une certaine manière, plus original. Là aussi, grâce à ces deux hommes d’État, la démocratie a eu droit de cité.
– Toujours en Afrique subsaharienne, mais beaucoup plus loin, le tandem formé par Nelson Mandela et son successeur Thabo Mbeki : ils ont libéré l’Afrique du Sud de l’apartheid à l’issue d’un combat épique et de longue haleine ; ils ont réussi à la maintenir, depuis plus de dix ans qu’ils la gouvernent, dans l’orbite du progrès et de la démocratie, une démocratie « arc-en-ciel » vivant dans la concorde à l’intérieur et en paix avec ses voisins.
– Tout au nord-est du continent, un dernier tandem, d’un genre encore différent, celui formé par Habib Bourguiba et son successeur Zine el-Abidine Ben Ali : le premier a libéré son pays du colonialisme sans faire la guerre et, par conséquent, (presque) sans pertes humaines ; il a éduqué son peuple, hommes et femmes, a libéré ces dernières d’une sujétion millénaire ; le second a commencé par sauver son pays de la menace islamiste, puis a poursuivi l’action de son prédécesseur et approfondi le même sillon ; il a donné à la Tunisie, en moins de vingt ans, une classe moyenne et a fait décoller son économie.
Le dernier Africain de mon palmarès est un homme seul, Abdelaziz Bouteflika, pour l’Algérie : il a hérité d’un pays en pleine guerre civile, vingt ans après l’avoir laissé en (assez) bonne santé. Il y a (presque) ramené la concorde et lui a redonné une place de choix dans le monde au cours d’un premier mandat. Son peuple lui a donné en 2004 un nouveau mandat, beaucoup plus large, mais lui a clairement indiqué qu’il attendait de lui beaucoup plus.

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Dès que l’on se met à chercher à identifier les dirigeants qui ont fait perdre du temps à leur pays, on tombe sur des Arabes (africains ou du Moyen-Orient).
J’en vois d’emblée au moins quatre (en réalité cinq) qui ont régné (ou règnent encore) sur leur pays. En vingt ou trente et quelques années de pouvoir absolu, chacun d’eux a fait régresser son pays et gâché ses atouts :
– Saddam Hussein pour l’Irak ;
– les Assad père et fils pour la Syrie ;
– Hosni Moubarak pour l’Égypte ;
– Mouammar Kadhafi pour la Libye.
Est-il utile de rappeler ce qu’ils ont fait pour mériter ce jugement ? Je pense que non.
D’autres dans la région ont fait aussi mal, voire pis. Mais les quatre pays victimes de la mauvaise performance des dirigeants cités, outre qu’ils rassemblent près de la moitié des Arabes, ont connu un passé glorieux, il y a bien longtemps, il est vrai, et sous d’autres dirigeants…

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