Karel De Gucht

Le ministre des Affaires étrangères du gouvernement fédéral de Belgique réaffirme l’intérêt que le royaume porte à l’Afrique.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Nommé ministre des Affaires étrangères le 18 juillet dernier, Karel De Gucht a fait une entrée très peu diplomatique sur la scène africaine. À l’occasion de sa première visite dans la région des Grands Lacs, du 13 au 17 octobre, il a jeté un pavé dans la mare en déclarant, depuis Kigali, au Rwanda, qu’il avait rencontré peu de responsables politiques convaincants en République démocratique du Congo. Des propos qui ont provoqué un tollé à Kinshasa, mais aussi dans la presse wallonne, qui lui reproche en outre des convictions très conservatrices, notamment sur le vote des immigrés non européens aux municipales.
Numéro deux du Parti libéral flamand après en avoir été le président de 1999 à février dernier, Karel De Gucht donne à ses interlocuteurs l’impression d’être un personnage froid, obstiné, fidèle à ses convictions et peu enclin à composer. Son style tranche avec celui de Louis Michel, son prédécesseur wallon, qui prenait le temps de converser à bâtons rompus avec les journalistes et ses partenaires africains. Avec un emploi du temps surchargé, De Gucht s’en tient à l’essentiel. Le ministre connaît ses dossiers sur le bout des doigts. À 54 ans, il s’est acquis une réputation de bosseur et d’homme à poigne. Militant depuis l’université, il devient à 21 ans président de l’Association flamande des étudiants libéraux de Bruxelles, avant de rejoindre le Parti libéral flamand. Tour à tour échevin (adjoint au maire), sénateur, député, Karel De Gucht connaît parfaitement les rouages des institutions belges. Outre sa passion pour la politique, l’homme affiche un goût certain pour l’architecture et l’art contemporains.

