Qu’attend Emmanuel Macron des héritiers de la guerre d’Algérie ?

Soixante ans après les accords d’Evian, le président français a entrepris de « réconcilier les mémoires ». Mais il pourrait bien s’être trompé de combat.

Membres de la délégation algérienne chargée de négocier les accords d’Évian. © AFP

Membres de la délégation algérienne chargée de négocier les accords d’Évian. © AFP

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  • Nadia Henni-Moulaï

    Journaliste, auteure de « 1954-1962 – La guerre d’Algérie. Portraits croisés » (aux éditions Les Points sur les i)

Publié le 6 janvier 2022 Lecture : 3 minutes.

« Réconcilier les mémoires » entre la France et l’Algérie. Emmanuel Macron en a fait le chantier mémoriel de son quinquennat. Si ses opposants lui reprochent un tempo saccadé, le président français s’est emparé du sujet comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait. Déjà, en 2017, il annonçait la couleur lors d’une interview à la télévision algérienne. En déplacement dans le pays, le candidat d’alors avait décrit sans détour la colonisation comme « un crime contre l’humanité ».

À son arrivée à l’Élysée, sa mue en chef d’État s’est opérée et il a rapidement accéléré la cadence des annonces : ouverture d’archives, reconnaissance, en septembre 2018, de la responsabilité de la France dans la mort du mathématicien Maurice Audin en 1957, rapport Stora en janvier 2021, puis qualification, le 2 mars, du meurtre de l’avocat Ali Boumendjel de « crime français ». Une position osée et assumée, quitte à bousculer au sein des profondeurs de l’État français. Parce qu’il s’agit bien de cela. Raconter ce que l’État fut, les faits qui l’accusent, sans pour autant remettre en cause le sacro-saint triptyque républicain.

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Pacification posthume des histoires

Malgré la témérité dont il fait preuve, Emmanuel Macron ne peut se défaire des ombres du passé, nichées dans les plis de l’Histoire. Et l’expression « réconciliation des mémoires » en est la formulation la plus à-propos. Un euphémisme qui révèle bien plus qu’il ne dit. Tout est politique et le choix des mots n’échappe pas à l’axiome.

À voir combien le sujet de la guerre d’Algérie alimente les populismes, il est urgent de solder cette histoire

Emmanuel Macron, qui n’a pas vécu cette guerre, a bien saisi, pourtant, les enjeux liés à cette pacification posthume des histoires. Comme le rappelle l’historien Benjamin Stora, plus de 7 millions d’individus sont les héritiers de la guerre d’Algérie, qu’ils soient descendants d’appelés, de militants FLN, de harkis ou de rapatriés. À voir combien le sujet occupe l’inconscient des débats politiques français sur l’islam, l’immigration ou le passé colonial, et alimente les populismes de tous bords – dont le zemmourisme –, il est évidemment urgent de solder ce pan d’histoire.

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Or cette maxime qui consisterait à « réconcilier les mémoires » cache en creux un impensé. Un silence étouffé par le bruit des slogans politiques. Est-ce vraiment aux « mémoires », c’est-à-dire à leurs dépositaires, à leurs héritiers, de bâtir cette réconciliation ? N’existe-t-elle pas déjà, cette concorde ? Dans la vie quotidienne et réelle, la question de la guerre d’Algérie n’est pas au cœur des discussions, mais prend la forme de blessures silencieuses, intimes, pudiques, de celles que l’on garde pour soi. Et si elles s’expriment, c’est souvent à travers les stimuli du déclassement social, du chômage, du manque de pouvoir d’achat, du goût pour le complotisme, du racisme le plus cru, de la bêtise. Les affres de cette histoire douloureuse éclatent au grand jour comme le révélateur chimique d’un mal être social et identitaire.

Pourquoi, alors, cette expression est-elle devenue un leitmotiv ? Est-ce le remède espéré à cette nausée que provoquent les pages indignes de l’histoire française ? La République projette une attente sur les millions de citoyens liés à la dernière séquence décoloniale. Ils porteraient, en eux, les ressources pour dénouer les écheveaux de la société, ce qui la contraint en son cœur, l’empêche d’écrire son roman national, d’ouvrir un nouveau chapitre. Plus que « les mémoires », ce sont les faits qu’Emmanuel Macron devrait réconcilier avec le récit républicain.

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