Un grand bond en avant

Pour soutenir les objectifs de croissance, les autorités misent sur la hausse du commerce extérieur.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Le 19 septembre à Tunis, plus de 1 500 opérateurs économiques et représentants du gouvernement se sont retrouvés pour la clôture de la Consultation nationale sur l’exportation, lancée quatre mois plus tôt au niveau des régions. Rarement on a vu une politique gouvernementale mise à plat sur une aussi large échelle. Chacun a pu exprimer ses opinions librement, poser des diagnostics peu complaisants et faire des propositions de qualité. Rarement les responsables politiques, avec à leur tête le Premier ministre Mohamed Ghannouchi et le ministre du Commerce Mondher Zenaidi, ont fait preuve d’une telle capacité d’écoute. Pour Mohamed Ghannouchi, « il est nécessaire de connaître les points faibles, c’est nécessaire pour y remédier et avoir une vision d’avenir ». « Des débats comme celui-là, on en veut encore », commentait un exportateur présent.
Il est vrai qu’il s’agissait de débattre de la politique en matière d’exportations, un secteur économique vital pour le pays puisqu’il représente 50 % du produit intérieur brut. Pour schématiser, dans ce pays qui, contrairement à ses voisins algérien et libyen, ne dispose pas de ressources naturelles très abondantes, un Tunisien sur deux vit d’activités liées à l’exportation de biens et services. Au cours des trente dernières années, les Tunisiens ont petit à petit retrouvé les réflexes de leurs ancêtres phéniciens lorsque Carthage dominait le commerce international dans la Méditerranée occidentale et au-delà du détroit de Gibraltar. C’était il y a plus de vingt siècles, et l’histoire ne se répète pas toujours. Mais la Tunisie a, depuis les années 1970, retrouvé cette vocation. « La culture de l’export, a rappelé Ghannouchi, existe dans nos gênes depuis Carthage. » Sauf que la Carthage phénicienne excellait dans le seul négoce, alors que la Tunisie actuelle, tout en ambitionnant de redevenir un centre de commerce international, dispose d’une économie productrice diversifiée. Chaque année, cette tendance se renforce à tel point que la croissance des exportations est supérieure d’au moins quatre points à la moyenne mondiale. Au cours de la dernière décennie (1995-2005), cette croissance moyenne a été supérieure à 11 % par an et elle devrait se situer entre 12 % et 13 % en 2006. Ces performances sont le résultat d’un « parcours du combattant » qui a démarré en 1972 avec l’adoption d’une loi révolutionnaire accordant un statut offshore et des avantages fiscaux aux entreprises exportatrices, qu’elles soient résidentes ou non résidentes. En vingt-cinq ans, la valeur des exportations a été multipliée par 11, et près de 70 % proviennent des entreprises à statut offshore où l’investissement direct étranger est dominant.
Mais il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers. L’impératif est donc d’anticiper suffisamment sur les évolutions à venir pour consolider les acquis et conquérir de nouveaux marchés. D’où l’intérêt de cette consultation avec les opérateurs. La mondialisation impose d’abord que l’on adapte la stratégie des opérateurs et des administrations aux démantèlements douaniers prévus par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En 2008, toutes les barrières douanières et autres seront complètement levées, conformément à l’accord d’association signé en 1995 avec l’Union européenne, qui absorbe 80 % des exportations tunisiennes. Dans ce contexte, la concurrence internationale devient de plus en plus vive. C’est pourquoi le gouvernement, les structures d’appui, les producteurs et les exportateurs (ils sont 5 400), associés aux organisations professionnelles et aux partenaires du secteur financier, ont contribué à ce diagnostic. Et un groupe de cinq universitaires, représenté par le professeur Mongi Boughzala, a fait des recommandations susceptibles de faciliter ce que certains appellent déjà le « grand bond en avant » des exportations tunisiennes.
Pour Ghannouchi, le pays doit acquérir « une capacité à encaisser les chocs ». C’est notamment le cas dans le secteur du textile, qui plie mais ne rompt pas face à la déferlante des produits chinois consécutive au démantèlement des barrières douanières intervenu à la suite de l’extinction des accords multifibres (AMF) le 1er janvier 2005. En 2005, les exportations du textile-habillement ont baissé de 1 %, et leur part dans le total des exportations est passée à 32,6 % en 2005, contre 37,2 % en 2004. Ici comme dans beaucoup d’autres secteurs, la Tunisie ne peut indéfiniment maintenir sa compétitivité sur les produits standards, et doit donc se positionner davantage sur les créneaux de la haute qualité. Dans l’avenir, il faut, dit Ghannouchi, se spécialiser dans les filières à haute valeur ajoutée et les créneaux porteurs, comme c’est déjà le cas dans les industries mécaniques et électriques, mais aussi pour les technologies de l’information et de la communication. Pour cela, il est nécessaire d’améliorer la compétitivité et la capacité de commercialisation des produits tunisiens par les entreprises, dynamiser le rôle des structures d’encadrement et d’appui et faciliter encore plus les procédures d’exportation.
Selon les orientations du XIe plan de développement économique (2007-2011) en cours d’élaboration et les perspectives à l’horizon 2020, l’objectif premier est de porter le taux de croissance économique à 6 % ou 7 % pendant les vingt prochaines années, contre 5 % en moyenne annuelle au cours des deux dernières décennies. Pour atteindre cet objectif, le taux annuel moyen de la croissance des exportations de biens et services d’ici à 2016 doit progressivement passer de 6,6 % à 7,4 %. Sur cette base, la contribution des exportations à la croissance atteindra 41 % en 2011, et même 47,7 % en 2016, contre 30 % en moyenne au cours des cinq dernières années. Le déficit structurel de la balance commerciale représenté par le taux de couverture des importations par les exportations devrait passer de près de 80 % en 2005 à 95 % à l’horizon 2020.
Objectifs ambitieux ? « Notre destin est d’être un pays exportateur, martèle le Premier ministre, et, pour cela, notre objectif pour les vingt prochaines années est d’entrer dans le cercle vertueux d’une croissance plus soutenue. »

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