Mpho Phalatse, première femme noire à la tête de Johannesburg
C’est à la surprise générale que cette femme de 44 ans, encartée à l’Alliance démocratique, a été élue maire de Johannesburg, fin novembre. Un poste difficile, dont elle compte bien tirer profit pour gravir les échelons du pouvoir.
La politique vous joue parfois de drôles de tours. « On a été surpris, comme tout le monde », admet Mpho Phalatse lors d’une interview télévisée diffusée au lendemain de sa victoire. La veille, tard dans la soirée du 22 novembre, alors qu’aucune coalition ne parvient à se former pour gouverner Johannesburg, les partis s’accordent au moins sur une chose : tout sauf le candidat du Congrès national africain (ANC). Et sans avoir à quémander le moindre soutien, Mpho Phalatse est élue grâce aux votes d’ActionSA et du Parti des combattants pour la liberté économique (EFF). Ce dernier, classé à l’extrême gauche, n’a pourtant aucun atome crochu avec l’Alliance démocratique (DA) qu’elle représente. Mais la fronde anti ANC a pris le pas sur les querelles idéologiques. Ce ralliement inespéré fait le bonheur de Mpho Phalatse, pourtant peu connue.
« Ce n’est pas une débutante, recadre Mike Moriarty, son directeur de campagne. Elle a un pedigree très solide. » Mpho Phalatse rejoint la DA en 2016 et est élue la même année. Le parti dame le pion à l’ANC dans plusieurs métropoles lors des élections locales et s’empare de Johannesburg, la capitale économique d’Afrique du Sud. Mpho Phalatse devient conseillère municipale exécutive pour la santé et le développement social. Une ascension rapide pour celle qui s’est installée à Johannesburg cinq ans auparavant.
Car Mpho Phalaste est d’abord une fille de Pretoria et de sa campagne environnante. Cette bonne élève a vécu avec sa grand-mère dans le village rural d’Hebron (province du Nord-Ouest) avant de rejoindre ses parents dans un township, puis dans une banlieue, suivant l’ascension sociale de ces derniers. Un milieu familial ouvert qui a influencé la carrière de la nouvelle édile.
Blessures par balles et coups de couteau
Lors d’une interview sur la chaîne eNCA, elle raconte son passé de médecin urgentiste dans une clinique du township d’Alexandra, au nord de Johannesburg. « C’était déprimant d’être [là] et d’entendre les histoires des patients », se remémore-t-elle. Elle est bouleversée par les blessures par balles et les coups de couteau portés aux victimes dépouillées de leur téléphone. De cette détresse naît son engagement politique. « J’ai toujours eu envie de servir l’humanité », affirme la nouvelle maire de Johannesburg dans un média local.
Un discours de campagne qui a déjà du plomb dans l’aile. À peine élue, elle doit gérer la colère des habitants de Diepkloof, à Soweto. Le quartier est plongé dans le noir depuis plusieurs semaines. Vols de câbles, détournement d’électricité et impayés nuisent au réseau dans le township. Eskom, l’entreprise publique, refuse de rétablir le courant tant que les amendes infligées ne sont pas réglées. Plutôt que de prendre le parti de ses administrés, Mpho Phalatse défend la très impopulaire Eskom et demande aux habitants de s’acquitter de leur dette. « Ce n’est pas une question humanitaire, c’est une question de viabilité », répond Mpho Phalatse à une journaliste.
Je suis une amie d’Israël, et la ville de Johannesburg est une amie d’Israël
« Elle parle comme si elle était la porte-parole d’Eskom et non au service du public », dénonce Funzani Mutsila, économiste et ancienne figure du mouvement pour l’abolition des frais de scolarité (#FeesMustFall) qui a secoué Johannesburg en 2015. « Sa façon de parler et ses principes sont très anti-pauvres », poursuit-elle. Une accusation également reprise par l’ANC à l’encontre de la DA, dépeint comme un parti bourgeois et blanc.
