Belges d’abord…

Alors que le pays s’apprête à fêter le cent soixante-quinzième anniversaire de son indépendance, la cohabitation entre Wallons et Flamands alimente le débat sur l’avenir du royaume.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 5 minutes.

A l’approche de son cent soixante-quinzième anniversaire, la Belgique, avec ses Wallons et ses Flamands, ressemble à un vieux couple qui, à force de s’accabler de reproches, arriverait au bord du divorce. « Le confédéralisme n’est plus très loin », diagnostique Jean Beaufays, professeur de sciences politiques à l’université de Liège. Cette éventualité, de plus en plus plausible pour beaucoup de spécialistes de la politique belge, marquerait la fin de l’État fédéral et aboutirait à l’instauration d’une Wallonie et d’une Flandre très largement indépendantes dans leur fonctionnement, qui détermineraient ce qu’elles veulent encore gérer ensemble : le plus petit dénominateur commun. Ces dernières années, les régions et communautés ont gagné beaucoup d’autonomie sous la pression des partis flamands, qui en demandent toujours plus. Économie, éducation et police font déjà en totalité (ou presque) partie de leurs attributions. Sécurité sociale, transports et justice sont dorénavant dans la ligne de mire… Si ces compétences de l’État fédéral sont cédées progressivement aux régions, celui-ci ne ressemblera bientôt plus qu’à une coquille vide, qui rendra inévitable l’avènement d’une confédération. Comment le pays a-t-il pu en arriver là ?
Pour comprendre le phénomène, un bref retour en arrière s’impose. Au début des années 1990, la Belgique, minée par une crise économique et politique, semble au bord du gouffre. Le moral des citoyens est au plus bas, et les revendications régionales s’affirment avec force. Pour diminuer la tension entre Wallons et Flamands, les politiques font évoluer le pays vers une fédération en juillet 1993. Cette mutation, au lieu d’apaiser les sujets du roi Baudouin, ne fait que les désorienter un peu plus. Tout comme la mort de celui-ci, un mois plus tard. Le lien transnational est en partie rompu par la superposition de sept niveaux de décision : l’État fédéral, les trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale) et les trois communautés linguistiques (néerlandaise, francophone et germanophone). L’État fédéral exerce les fonctions régaliennes (lois, justice, fiscalité, diplomatie, défense), tandis que les régions gèrent l’économie et que les communautés linguistiques ont compétence sur la langue et l’éducation. Sur le plan pratique, le système de superposition des pouvoirs, avec le partage de certaines responsabilités, comme la police, est un vrai casse-tête.
La révélation de scandales sexuels, et particulièrement l’affaire Dutroux, au cours de laquelle la gendarmerie royale et la justice, deux institutions encore unitaires, ont montré leurs lacunes, a continué à fragiliser le pays. L’augmentation du chômage et le manque de croissance ont fait le reste. Et donné des arguments à l’extrême droite.
« La Belgique est morte… » martèle Franck Vanhecke, le président du Vlaams Belang (ancien Vlaams Blok). « La Flandre n’a pas plus de points communs avec la Wallonie qu’avec la France ou la Finlande », poursuit-il, fustigeant les milliards versés chaque année à « l’économie socialiste wallonne ». Ces idées, pourtant radicales, trouvent un écho favorable auprès des partis traditionnels flamands, qui n’ont cessé de revendiquer plus d’autonomie pour leur région. La Flandre, privée de ressources naturelles, a su développer de grandes industries de transformation, notamment dans le textile, la pétrochimie, l’électronique, la construction, etc. Avec 58 % des habitants, contre 31 % pour la Wallonie, et l’essentiel des activités économiques, c’est aujourd’hui la région la plus importante du pays, et la plus riche. Elle réalise 80 % du chiffre total des exportations. Si bien que les dirigeants flamands considèrent que leur région subventionne les déficits de la Wallonie.
Forts de leur poids économique et démographique, les Flamands imposent progressivement leurs vues sur le fonctionnement de l’État fédéral aux francophones. Un juste retour des choses, pour une population qui a longtemps été dominée – et même humiliée – par une aristocratie francophone. En 1893, soixante-trois ans après sa naissance, la Belgique a enfin traduit sa Constitution en flamand. Aucun roi avant Léopold III, qui accéda au trône en 1934, ne parlait convenablement la langue du nord du pays. Sans compter les blagues et les taquineries de la vie quotidienne. « Quand je suis arrivé en Belgique dans les années 1970 pour étudier, les Wallons ne se cachaient pas pour se moquer de leurs compatriotes flamands », explique un journaliste haïtien qui vit en Belgique depuis trente ans. Aujourd’hui encore, les politiques flamands font comme s’ils étaient exploités par une petite communauté. Leur attitude a le don d’exaspérer les Wallons, bien placés pour savoir que le rapport des forces s’est inversé à leur détriment. Loin d’être récentes, ces querelles communautaires constituent le terreau sur lequel s’est organisée la construction du pays. Pas facile, en fait, de vivre ensemble quand on parle trois langues différentes, pratique plusieurs religions (catholique, protestante, musulmane) et qu’on ne partage pas les mêmes choix de société.
L’attelage formé par les libéraux et les socialistes depuis 1999 essaie, tant bien que mal, de restaurer la confiance dans les institutions et de résoudre les problèmes les plus cruciaux des citoyens par la recherche d’un large consensus. Mais les politiques, qui passent leur temps à se chamailler par médias interposés, donnent une image toujours aussi déplorable de leurs activités, discrédit amplifié par la lenteur administrative qui résulte de la complexité des relais institutionnels.
L’incapacité des dirigeants à enrayer la progression du parti nationaliste traduit leur impuissance à imposer leurs idées, alors que l’élargissement de l’Europe et la mondialisation malmènent de plus en plus la souveraineté nationale. La marge de manoeuvre des gouvernants sur le plan économique se réduit de plus en plus. Par ailleurs, les projets de société, que l’on soit flamand ou wallon, socialiste ou libéral, ne sont pas faciles à concilier dans le cadre de la coalition gouvernementale. Et surtout ne répondent pas suffisamment aux aspirations des citoyens.
Si le système fédéral est actuellement « chahuté », trois éléments concourent néanmoins à sa survie. Et tout d’abord Bruxelles. Enclavée en zone flamande, la capitale est à 70 % francophone, notamment en raison de l’immigration des dernières décennies et de la présence des institutions internationales. Les Wallons menacent de la conserver si le pays est scindé en deux, alors que les Flamands y sont attachés. Autre point fédérateur, l’Europe. Abritant la Commission, la Belgique se doit de montrer l’exemple et de faire taire ses divergences au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Et puis il y a, comme l’indique Armand De Decker, ministre de la Coopération au développement du Parti libéral, la popularité de la famille royale. Comme les Anglais et les Espagnols, les Belges semblent attachés à leur souverain, garant de l’unité du royaume.

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