Cameroun : après Kousseri, les autorités se montrent-elles à la hauteur ?
De violents affrontements ont endeuillé, début décembre, la grande ville de l’Extrême-Nord, frontalière du Tchad, où plus de 80 000 personnes se sont réfugiées. Ce n’est pas la première fois, mais le gouvernement peine à trouver une solution aux querelles – souvent brutales – qui opposent nomades et sédentaires.
Des militaires, gendarmes et policiers lourdement armés sillonnent des rues vides de Kousseri. Ce 14 décembre, la ville se réveille péniblement. Près d’une semaine s’est écoulée depuis les affrontements qui ont meurtri la pointe septentrionale du Cameroun, mais les traces des violences sont encore visibles. Au marché central, le plus important de cette région frontalière avec le Tchad, marchandises et débris calcinés jonchent encore les allées.
Ahmat, 65 ans, fait partie du petit groupe de commerçants qui s’emploient à nettoyer les décombres. L’étal de ce boucher, que Jeune Afrique a pu joindre par téléphone, a été incendié. « Nous n’avons rien pu sauver, tout est parti, raconte-t-il. La viande que nous vendions, comme celle qui était stockée. » Non sans émotion, il se remémore aussi les prémices des tensions. « Nous avons été informés des premiers affrontements par des proches vivants à Ouloumssa, explique-t-il. C’était dans la nuit du dimanche 5 décembre. »
C’est de ce village situé aux abords du fleuve Logone que la violence est partie. Au départ, il s’agissait d’une altercation opposant pasteurs arabes et ressortissants Mousgoum et Massa, après que les premiers se soient vus refuser l’accès à un point d’eau où ils voulaient abreuver leur bétail. Les évènements ont rapidement dégénéré, des armes blanches ont été dégainées, et la violence s’est propagée aux localités environnantes et à Kousseri, chef-lieu du département du Logone-et-Chari, dans l’Extrême-Nord.
Des dizaines de milliers de réfugiés
En à peine trois jours, une vingtaine de personnes ont été tuées et près de 3 000 têtes de bétail abattues. À Kousseri, la résidence d’un important homme d’affaires a été incendiée, de même que la branche locale d’une banque et que le marché. Des quartiers, tels ceux de Soukala et Amchediré, ont été le théâtre d’actes de vandalisme, ce qui a poussé des milliers de personnes à prendre la fuite. Selon les Nations unies, 80 000 d’entre elles ont traversé la frontière.
Depuis N’Djamena, le président de la transition, Mahamat Idriss Deby Itno, a demandé l’aide de la communauté internationale, et au Cameroun, des voix s’élèvent pour questionner l’action des pouvoirs publics. Car les évènements du 5 décembre ne sont pas des incidents isolés, mais le nouvel épisode d’une longue série de rixes qui opposent depuis plusieurs années nomades (des pasteurs le plus souvent) et sédentaires (des pécheurs et des cultivateurs). En août dernier, des affrontements similaires avaient entraîné la mort de douze personnes et fait 48 blessés dans cette même région de l’Extrême-Nord.
Pour l’opposant Maurice Kamto, la simple application du décret fixant les modalités de règlement des litiges agro-pastoraux « aurait permis d’éviter le déclenchement de cette tragédie ». Ce texte de loi, adopté en 1978 sous la présidence d’Ahmadou Ahidjo, prévoit la mise en place d’une commission chargée notamment « d’organiser l’espace rural en zones agricoles et en zones d’élevage en fonction des besoins des populations et des exigences du développement […] et de s’assurer que les agriculteurs et les éleveurs respectent les délimitations des zones respectives ».
Absence de l’État
Sous le feu des critiques, les autorités camerounaises ont multiplié les initiatives pour faire retomber la tension. Les forces de défense et de sécurité ont été déployées en nombre, permettant une certaine accalmie. Du 10 au 12 décembre, le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, Midjiyawa Bakari, a sillonné les villes et villages concernés, multipliant les rencontres avec les chefs traditionnels et religieux et avec les représentants des différentes communautés. « Nous avons fait le point sur la situation, a-t-il déclaré. Ce qu’il faut retenir, c’est que tous les acteurs ont pris l’engagement d’œuvrer pour le retour de la paix avec la reprise normale des activités. »
Cela suffit-il ? Une partie de l’opinion camerounaise dénonce l’inefficacité des plans de développement ainsi que la faible implication des élites locales dans la résolution du problème. N’ont-elles pas brillé par leur absence malgré l’invitation du gouverneur à les accompagner sur le terrain ?
Aucun des hauts cadres de l’administration originaire de cette région n’a daigné se déplacer
« On a vu ni le président du Conseil économique et social, Luc Ayang, ni le ministre de l’Économie, Alamine Ousmane Mey, et encore moins ses homologues de la Jeunesse, Mounouna Foutsou, et des Marchés publics, Ibrahim Talba Malla, s’indigne un journaliste local basé à Maroua. Aucun des hauts cadres de l’administration originaire de cette région n’a daigné se déplacer pour accompagner le gouverneur. Ils disent qu’ils ont reçu cette invitation tardivement et qu’il n’y avait pas de vol disponible. Mais c’est justement cette incapacité à rallier cette partie du pays en urgence, en 24h, qui illustre l’état d’abandon dont on se plaint ici. »
De son côté, le gouvernement a, par le biais de son porte-parole, René Sadi, annoncé l’imminence d’une visite du ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, et d’une forte délégation d’officiels. Cinq jours après cette déclaration, cette mission gouvernementale se fait toujours attendre sur le terrain.
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