Funzani Mutsila lui reproche également de soutenir Israël. En 2018, celle qui est alors simple conseillère municipale, déclare lors d’une réunion publique : « Je suis une amie d’Israël, et la ville de Johannesburg est une amie d’Israël. » Cette prise de position, dans un pays qui soutient la cause palestinienne, lui vaut d’être suspendue temporairement par le maire de l’époque, Herman Mashaba. Trois ans plus tard, les mots de Mpho Phalatse sont des cartouches pour des militants ANC en quête de revanche.
Le 2 décembre dernier, lors de son discours inaugural, les conseillers municipaux de l’ANC débarquent coiffés de keffiehs et lui intiment de retirer ses propos tenus en 2018. « Assez d’une maire pro-apartheid », « Libérez la Palestine », proclament les pancartes. Mpho Phalatse ne se démonte pas. Sur Twitter par exemple, elle n’hésite pas à encourager Lalela Mswane, la Miss Afrique du Sud 2021. Contre l’avis du gouvernement sud-africain, la reine de beauté s’est rendue en Israël pour le concours de Miss Univers organisé, le 12 décembre. Habillée d’un costume en plumes blanches, gracieuse comme un cygne, la candidate est qualifiée « d’ange » et « d’ambassadeur de la paix » par Mpho Phalatse.
Coalition fragile
Madame le maire devra avoir le cuir épais pour diriger Joburg. Dix-huit partis sont représentés au conseil municipal, contre onze lors de la précédente mandature. Le conseil municipal exécutif, annoncé le 13 décembre, est le fruit d’une coalition à dix partis. « Dans cet environnement où aucun parti n’a de majorité, vous luttez pour obtenir une configuration où vos partenaires vous garantissent de la stabilité pour cinq ans », admet Mike Moriarty, son directeur de campagne.
« Le mot “fragile” est faible pour qualifier ce type de coalition. Vous avez besoin d’un mandat solide pour obtenir des résultats », analyse le politologue Ralph Mathekga. Les chantiers ne manquent pas dans une ville qui est « dans un mauvais état », selon lui. « Le crime est élevé, les gens se font braquer en ville, des immeubles sont détournés [par des mafias qui perçoivent les loyers]. Certains quartiers ont été abandonnés, si vous prenez le secteur d’Hillbrow, c’est juste horrible », poursuit-il. La criminalité représente le principal problème de Johannesburg, selon 33 % des personnes interrogées pour une étude sur la qualité de vie (2017/2018).
Restaurer l’ordre est l’une de ses priorités bien qu’en la matière, les compétences d’une municipalité soient limitées
Restaurer l’ordre est l’une des priorités de Mpho Phalatse bien qu’en la matière, les compétences d’une municipalité soient limitées. Elle a tenté d’envoyer un signal en nommant David Tembe au poste de conseiller chargé de la sécurité. « J’ai confiance en sa capacité à renforcer la lutte contre la criminalité, David Tembe est l’ancien chef de la police de Johannesburg, c’est une homme d’expérience et d’expertise » réagit Yusuf Abramjee, militant anti-criminalité.
Appétit de loup
Faire de Johannesburg une vitrine de son succès et un marche-pied pour ses ambitions. Voilà le programme de Mpho Phalatse. « Jozi, are you ready ? » [Johannesburg, es-tu prête ?] titre le magazine people You dans son édition du 9 décembre. La toujours élégante Mpho Phalatse, habillée d’une chemise blanche brodée, les cheveux tirés en arrière dans un chignon, sourit chaleureusement au lecteur. Sur deux pages, elle se dévoile, évoque son statut de mère célibataire, ses trois enfants, et ses parents revenus vivre avec elle pour surmonter la maladie de son père atteint d’un cancer.
Elle glisse aussi cette petite phrase : « Mon but est de devenir le ministre de la Santé. » Mpho Phalatse prend goût à la politique et affiche un appétit de loup. Un ancien collègue au conseil municipal lui promet un bel avenir. « J’ose dire qu’elle dirigera l’Alliance démocratique d’ici les cinq prochaines années », anticipe cet ami qui préfère rester anonyme. « Des gens m’appellent Madame la maire, Doc, Docteur, ma sœur Mpho, Maman, Maire docteur, tout me va », confie Mpho Phalatse dans You. « Madame la présidente » ne la dérangerait pas non plus.
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