Cap sur les parcs

Le pays veut concilier protection de la nature et développement économique en lançant le tourisme vert. Les perspectives sont encourageantes.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 6 minutes.

On ne le répétera jamais assez : la forêt est l’une des principales richesses de l’Afrique centrale. Mais elle est en danger. Paradoxe : c’est au Gabon, là où le couvert forestier – 87 % du territoire – est le plus important et le moins menacé par l’activité humaine qu’ont été prises, il y a deux ans, les mesures de conservation les plus énergiques. Treize parcs nationaux, représentant 11 % de la superficie du pays, ont en effet été créés sur décision présidentielle le 1er août 2002, quelques jours avant l’ouverture du Sommet de la Terre de Johannesburg. Cette annonce a été immédiatement suivie de la création d’un organisme interministériel, le Conseil national des parcs nationaux, dirigé par René Hilaire Adiahéno. Le CNPN, placé sous la tutelle directe du chef de l’État, élabore et pilote la stratégie qui doit créer les conditions du développement d’un tourisme vert, et aider, ce faisant, à la diversification d’une économie restée étroitement tributaire de la rente pétrolière. Il a également assuré, en partenariat avec les ONG spécialisées, la formation de 65 gardes forestiers et guides. Enfin, il a procédé à la refonte du cadre juridique. « Il a fallu le mettre en conformité avec les normes internationales, d’inspiration anglo-saxonne, précise Franck Njimbi, responsable de la communication au CNPN, car c’était la condition pour accéder aux financements internationaux. C’était un gros travail. »
Les autorités gabonaises ont été sensibilisées à l’environnement la World Conservation Society, la WCS, une ONG américaine représentée sur place depuis 1989 par le biologiste anglais Lee White. Et par l’explorateur Américain Mike Fay, auteur d’un raid de 3 200 kilomètres à travers l’Afrique centrale, le Megatransect, et qui a multiplié les découvertes au Gabon. Celle par exemple du bai de Langoué, une clairière unique en son genre, longue de 1,5 kilomètre, sculptée par les troupeaux d’éléphants, où se mélangent des gorilles naïfs et de majestueux pachydermes. Le Gabon reste un sanctuaire presque inviolé et réserve encore bien des surprises. En archéologie par exemple. Richard Oslisly, archéologue et directeur de la programmation au WCS, a ainsi mis au jour des traces d’une présence humaine vieille de 400 000 ans, et recensé d’innombrables gravures rupestres préhistoriques sur les plateaux batékés. Des découvertes majeures qui bousculent les préjugés qui faisaient remonter le peuplement humain de l’Afrique équatoriale à seulement 20 000 ans. Des indices laissent d’ailleurs à penser que le gigantesque réseau de grottes karstiques (schistocalcaires) de l’est du pays, largement inexploré, pourrait renfermer des trésors plus extraordinaires encore, comme des restes d’hominidés vieux de 700 000 à 1 million d’années.
Lee White et Mike Fay ont réussi à attirer l’attention du président Omar Bongo Ondimba en essayant d’obtenir de lui un coup de pouce pour le classement en parc naturel de la réserve de la Lopé, une immense savane de 5 000 km2. « Nous avons organisé une projection et montré les images de nos découvertes au chef de l’État, se souvient Lee White. Il a été étonné, surpris par tant de beauté animale et végétale, par la variété de ces paysages dont la plupart étaient encore inconnus de l’homme. C’était comme s’il redécouvrait son pays. » Quelque temps plus tard, le président Bongo Ondimba convoque son gouvernement au grand complet, en présence des deux explorateurs et d’un représentant du WWF (World Wildlife Fund), et annonce son intention de classer les treize sites inventoriés. Une « divine surprise » qui a pris tout son monde de court. Mais un joli coup médiatique et politique, respectant de savants dosages régionaux (grosso modo, un parc par province, de façon que chacune des populations de l’intérieur puisse sentir les retombées futures), qui place le Gabon en pointe en matière de conservation de la nature – il est, après le Costa Rica, le pays du monde qui protège la plus grande partie de son territoire.
