Chirac-Sarkozy la guerre des droites

Le nouveau patron de l’UMP s’impose comme le grand rival du chef de l’État pour la présidentielle de 2007. Cinq questions pour comprendre la nouvelle donne politique.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 8 minutes.

Le combat des chefs est-il fini ?
Au contraire, il ne fait que commencer. Simplement, l’obscure guerre de tranchées qui a prévalu tant que Nicolas Sarkozy siégeait au gouvernement s’est muée en un affrontement plus clair et plus ouvert. Un épisode récent témoigne, parmi d’autres, de l’âpreté de la rivalité entre l’ancien ministre des Finances et le président Jacques Chirac. Lors du congrès de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), le premier a multiplié les piques discrètes à l’intention du second. Après avoir rendu hommage à Jacques Chaban-Delmas, un ancien Premier ministre gaulliste trahi naguère (en 1974) par Chirac, il a perfidement estimé qu’« après quarante années de vie active, on a droit à une retraite digne », puis, pour que les choses soient bien claires, que « la vie politique doit cesser d’être un monument d’immobilisme ». Des propos aussitôt interprétés par les chiraquiens, sans doute à bon droit, comme autant d’allusions déplaisantes à l’adresse du chef de l’État.
La riposte est intervenue dès le lendemain, à l’occasion du remaniement imposé par le départ de Sarkozy du gouvernement. D’abord, pour faire pièce au nouveau maître de l’UMP, Chirac a intégré à l’équipe de Jean-Pierre Raffarin plusieurs fidèles d’entre les fidèles. Ensuite, il a nommé Hervé Gaymard au poste de ministre de l’Économie qu’occupait Sarkozy. Or Gaymard a 44 ans et son prédécesseur 49 ans. Une manière de dire sans le dire qu’on est toujours le vieux de quelqu’un. Et qu’il serait absurde de polémiquer sur l’âge des uns et des autres, Chirac compris. L’âge n’a pas été la seule raison du choix de Gaymard, mais il y a fortement contribué.

La situation est-elle sans précédent ?
Ce n’est pas tout à fait la première fois qu’un homme politique réussit à faire main basse sur un parti créé par un autre, fût-ce sous un autre nom (le RPR, en l’occurrence). Mais la situation n’en est pas moins inédite. Parce que le parti en question est censé soutenir le président de la République, qu’une rivalité ouverte oppose les deux hommes et que le courant politique dont l’un et l’autre se réclament – la droite – tient les principaux leviers de l’État : l’Élysée, Matignon et le Parlement.
Certes, en 1993, Michel Rocard était parvenu à s’emparer du Parti socialiste alors que François Mitterrand était à l’Élysée. Certes, six ans plus tard, Philippe Séguin avait pris le contrôle du RPR sans l’accord de Chirac, déjà président. Mais c’était en période de cohabitation, Édouard Balladur étant chef du gouvernement dans le premier cas, Lionel Jospin dans le second. Rien de tel, cette fois. Et le face-à-face conflictuel Chirac-Sarkozy va être l’élément essentiel de la vie politique au cours des trois ans, à peine, qui nous séparent de l’élection présidentielle.

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Quelles sont les forces et les faiblesses de Chirac ?
Pour le chef de l’État, la date du 1er décembre restera sinon comme une divine surprise, du moins comme le jour où l’avenir s’est éclairci : le oui des socialistes à la Constitution européenne et la réduction par la justice de la peine infligée à Alain Juppé (quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité, au lieu de dix ans en première instance) entraînent une nouvelle donne. Le vote du PS laisse en effet augurer une victoire des positions chiraquiennes lors du référendum sur l’Europe (au plus tôt, au mois de juin prochain) et rend moins urgent le remplacement du Premier ministre. Quant au retour de Juppé, l’héritier favori de Chirac, dans le jeu politique, il est de nature à freiner les ambitions des uns et des autres. En tout cas, le futur ex-maire de Bordeaux aura à coeur de participer à la prochaine campagne présidentielle et de contrer les ambitions de Sarkozy. Il ferait également un Premier ministre très présentable dans l’hypothèse où le chef de l’État serait une nouvelle fois candidat et remporterait une troisième victoire.
Quoi qu’il en soit, celui-ci retrouve un surcroît de liberté et ajoute un nouvel atout à ceux dont il dispose déjà : un tempérament de battant ; une grande capacité manoeuvrière ; des réseaux puissants constitués au fil d’une très longue carrière ; un pays parfois presque unanimement derrière lui, comme lors de la guerre en Irak ; des attitudes approuvées par l’électorat du centre-gauche, voire de gauche ; un positionnement centriste ; enfin, une popularité qui, même si elle connaît actuellement un fléchissement, dépasse encore largement les 50 %.
Ses faiblesses sont tout aussi nombreuses : sa capacité d’adaptation le fait parfois apparaître comme un homme sans réelles convictions, prompt à changer d’avis ; son âge, bien sûr – il a eu 72 ans à la fin du mois dernier ; ses démêlés avec la justice, qui le rattraperont dès que l’immunité attachée à sa fonction aura disparu. Surtout, il a beaucoup déçu son électorat de base, la droite, qui lui reproche de ne pas mener la politique pour laquelle il a été élu.

