Moïse Koré

Un pasteur proche du président Gbagbo, au coeur des intrigues du pouvoir, suscite curiosité et interrogations. Portrait.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Autour de la table du dîner à la résidence présidentielle de Cocody, en cette soirée de fin novembre, le chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo, ses nièces, son chef de cabinet Kuyo Théa Narcisse, son ex-ministre d’État chargé de la Défense Moïse Lida Kouassi, mais aussi un invité resté silencieux tout au long du repas. Les convives partis, il reste, seul, dans la salle d’attente contiguë au bureau de Laurent Gbagbo, attendant d’être reçu. Cet homme secret est le pasteur Moïse Loussouko Koré, 48 ans, proche parmi les proches du numéro un ivoirien.
Silhouette robuste, visage massif, nez généreux, regard acéré, Koré dirige l’église Shekinah Glory Ministries (littéralement « Ministères de la gloire de Dieu », fondée en juin 1998 à Yopougon, dans la banlieue populaire d’Abidjan) qui revendique trois mille adeptes, dont Gbagbo.
Objet de curiosité pour plus d’un Ivoirien, cet ingénieur en télécommunications reconverti en « homme de Dieu » évite d’apparaître à la télévision, se fait rare dans les journaux, cultive le mystère, suscite des interrogations dans l’opinion et les médias… Cité dans l’affaire Guy André Kieffer (du nom de ce journaliste franco-canadien disparu mystérieusement à Abidjan le 16 avril 2004), soupçonné d’être au centre des achats d’armes du pouvoir ivoirien depuis l’éclatement de la rébellion en septembre 2002, présenté sous les traits d’un Raspoutine tropical, Koré est l’un des hommes les plus controversés du régime Gbagbo.
Moïse Koré naît en 1956 à Gagnoa, la région d’origine de Laurent Gbagbo. Issu de l’ethnie bété, comme le chef de l’État, il sort de l’école militaire de Bingerville avec un baccalauréat F2 (option électronique), en 1977.
Admis à l’Institut national supérieur d’enseignement technique (Inset), il décroche un DUT d’électronique en 1979, avant d’obtenir, trois ans plus tard, le diplôme d’ingénieur des télécommunications.
Sa carrière professionnelle le conduira d’un poste d’employé à la direction de la télé-informatique et des réseaux spécialisés en 1982, à celui de directeur régional de la société International télécommunications services (ITS), en 1989. Avec, sous son autorité, les filiales de cette multinationale au Mali, au Burkina, au Niger, au Togo, au Bénin et en Côte d’Ivoire.
Parallèlement, le futur pasteur, qui a décidément plusieurs vies, mène une carrière de basketteur international. Il remporte plusieurs trophées, dont la médaille d’or du championnat d’Afrique universitaire en 1978, à Nairobi, et le titre de champion d’Afrique de l’Ouest en 1985, à Dakar.
Au zénith de sa carrière, alors que les plus grandes entreprises de télécoms lui proposent des contrats alléchants pour le débaucher, il décide de tout arrêter et quitte ITS entretemps devenu Equant. « J’ai démissionné à la suite d’un appel du Seigneur qui m’a demandé de le servir », explique-t-il aujourd’hui. Il fonde Shekinah, avatar africain de la nébuleuse Four Square, église évangélique d’outre-Atlantique, et y applique la méthode des prédicateurs américains : harangues, miracles, transes, guérisons…
Le chemin du nouveau prophète des « âmes égarées » de Yopougon croise celui de Laurent Gbagbo en 1998. « Gbagbo m’a été révélé alors que j’étais en retraite spirituelle en forêt, non loin de Dabou, à l’ouest d’Abidjan, raconte-t-il. Je l’ai rencontré à ma sortie pour lui prédire qu’il sera président de la République. Grâce à Dieu, les circonstances que je lui avais indiquées seront exactement celles de son arrivée au pouvoir. »
Installé dans le fauteuil de Félix Houphouët-Boigny en octobre 2000, Gbagbo garde avec « son » pasteur des rapports qui vont considérablement se resserrer au lendemain du 19 septembre 2002.
Homme de réseau, connecté à des cadres militaires africains, pour la plupart ses promotionnaires à Bingerville, introduit dans les milieux d’affaires internationaux en raison de ses activités passées dans le cadre d’ITS, Moïse Koré s’impose de facto dans le « dispositif de guerre » du chef de l’État.
