Le Sahel en 2022 : de lourdes incertitudes
L’année écoulée confirme les mauvaises tendances de ces cinq dernières années en matière d’insécurité. S’il est difficile d’imaginer de réels changements à court terme, le respect de quelques règles essentielles à l’action collective sahélienne et ouest-africaine pourrait permettre une amélioration.
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Gilles Olakounlé Yabi
Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).
Publié le 17 janvier 2022 Lecture : 6 minutes.
L’Afrique en 2022
L’année de tous les dangers ? Démocratie, sécurité, Covid-19, dette… Les signaux d’alerte et les motifs d’inquiétude se multiplient comme jamais depuis près de 20 ans. Il n’est pourtant pas trop tard pour réagir.
L’année 2021 s’est terminée comme elle avait commencé au cœur des pays du Sahel, dans une atmosphère qui mêle inquiétude, impuissance, désarroi, incertitude et colère. Cette dernière, intimement liée à l’incapacité d’agir face à la permanence de l’insécurité, s’exprime de plus en plus à l’égard des forces françaises. Un tête-à-tête étonnant de plusieurs jours entre des centaines de jeunes Burkinabè et un convoi de l’armée française bloqué dans sa progression a ainsi marqué les esprits en novembre dernier. Manifestations de colère de plus en plus organisées dans le contexte d’une zone prise dans les batailles d’influence entre l’ancienne puissance colonisatrice et ses rivaux, au premier rang desquels la Russie, qui fait un retour dans la coopération militaire dans la région.
Pratiques douteuses
La fin de l’année 2021 fut aussi celle de la montée en notoriété de l’entreprise russe de mercenaires Wagner, que l’Union européenne, sous impulsion française, a frappé de sanctions parce qu’elle est entrée en négociation avec le gouvernement de transition malien. La France, l’Union européenne et les puissances occidentales auraient découvert soudainement les pratiques douteuses des entreprises privées de sécurité qui les ont pourtant accompagnées dans plusieurs théâtres d’opérations à travers le monde. Ainsi, France, Union européenne, États-Unis d’un côté et, de l’autre, la Russie, ses annexes « privées » comme Wagner, la Turquie… et, plus près du terrain, l’Algérie, dont le sud jouxte le nord du Mali et ses groupes armés.
Des malheureux, qui ont perdu des proches, qui ont fui leurs villages, qui luttent pour survivre, le Sahel n’est pas près d’en manquer
En 2021, on se sera beaucoup passionnés pour la géopolitique du Sahel, les grandes rivalités et les multiples petites batailles d’acteurs africains et non africains, celles qui s’expliquent par de vrais enjeux de moyen et long terme et celles qui ne sont motivées que par la course aux profits de court terme, les rentes de l’insécurité, de l’instabilité, de la fragilité et de la dépendance. On le sait, l’insécurité, la violence et le chaos ne font que des malheureux. Et des malheureux, qui ont perdu des proches, civils ou militaires, qui ont fui leurs bourgades et leurs villages menacés par des groupes armés pour trouver refuge dans des villes secondaires ou jusque dans les capitales, ou qui luttent au quotidien pour survivre, le Sahel n’est pas près d’en manquer. Pour ceux-là, qui n’ont pas de Smartphones connectés à internet et qui ne s’expriment pas sur les réseaux sociaux, les complexités géopolitiques ont peu d’intérêt.
Ces populations du nord et du centre du Mali, du nord, de l’est et du centre du Burkina Faso, de l’ouest du Niger désespèrent de la récurrence des violences, d’où qu’elles viennent. D’autres, qui habitent dans des zones à la lisière des régions où prospèrent les groupes armés terroristes, ont peur. Cela ne concerne pas seulement les pays du cœur du Sahel. Au nord de la Côte d’Ivoire, au nord du Bénin, du Togo et du Ghana, ou au Sénégal dans la partie frontalière avec le Mali, les États, conscients de la menace qui se rapproche, renforcent leur présence sécuritaire aux frontières.
2021 aura confirmé les mauvaises tendances de ces cinq dernières années : hausse exponentielle des victimes civiles de la violence armée, extension géographique continue des zones de danger, concentration de la violence dans les régions frontalières, complexification de la carte des acteurs de l’insécurité, et jonction entre insécurité et instabilité politique des États.
