Marwane Barghouti

Stupeur en Palestine : le chef du Fatah en Cisjordanie est candidat à la présidentielle du 9 janvier. Contre Mahmoud Abbas.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Depuis la disparition de Yasser Arafat le 11 novembre, les Palestiniens étaient parvenus à se montrer unis. En se portant candidat à l’élection présidentielle prévue pour le 9 janvier prochain, Marwane Barghouti est venu semer le trouble.
Le Fatah, la principale composante de l’Autorité palestinienne (dont Barghouti est le chef en Cisjordanie), avait pourtant donné un bel exemple de maîtrise et d’unité. Dix jours après les funérailles grandioses réservées au « Père de la Nation », il avait désigné Mahmoud Abbas (Abou Mazen), 69 ans, éphémère Premier ministre d’Arafat (avril-septembre 2003), pour succéder au défunt à la tête de l’Autorité palestinienne. Cette candidature avait été approuvée par toutes les structures du Fatah, du Comité central au Conseil révolutionnaire en passant par les différentes factions, dont les célèbres Brigades des martyrs d’al-Aqsa, branche militaire particulièrement active depuis le début de la seconde Intifada, en septembre 2000.
Son leader, Marwane Barghouti, 45 ans, dont le nom avait été avancé par une partie des militants du Fatah, s’était désisté, le 26 novembre, au profit de son « frère de combat » Mahmoud Abbas. Une décision prise du fond de sa cellule – il purge une peine de prison à Ber Sheba, dans le sud d’Israël – à l’issue de la visite de l’un de ses proches, Qaddoura Fares, par ailleurs ministre de l’Autorité. Autorisé par le gouvernement israélien à s’entretenir avec le prisonnier, Qaddoura avait convaincu Barghouti de se retirer, lui disant, en substance : « Le choix de Mahmoud Abbas n’est pas fortuit. C’est Arafat lui-même qui l’a remis en selle en le convoquant à la Mouqataa, le 28 octobre, la veille de son départ pour Paris. Il lui a demandé d’assurer l’intérim à la tête de l’OLP : c’était presque un testament. Je peux te jurer que ni les États-Unis ni Israël ne sont intervenus pour imposer ce choix. C’est donc au nom de ta fidélité à Arafat que je te demande de soutenir Abbas. »
Sensible à ces arguments, Barghouti avait dicté à Qaddoura un communiqué annonçant qu’il se retirait de la course. On s’acheminait donc vers un scrutin sans surprise.
Quatre jours plus tard, coup de théâtre : à quelques heures de la clôture des dépôts de candidatures, Fadwa Barghouti, l’épouse de Marwane, qui est avocate, se rend au siège de la Commission nationale électorale. Elle y dépose un volumineux dossier. À l’intérieur, les cinq mille signatures de parrainage et le chèque de 3 000 dollars requis pour tous les postulants à la présidence.
Stupeur au Fatah… et bien au-delà. Pourquoi une telle volte-face ? Qui est Barghouti ?
Né en 1959 à Kobar, dans la banlieue de Ramallah, Marwane Barghouti (Abou el-Qassem, pour ses partisans), est entré en politique comme un toréador dans l’arène : avec éclat. Il a à peine 17 ans quand il se lance dans la campagne des municipales de 1976, dans les territoires occupés.
Petit, le regard pétillant de malice, il joue de sa bonhomie communicative pour houspiller les notables locaux qui briguent les postes sans oser se réclamer ouvertement de la résistance. Lui clame haut et fort son appartenance au Fatah, créé au début des années 1960 par Arafat.
Un engagement qui lui vaut d’être condamné à six ans de prison par la justice militaire israélienne (les Territoires étaient alors administrés par Tsahal), en 1978.
Il met à profit son séjour carcéral
pour apprendre l’hébreu et étoffer son carnet d’adresses, gagnant l’estime des militants nationalistes de Gaza et de Cisjordanie.
En 1984, il quitte sa cellule pour l’université palestinienne de Bir Zeit, où il étudie les sciences politiques. Il y rencontre une étudiante en droit, Fadwa, qu’il épouse. Le couple aura trois enfants. Ses activités de représentant syndical ouvrent à Marwane de nouveaux horizons : il est à la tête de la contestation étudiante.
Son charisme est tel qu’on entend parler de lui jusqu’à Tunis, au siège de l’OLP. En août 1987, excédé par l’activisme du jeune Marwane, Israël lui signifie son expulsion. Après une escale à Amman, il rejoint Tunis. Abou Iyad, numéro deux et éminence grise de l’OLP, parraine le fougueux activiste et le présente à Arafat.