Enfin, la décision présidentielle a fait de Libreville le partenaire privilégié des États-Unis dans le cadre de l’initiative Bassin du fleuve Congo, un ambitieux plan de 53 millions de dollars, porté par les États-Unis et réalisé en collaboration avec l’Europe et le Japon pour « préserver le patrimoine écologique de l’humanité et lutter contre l’effet de serre ». Un plan, disent les mauvaises langues, infiniment moins coûteux à mettre en oeuvre pour la première puissance du monde que la ratification du protocole de Kyoto contre la pollution industrielle. Peu désireux d’entrer dans ce débat, les avocats des parcs naturels gabonais ont surtout vu la formidable opportunité de financements et de mobilisation internationale représentée par ce partenariat. Les réticences initiales des Européens et des Français, dont la première réaction a été de s’inquiéter d’un possible « cheval de Troie américain », sont cependant en train de s’estomper à mesure que le projet gagne en contenu et en lisibilité. La collaboration est maintenant jugée optimale par tous, la France s’impliquant beaucoup, et c’est elle qui va succéder aux États-Unis en tant que « facilitateur » du partenariat du Bassin du fleuve Congo à partir de début 2005. Le Gabon va enfin solliciter un concours financier de la Banque mondiale via le GEF, le Global Environnement Fund.
Très ambitieuses, les autorités gabonaises souhaitent s’appuyer sur les parcs nationaux pour lancer l’écotourisme haut de gamme, et lutter contre la pauvreté dans les provinces. Aujourd’hui, le tourisme se résume pratiquement au tourisme d’affaires et de conférences, et représente environ 3 % du PIB. Leur objectif est d’arriver à attirer 100 000 visiteurs par an d’ici à dix ans. « La chose n’a rien d’impossible, explique Christian Tchemambela, chargé du tourisme au WCS. D’autres pays y sont arrivés avant nous, le Costa Rica, le Belize, le Botswana ou la Namibie. Le Gabon a l’avantage de la diversité. On pourrait imaginer des circuits qui passeraient par la Lopé et Loango, les deux parcs les plus spectaculaires, et qui seraient modulés ensuite en fonction des centres d’intérêt des clients : oiseaux, baleines, singes, monde végétal, archéologie, trekking, spéléologie, ou même rafting, car le pays dispose de rapides navigables. »
« Les logiques de protection de la nature et du développement économique ne sont pas opposées, mais complémentaires, explique Richard Oslisly. Le tracé des parcs est réaliste et tient compte des réalités écologiques mais aussi humaines et économiques. Il n’y aura pas de conflit avec les villageois, car les zones protégées n’empiètent pas sur les territoires des communautés autochtones. Le Gabon a la chance d’être très peu densément peuplé. Le développement de l’écotourisme va au contraire permettre de créer des activités et d’offrir des débouchés aux gens de l’intérieur, qui sinon ont tendance à émigrer vers Libreville, la capitale, qui concentre déjà les deux tiers de la population du pays. Enfin, même si 800 000 hectares de concessions ont été retirés aux forestiers pour être classés, ce qui a provoqué quelques frictions, l’exploitation forestière n’est pas menacée, car quand elle est pratiquée de façon responsable, dans le respect de l’environnement, elle aide la forêt à se régénérer. »
Aujourd’hui, alors que seuls les parcs de la Lopé et de Loango sont fonctionnels, et accueillent déjà des visiteurs, le manque d’infrastructures, de voies de communication et la médiocre desserte aérienne du pays freinent le développement du tourisme. Les avions d’Air Gabon étant ces jours-ci une fois de plus cloués au sol, Air France, en quasi-monopole, pratique des tarifs dissuasifs, jouant la rentabilité à court terme. Pour être en meilleure posture pour négocier avec d’autres compagnies et des tour-opérateurs, le Gabon va donner la priorité aux aménagements des parcs et des infrastructures routières. Quand le produit existera, l’aérien suivra, c’est du moins le pari des autorités. Il suppose une volonté politique de tous les instants, notamment au moment de rendre les arbitrages budgétaires.

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