Au rythme du continent

La communauté africaine fréquente assidûment le quartier bruxellois de Matongué. Autrefois miné par l’insécurité, ce lieu de vie et de rencontre a aujourd’hui retrouvé une véritable convivialité.

Publié le 6 décembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Imperméable beige, borsalino vissé sur son crâne dégarni, traits fins, barbe d’une semaine, accent belge, inévitablement… Le commissaire Jean-Louis Herzeele sort tout droit d’une BD. Un look sympathique qui contribue à la notoriété et à la bonne presse du personnage dans le quartier africain de Matongué. Mais le superflic d’Ixelles se distingue avant tout par les résultats de sa politique de prévention. En février 2001, un jeune dealer d’origine africaine est abattu par un policier lors d’une perquisition. La commune connaît trois jours d’émeutes. Ce que les politiques ont appelé « l’affaire Fololo » traduit l’exaspération des communautés africaines et des habitants de Matongué, où l’insécurité ne fait que croître depuis plusieurs années. Un endroit particulier cristallise toutes les tensions : la galerie marchande. « Les commerces fermaient les uns après les autres. Il n’était plus possible de travailler en raison des agressions physiques, du racket et de la vente de drogue. Les clients n’osaient même plus s’aventurer dans le quartier », témoigne Nicole Jocelyn, présidente de l’Association des commerçants de Matongué.
La nouvelle équipe socialiste de la commune d’Ixelles, fraîchement investie, décide de prendre le problème de l’insécurité à bras-le-corps. Elle crée une police de proximité et en confie la supervision à Herzeele. Un projet pilote à Bruxelles qui, dans un premier temps, cherche à rétablir le lien social entre communautés. À cette fin, les propriétaires de commerce, les associations de quartier et les éducateurs se regroupent, organisent des réunions. Ainsi naît l’Association des commerçants.
Pour renouer avec la jeunesse, la commune appuie la mise en place de l’observatoire Bayaya qui mobilise les aînés, affectueusement qualifiés de « grands frères ». La cellule policière de Matongué, appelée « antenne de prévention », travaille en étroite relation avec l’observatoire et l’Association des commerçants. À chaque incident, tout le monde monte au créneau pour apaiser les esprits et lancer la médiation. Dorénavant, la plupart des conflits se résolvent par la discussion. « Si nous n’avions pas entrepris, parallèlement, des opérations spectaculaires pour éliminer les trafiquants de drogue, nous n’aurions jamais pu obtenir ces résultats. À plusieurs reprises, la police a procédé à de vastes coups de filet pour arrêter les individus les plus dangereux », explique le commissaire.
Aujourd’hui, le quartier de Matongué revit, les commerces rouvrent et la sécurité est rétablie. Mais l’équilibre, précaire, mise sur des bénévoles dont le dévouement, pour certains, frise le sacerdoce. C’est notamment le cas de Ngyes Lazalo Ndoma, le coordinateur de l’observatoire Bayaya. « J’interviens à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pour des bagarres, des querelles entre conjoints ou adolescents. » À peine a-t-il le temps de terminer sa phrase que, déjà, on l’appelle pour une rixe dans la galerie marchande. Une banale affaire de vente de voiture entre deux Congolais – le propriétaire n’ayant pas fourni les papiers du véhicule – qui finira par une vitre cassée. Des interventions rapides et mesurées permettent d’éviter le pire. Matongué est une zone particulièrement animée. Pendant d’un quartier éponyme à Kinshasa, c’est le lieu de rencontre des Africains le week-end. Ces derniers viennent se faire coiffer et acheter les produits « du pays » dans les magasins ethniques. « La commune d’Ixelles compte déjà 170 nationalités différentes pour 76 000 habitants. Mais, en fin de semaine, elle est investie par des visiteurs africains qui viennent du nord de la France, des Pays-Bas ou d’Allemagne », explique Pierre Lardot, échevin de la commune. Un vrai melting-pot, dans un espace très réduit. « Matongué, c’est 20 rues, 400 commerces, où 5 000 à 10 000 personnes se croisent dans la journée », précise Herzeele.
Une proximité dangereuse : les affrontements peuvent vite « tourner au vinaigre ». Depuis quelques mois, on assiste à un regain de tension entre Rwandais et Congolais. Le quartier est le miroir des événements qui se produisent sur le continent. En juin dernier, plusieurs Rwandais ont été agressés par leurs voisins congolais à la suite de troubles survenus dans l’est de la RDC, dans lesquels Kigali était suspecté d’être partie prenante. Mais ces actions ont vite été circonscrites par la police de proximité et les associations du quartier, grâce au dialogue. La tension n’est pas retombée pour autant. Les propos du ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, sur les responsables politiques congolais ont provoqué des manifestations entre partisans et opposants du régime kinois. En fait, le quartier vit au rythme du continent. Preuve que les Africains d’Europe n’ont rien perdu de leurs racines ni de leurs convictions.

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