Le « Vieux » tombe sous le charme. Il est vrai que Marwane a toujours le mot pour rire. Surtout, le chef du Fatah, en vrai animal politique, sait qu’il manque de relais auprès de la nouvelle génération et mesure à quel point le jeune homme pourrait lui être utile. Il l’associe
aux discussions avec les Israéliens pendant la préparation des accords d’Oslo. L’enfant des faubourgs de Ramallah réussit parfaitement sa reconversion. Il est un interlocuteur fiable et « agréable », dira de lui un diplomate israélien.
Revenu dans les territoires palestiniens en 1994 à la suite d’Arafat, Barghouti est nommé chef du Fatah en Cisjordanie. Il est élu député en 1996 et devient membre du Conseil législatif palestinien. Il est d’abord un farouche partisan des accords d’Oslo, mais son enthousiasme pour « la paix des braves » préconisée par Arafat s’estompe au fil des « coups tordus » du gouvernement israélien. Il jubile lorsqu’en novembre 2000 Arafat devient « celui qui a dit non », à Taba.
La réputation de Barghouti est définitivement établie après le déclenchement de la seconde Intifada, le 28 septembre 2000. Alors qu’Arafat se mure dans le silence, il multiplie les interviews et les meetings, où il appelle à la militarisation de l’Intifada. Au point de faire de l’ombre au « Vieux » et à son entourage de sexagénaires… Il s’impose comme successeur potentiel et devient, de facto, chef du Tanzim, l’organisation paramilitaire du Fatah, futures Brigades des martyrs d’al-Aqsa, responsable des attentats meurtriers en Israël.
Mais son succès ne l’empêche pas de demeurer fidèle au chef, à qui il rend visite deux fois par jour. Arrêté le 15 avril 2002, il est condamné cinq fois à la réclusion perpétuelle pour terrorisme.
Celui qui affirmait à J.A.I. en décembre 2001 (n° 2237) qu’il ne briguerait jamais la présidence de l’Autorité palestinienne est aujourd’hui la personnalité la plus populaire auprès des chabab, cette jeunesse sans avenir de Gaza et de Cisjordanie qui constitue un immense vivier d’électeurs. Un sondage conduit du vivant d’Arafat par Khalid Shikaki, un politologue palestinien qui dirige un centre d’études stratégiques, attribue à Barghouti près de 20 % des intentions de vote en cas d’élection présidentielle, contre 35 % pour le « Vieux » et… à peine 1 % pour Abbas.
Pour l’ancien Premier ministre, qui croyait que la voie menant à la Mouqataa était enfin libre, la candidature de Barghouti est un rude coup.
Pourquoi un tel revirement de la part de ce dernier ? Les arguments qu’il avance (sa fidélité à Arafat, son souci d’enraciner la pratique démocratique chez les Palestiniens…) ne sont guère convaincants. Du reste, l’attitude d’Israël à son égard est plus que suspecte et le dépôt de sa candidature soulève de nombreuses questions. Pourquoi Tsahal a-t-elle tout fait pour le capturer vivant alors qu’il était accusé d’être le cerveau des attentats visant des civils israéliens ? Pourquoi le juge d’application des peines de Ber Sheba multiplie-t-il les permis de visite au profit d’un prisonnier censé rester à l’isolement ? Comment Barghouti compte-t-il gouverner du fond de sa cellule, alors que le gouvernement israélien n’envisage pas de le libérer en cas de victoire ?
Surtout, quelles sont ses véritables intentions ? Les dirigeants du Fatah n’hésitent pas à parler de conspiration au profit d’un Ariel Sharon et de faucons israéliens désarçonnés par le calme qui prévaut chez les Palestiniens depuis la mort d’Arafat.
Au-delà de l’inévitable fracture qui divisera le Fatah et des résultats du scrutin, la candidature de Barghouti va dans le sens de la poursuite de l’Intifada, alors que celle de Mahmoud Abbas laissait espérer une nouvelle étape, faite de dialogue et de négociations avec Israël.
La décision du prisonnier de Ber Sheba a beau réjouir les factions les plus radicales du Fatah, la grande majorité de la population palestinienne s’en inquiète. Barghouti a ruiné tous leurs espoirs de consensus autour d’une personnalité certes controversée, mais dont la modération avait le mérite de priver les Israéliens de leur tactique préférée : la diabolisation du partenaire palestinien. Bien sûr, le code électoral donne à Barghouti la possibilité de retirer sa candidature jusqu’au 15 décembre avant minuit. Mais il sera trop tard. Le mal est fait.

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