Dès les premiers jours de la crise, il passe par des amis en… Irak pour décrocher un rendez-vous avec le président angolais Eduardo Dos Santos, se rend discrètement à Luanda, négocie et obtient que la Côte d’Ivoire puisse acheter chars et munitions sur le stock de l’Angola chez des marchands d’armes. Puis il introduit auprès de Gbagbo un homme d’affaires libanais établi à Paris et spécialisé dans le commerce des armes, Mustapha Aziz. Ce personnage secret et sulfureux, habitué des palais de Dos Santos et de feu Mobutu, va vite gagner la confiance du numéro un ivoirien.
Ex-enfant de troupe, businessman, lié aux hauts gradés des armées africaines (tel le colonel Malick Diaw de l’armée sénégalaise), Koré, cité parmi les va-t-en-guerre, apparaît comme le pilier du shadow cabinet constitué à la présidence ivoirienne qui acquiert avions Sukhoï SU-25, hélicoptères MI-24, chars d’assaut, kalachnikovs, Berreta, munitions… « Je défie quiconque de prouver que j’ai acheté des armes, se défend-il. Je ne suis jamais allé en Russie, ni en Ukraine, ni en Biélorussie. Je ne suis pas riche, ne détiens aucun compte bancaire en dehors de Côte d’Ivoire. Je vis de la foi. »
Le pasteur vit aussi des affaires de sa société Napex Commodities (NC), créée en 2003 et spécialisée dans le café-cacao, le pétrole et le négoce international. Pour accueillir son siège, une luxueuse villa à deux niveaux a été aménagée dans le quartier huppé de Cocody. À côté du bureau du patron, équipé d’un ordinateur à écran plat et d’un mobilier moderne, ceux de sa secrétaire, de ses assistantes « chargées, entre autres, de prospecter des terrains de plantations », d’un ingénieur en informatique qui « gère toute la vie comptable et administrative de NC »…
Avec sa Mercedes dernier modèle et ses trois téléphones portables, le pasteur a le profil d’un businessman moderne. Au profit de Shekinah, il est en train d’acquérir un grand terrain à Yopougon, non loin de la « Cité de la police », pour y ériger un temple capable d’abriter 10 000 personnes, avec une esplanade pouvant en accueillir 40 000 autres. Coût de l’opération ? « Entre 2 et 3 milliards de F CFA que vont financer mes nombreux amis à travers le monde. » Koré voit gros, influencé par un pasteur sud-coréen à la tête de 2 millions de fidèles qui a bâti à Séoul une église de 20 000 places assises, la plus grande du monde.
Aussi à l’aise en anglais qu’en français, ordonné par une religieuse noire américaine de Philadelphie du nom de Thelma Malone, le pasteur évangéliste Moïse Koré est proche des born again christians de l’administration Bush. Lié à des congressmen qu’il croise chaque année à l’occasion de la journée nationale de prière au Sénat des États-Unis, il constitue une bonne carte à jouer pour Gbagbo en ces moments de brouille avec Paris.
Bien que favorable à une plus grande ouverture au monde anglo-saxon, il n’en conserve pas moins des « contacts » à l’Élysée et au Quai d’Orsay. Koré a effectué 25 déplacements entre Abidjan et Paris pour « driver » la visite de travail de Gbagbo dans la capitale française en février 2004.
Pilier de la diplomatie secrète d’Abidjan, introduit auprès de certains chefs d’État africains (le Sud-Africain Thabo Mbeki, le Libérien Gyude Bryant…), il a séjourné à Dakar, à l’occasion de la visite de Paul Kagamé du 24 au 26 novembre, sans nul doute pour travailler à un rapprochement entre Gbagbo et le numéro un rwandais.
N’ayant aucun titre officiel – contrairement à une opinion répandue, le conseiller spirituel du chef de l’État ivoirien s’appelle Oré Gneze Jacques – l’homme de l’ombre, qui se définit comme « un ami du président », n’est pas près de s’éloigner des choses temporelles. Même quand il n’est pas au palais, son fantôme plane sur les lieux. Son adjoint, Ory Amour, bénit tous les repas de Gbagbo et l’accompagne dans ses déplacements. Proche du couple présidentiel, lié au président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly (leurs épouses Agnès Koré et Limata Koulibaly sont amies depuis le lycée), le numéro un de Shekinah a pris goût aux fastes du pouvoir terrestre. Il s’en défend toutefois, et assure se préoccuper d’Agnès (d’ethnie gouro, documentaliste au ministère des Transports) et de leurs cinq enfants (Stéphanie, Isabelle, Jean-Cédric, Jessica et Thelma), ainsi que de ses fidèles. « J’enseigne, j’édifie, je m’occupe de mes ouailles. Je dirige mes brebis à Abidjan et évangélise l’intérieur du pays », indique ce berger pas comme les autres.

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