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous avez déclaré à Kigali que vous n’aviez pas rencontré d’hommes politiques convaincants en RDC. Vos propos ont suscité de vives protestations. Quel était l’objectif recherché ?
Karel De Gucht : Il faut remettre les choses dans leur contexte. Le choix du lieu de la déclaration, Kigali, au Rwanda, n’était pas délibéré. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, s’est lui aussi souvent exprimé depuis ce pays. Un journaliste m’a posé une question : « Un ancien Premier ministre belge assurait aimer le peuple congolais et ses dirigeants. Pensez-vous la même chose après leur avoir rendu visite ? » J’ai répondu par la négative en expliquant que je n’avais pas rencontré beaucoup de dirigeants aptes à guider ce pays. Je n’ai pas dit qu’il n’y en avait pas, mais qu’ils étaient peu nombreux. Par ce message, j’ai avant tout voulu mettre les dirigeants politiques congolais face à leurs responsabilités pour qu’ils prennent en main la destinée de leur État et essaient de sortir leur nation de l’impasse où elle se trouve.
J.A.I. : Vous avez voulu provoquer un électrochoc alors que le processus de transition patine…
K.D.G. : Il était important de le faire. Si tout se passe comme prévu, les élections législatives et présidentielle se dérouleront dans six mois. Or la transition se trouve au point mort. Il n’y a toujours pas de nouvelle Constitution ni de législation électorale. Les partis ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’organisation de ce scrutin, et la mise sur pied d’une armée nationale est encore en discussion. Nous nous sommes fortement impliqués pour aider les Congolais à tourner la page. Mais le bon déroulement de la transition dépend d’eux avant tout.
J.A.I. : Pour la tenue de ces élections en 2005, il faudrait que l’ensemble du territoire soit pacifié, ce qui est loin d’être le cas, notamment dans l’est du pays…
K.D.G. : Il est nécessaire de former un minimum de troupes opérationnelles. Nous nous efforçons avec nos partenaires de la communauté internationale et africaine, particulièrement l’Afrique du Sud, d’aider les Congolais à constituer une armée compétente. Ainsi, le programme de partenariat militaire belge a permis d’entraîner un régiment pendant plusieurs mois à Kisangani, et ces éléments doivent rejoindre Bunia.
J.A.I. : Le ministre belge de la Défense, André Flahaut, a effectué une visite en novembre en RDC. D’après lui, les structures militaires du pays sont dans un état de délabrement avancé. Ce qui n’incite pas à l’optimisme quant à la remise sur pied de l’armée. Croyez-vous toujours à la tenue de ces élections ?
K.D.G. : Cela sera difficile, mais nous avons l’espoir d’y parvenir, notamment grâce à l’assistance de la Monuc [NDLR : Mission des Nations unies en République démocratique du Congo]. Celle-ci doit intégrer prochainement des régiments indiens et pakistanais chargés de sécuriser l’est du pays. Elle a obtenu un mandat élargi, qui lui permet de dépasser son rôle de simple force d’interposition et l’autorise à promouvoir la sécurité dans toute cette région. Ce dispositif devra être appuyé par les troupes de l’armée congolaise. C’est pour cela qu’il est important de mettre sur pied au moins quatre ou cinq régiments opérationnels sur les vingt-deux à trente prévus d’ici aux élections.
J.A.I. : Doit-on organiser un scrutin au suffrage universel ou sur la base d’un vote de grands électeurs ?
K.D.G. : Ces élections doivent se tenir au suffrage universel. La légitimité du nouveau pouvoir ne manquerait pas d’être contestée si le vote reposait sur les seuls bulletins des grands électeurs.
J.A.I. : La Belgique a reçu le président sud-africain Thabo Mbeki à la mi-novembre. Portez-vous toujours la même appréciation sur la situation dans la région des Grands Lacs ?
K.D.G. : C’est la deuxième fois que je rencontre le président Mbeki en l’espace de deux mois. Nous avons la même analyse de la situation et nous ferons tout pour parvenir à la pacification du pays.
J.A.I. : Hormis l’Afrique centrale, quels sont les axes prioritaires de votre politique africaine ?
K.D.G. : La Belgique est une petite nation qui ne peut être partout présente en Afrique. Mais nous essayons d’appuyer nos partenaires au Darfour, où nous assurons un soutien en matière de logistique, et en Côte d’Ivoire. Le partenariat économique avec l’Afrique du Sud constitue également un axe important de notre politique africaine. À l’occasion de la visite du président Mbeki, la Belgique et l’Afrique du Sud ont réaffirmé l’importance de leur coopération. Nous devrions créer prochainement une commission bilatérale qui se réunira une fois par an pour améliorer notre partenariat dans des domaines d’intérêt mutuel tels que la bonne gouvernance, la défense et la sécurité. Enfin, nous entretenons une coopération économique exemplaire et des échanges commerciaux importants.
J.A.I. : Deux missions royales ont été organisées au Maroc et en Tunisie en octobre dernier. Souhaitez-vous resserrer les liens avec les pays du Maghreb ?
K.D.G. : Nous conservons d’excellentes relations avec les pays du Maghreb. J’ai accompagné le roi Albert II au Maroc, et j’ai mis à profit cette visite pour rencontrer les hommes d’affaires marocains et plaider un renforcement de nos relations économiques.
J.A.I. : La Flandre est actuellement secouée par la montée en puissance de l’extrême droite et la multiplication des actes racistes. Comment doit-on interpréter votre opposition au vote des immigrés non européens aux élections municipales en février dernier ?
K.D.G. : Je ne considère pas le droit de vote des immigrés comme un enjeu fondamental pour la démocratie. Les sondages montrent l’hostilité d’une très grande majorité de la population flamande à cette réforme. Son adoption en février 2004 a constitué une erreur. De ma part, ce n’est pas une position de principe, mais tout simplement de politique « pratique ». Le gouvernement n’aurait pas dû brusquer les Flamands. Depuis, je constate la montée en puissance du parti nationaliste. Je ne me réjouis pas de cette progression, mais elle était prévisible. C’était une limite qu’il ne fallait pas franchir.
J.A.I. : La Belgique accueille une forte communauté turque. Êtes-vous favorable à l’adhésion de ce pays à l’Union européenne ?
K.D.G. : La logique de la construction de l’Europe est d’intégrer de nouveaux pays, c’est pourquoi nous sommes favorables au lancement de négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Cette logique a prévalu pour l’Espagne et le Portugal, puis pour la Grèce et, plus récemment, pour les pays d’Europe de l’Est. Je constate aussi que la perspective de son intégration européenne a fait évoluer favorablement la démocratie turque en matière de loi pénale, de respect des minorités, d’ouverture des marchés… Ces acquis pourront être préservés avec l’ouverture des négociations d’adhésion en 2005 sous peine d’un retour en arrière.
J.A.I. : Pensez-vous que la population flamande va accepter facilement la position des autorités belges ?
K.D.G. : Nous devrons justifier les raisons de cette adhésion. Ce qui nécessitera de gros efforts d’explication envers la population flamande, mais aussi envers le reste de la population belge. Cela vaut aussi pour les citoyens des autres pays européens.

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