Coup d’État au Mali en août 2020 puis « rectification » du coup d’État en mai 2021 ont permis au colonel Assimi Goïta et ses hommes de prendre clairement le contrôle de la transition. Personne ne sait à quoi ressemblera le pays en 2022. S’il est certain que les élections législatives et présidentielle ne seront pas organisées en février et mars, nul ne sait si elles auront lieu au second trimestre, au dernier trimestre ou pas du tout.
Au Burkina Faso – en très grande difficulté avec de larges pans de son territoire occupés par les groupes armés terroristes –, le pouvoir est critiqué de toutes parts et devra très rapidement afficher des signes de reprise en main au risque d’être menacé par une insurrection civile ou civilo-militaire. Le Niger apparaît comme moins vulnérable que le Mali et le Burkina Faso, mais il n’a point échappé à des attaques meurtrières contre ses soldats, ni à des massacres de populations civiles. Il n’a pas non plus fini de gérer l’insécurité dans les anciennes zones d’opérations de Boko Haram à la frontière du Nigeria.
La Mauritanie continue de se faire oublier, en se mouvant dans l’environnement régional avec une approche militaro-politico-religieuse pragmatique et jusque-là efficace. Il faut cependant se méfier de toute conclusion définitive sur le « modèle mauritanien ». Au Tchad, membre du G5 Sahel, l’incertitude politique est aussi forte qu’au Mali… Quand et comment se terminera la transition conduite par le général Mahamat Idriss Déby ? Ce dernier a déjà commencé à évoquer la volonté souveraine de Dieu lorsqu’on l’interroge sur son destin politique… Ce n’est pas bon signe. En 2022 se jouera l’avenir politique du Tchad pour une ou plusieurs décennies.
Gouvernance hasardeuse
Face à l’équation à multiples inconnues que représente l’évolution du Sahel au cours des douze prochains mois, trois impératifs me semblent fondamentaux, qui sont autant de repères souhaitables pour l’action publique et pour l’action collective citoyenne sahélienne et ouest-africaine.
Il est urgent de rééquiper moralement, humainement et matériellement les appareils de défense et de sécurité des pays du Sahel
Le premier est celui de repenser la réponse sécuritaire des pays de la région d’abord pour stopper l’extension des espaces investis par les groupes armés irréguliers. Il faut revenir à l’essentiel plutôt que de gaspiller davantage de ressources dans l’élaboration de documents stratégiques dont aucun n’est mis en œuvre correctement. La réponse sécuritaire ne suffit pas. Et une mauvaise réponse sécuritaire aggrave la situation. Cela est certain. Mais une réponse sécuritaire réfléchie et vigoureusement mise en œuvre reste primordiale.
Il est urgent de rééquiper moralement, humainement et matériellement les appareils de défense et de sécurité des pays du Sahel, et ceux des pays ouest-africains. Il faut commencer par s’assurer que les soldats ont des rations alimentaires décentes, des tenues adaptées, des armes et des munitions, un encadrement crédible et la considération qui permet à tout être humain de donner du sens à ce qu’il fait, surtout lorsqu’il doit être prêt à mourir en combattant des ennemis aguerris, motivés et entraînés.
Le deuxième impératif est de donner des signes forts et immédiats de changement dans la gouvernance politique et économique des pays de la région. Il faut être réaliste : il n’y aura pas de renouvellement des élites politiques, militaires et administratives à court terme. Mais il faut que ça change un peu, et qu’on en finisse au moins avec la gouvernance hasardeuse du secteur de la défense et de la sécurité. En clair, arrêter de détourner et de gaspiller des ressources rares.
Le troisième impératif, qui est transversal, est de travailler stratégiquement et avec cohérence au niveau des États, des sociétés civiles et des organisations régionales africaines. Il faut décloisonner la réflexion sur les enjeux vitaux de la région, partager les savoirs et se concentrer sur le « comment on fait » et « qui fait quoi ». Les conditions nécessaires de l’efficacité des réponses dans tous les domaines, ce sont les ressources humaines, ce sont les femmes et les hommes des pays du Sahel et du voisinage immédiat, leur intégrité, leur sens de l’intérêt général et leurs aptitudes individuelles et collectives.
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