Et celles de Sarkozy ?
Les qualités du nouveau président de l’UMP, la principale formation de la droite, sont connues. C’est un « battant », un homme d’énergie et d’idées, doublé d’un excellent orateur capable de soulever l’enthousiasme des militants. Acquise, pour l’essentiel, à l’époque où il était ministre de l’Intérieur, sa popularité ne se dément pas et déborde largement l’électorat de la droite (pendant près de deux ans, elle dépassa les 40 % chez les sympathisants de la gauche). Le dernier sondage le crédite de 58 % d’opinions favorables, ce qui fait de lui, plus que jamais, la personnalité de droite la plus populaire. Il séduit tant par son allant, son volontarisme et son activité débridée que par son pragmatisme et son sens de la communication très développé. Ses apparitions publiques sont soigneusement programmées et organisées au point de constituer chaque fois un événement. Car il a fait de sa présence sur le terrain l’un de ses atouts majeurs. Ce tacticien est enfin un « tactile », preste à sentir les aspirations de l’opinion et à y répondre. Il dispose désormais d’un grand parti, autrement dit d’une masse de militants aisément mobilisables, de finances importantes, de la possibilité de décerner l’investiture à ceux qui aspirent à des fonctions électives, députés compris. Bref, d’une structure capable de l’aider dans sa conquête du pouvoir.
Obsédé par la « culture du résultat », Sarkozy a également des points faibles. Le paradoxe est que le principal est en même temps son point fort : l’ambition. Les Français aiment les ambitieux pour peu qu’ils n’apparaissent pas comme des arrivistes. Et les hommes d’action, s’ils ne semblent pas trop pressés. Or Sarkozy, souvent, cumule cet avantage et cet inconvénient. Très libéral tout en ne détestant pas le dirigisme, il passe pour proaméricain. Mais il lui est arrivé – au ministère de l’Économie et des Finances, par exemple – de moins agir que d’en donner l’impression. S’il répond la plupart du temps aux attentes de l’électorat conservateur – comme en témoigne sa position tranchée sur la nécessité de réviser les 35 heures -, ses convictions peuvent aussi l’irriter : sa remise en cause de la loi de 1905 sur la laïcité, son refus de la « double peine », sa campagne en faveur de la discrimination positive l’ont ainsi placé en porte-à-faux.
Reste une question : n’est-il pas parti trop tôt à la conquête de l’Élysée ? Sans doute pas. En restant au gouvernement, il prenait le risque d’apparaître, à terme, comme un éternel contestataire nuisible à l’action du gouvernement. Il se serait en outre privé des moyens d’un grand parti et n’aurait pu faire passer complètement ses idées et son programme. Même s’il lui sera difficile de soutenir les choix de Raffarin et de Chirac tout en faisant entendre sa « petite musique », il reste un dernier argument : la course à la présidentielle est une épreuve de longue haleine. Il faut habituer les Français au fait que sa candidature, une fois déclarée, est logique et naturelle. D’où la nécessité de partir de loin.

Qui soutient l’un, qui soutient l’autre ?
Bien qu’encore jeune, Nicolas Sarkozy dispose déjà d’un impressionnant réseau. Ou plutôt de réseaux, tant sa galaxie touche les milieux les plus divers.
Côté chefs d’entreprise, d’abord. À tout seigneur tout honneur, Ernest-Antoine Seillière, le patron des patrons, l’a un jour qualifié de « Zidane du gouvernement ». Martin Bouygues, Antoine Bernheim, président du groupe Generali, Michel-Édouard Leclerc, Édouard de Rothschild, futur actionnaire du journal de gauche Libération, Dominique Desseigne, dirigeant du Groupe Barrière, Arnaud Lagardère et Bernard Arnault sont tous des fidèles, parfois des amis. Sans compter l’armée des dirigeants de PME, qui, dans leur majorité, penche nettement en sa faveur.
Aidé dans ce travail de relations publiques par Cécilia, son épouse, l’ancien ministre est également soutenu par de nombreux artistes (Christian Clavier, Jean Reno, Michel Sardou), par des sportifs (Fabrice Santoro, Bernard Laporte, Richard Virenque), des personnalités médiatiques (Patrick Le Lay, Michel Denisot) et des intellectuels comme Bernard-Henri Lévy, Alain Minc, Jean-Michel Gaillard ou Marek Halter.
Au gouvernement, il dispose de deux relais principaux, Patrick Devedjian et François Fillon, tandis que les élus Christian Estrosi, Roger Karoutchi, Éric Raoult, Thierry Mariani et Yves Jego jouent les poissons-pilotes dans le monde parlementaire. Il faut encore compter avec sa garde rapprochée, au premier rang de laquelle figurent Claude Guéant et Brice Hortefeux, essentielle à sa stratégie, tout comme les soutiens qu’il a su se ménager chez les policiers, les préfets et à Bercy.
En ce qui concerne Chirac, la liste est infinie. En près d’un demi-siècle de carrière au plus haut niveau, le chef de l’État est parvenu à nouer des contacts dans les milieux les plus divers et compte partout des fidèles. Pour ne prendre qu’un exemple, celui des patrons, pourtant majoritairement favorables à son rival, ses amis les plus constants se nomment François Pinault, Henri Lachmann (Schneider Electric), Henri Proglio (Veolia Environnement) et Jean-François Dehecq (Sanofi-Aventis). Un membre de son entourage le plus proche, Jérôme Monod, qui fut longtemps le patron de la Lyonnaise des eaux, sert de passerelle avec les dirigeants d’entreprise. Pour ce qui est du monde politique, Chirac a certes officiellement perdu son parti, mais il lui reste le gouvernement et les groupes parlementaires UMP, tenus par des chiraquiens qui n’entendent pas abandonner leur pouvoir. Il envisage par ailleurs de développer à travers le pays des clubs de réflexion capables, le cas échéant, de combattre les initiatives de Sarkozy. Enfin, Chirac connaît le monde entier et entretient des liens souvent personnels avec nombre de chefs d’État. Une expérience qui fait encore assez largement défaut à son rival.

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