Un abbé dans la tourmente

Tous les regards sont aujourd’hui rivés sur la Commission électorale indépendante. À sa tête, Apollinaire Malumalu doit annoncer les résultats du second tour de la présidentielle d’ici au 19 novembre.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 7 minutes.

« Vous voulez du rêve ou la réalité ? » Répondant aux premières critiques au lendemain du second tour de l’élection présidentielle congolaise du 29 octobre, le président de la Commission électorale indépendante (CEI), l’abbé Apollinaire Malumalu, n’a rien perdu de sa combativité et de sa répartie. Dans un pays sans routes, dépossédé de ses ressources naturelles et dévasté par six années de guerre suivies d’une périlleuse transition, l’organisation d’un scrutin pouvait relever de la gageure. Plus de 50 000 bureaux de vote répartis sur l’ensemble du territoire, dont certaines zones (notamment dans l’Est) sont encore contrôlées par des groupes armés, une vive tension alimentée par les extrémistes des deux camps… on pouvait craindre le pire lors de ce face-à-face Joseph Kabila/Jean-Pierre Bemba. Finalement, malgré les incertitudes, la République démocratique du Congo (RDC) continue à croire au suffrage universel.
« Tout le monde sait que les Congolais veulent la paix. Pour mettre fin à l’arbitraire et à l’impunité, il faut stabiliser les institutions. Et cela passe par des élections afin de résoudre la crise de légitimité du pouvoir », résume le président de la CEI. Nommé à ce poste en juin 2003 comme représentant de la société civile par un comité réunissant l’ensemble des sensibilités politiques, ce prêtre âgé de 45 ans appartient à l’ethnie nandée. Il a vécu la guerre dans sa province du Nord-Kivu (nord-est du pays). Né dans le village de Muhangi, ce fils d’instituteur et d’animatrice sociale s’est très vite démarqué par ses aptitudes scolaires. Envoyé au petit séminaire de Musyenene, le jeune élève se passionne pour la théologie. Sa voie est tracée. Après avoir obtenu le bac en 1979, il part à Béni pour étudier la philosophie puis rejoint le grand séminaire de Murhesa près de Butembo, en 1982. À la fin des années 1980, il part en France pour passer notamment une thèse en sciences politiques à Grenoble et enseigner le droit ainsi que les relations internationales à Lyon. Travailleur infatigable, il est également curé dans la commune de Monestier-de-Clermont, de 1992 à 1997.
De retour au pays, il retrouve un Congo dévasté par les clivages ethniques et la violence armée. Nommé recteur de l’Université de Butembo en 2000, il dit s’être « beaucoup inspiré du parcours de Mgr Emmanuel Kataliko, qui a fait preuve d’un courage admirable », confie l’abbé Malumalu. L’évêque de Bukavu a vécu les pires heures de la guerre et de l’invasion rwandaise avant de trouver la mort dans des conditions qui n’ont jamais été élucidées. Pour tourner la page et permettre la réconciliation du pays, « nous proclamerons le verdict des urnes, quoi qu’il en coûte », affirme celui qui a dû monter dans un blindé de la Mission des Nations unies (Monuc), le 20 août, pour éviter les tirs et annoncer les résultats du premier tour dans les studios de la télévision nationale. Le vainqueur du second tour sera, lui, connu le 19 novembre au plus tard. D’ici là, il convient d’assurer le bon déroulement du dépouillement et prouver l’indépendance de la CEI.
Originaire de l’Est où le président Kabila a fait le plein des voix lors du premier tour, travaillant en étroite collaboration avec les représentants de la communauté internationale, l’abbé Malumalu est soupçonné de préférer le camp du président sortant. « Mon lien avec le chef de l’État est un mythe qui me colle à la peau. Avant d’être président de la CEI, je ne l’avais rencontré qu’à quatre reprises. Qui plus est, jamais en tête à tête, mais toujours au sein d’une délégation de la société civile », affirme-t-il. Quant au rôle de la communauté internationale qui a décaissé 450 millions de dollars, « un pays doit reconnaître ses limites, estime-t-il. Nous ne pouvions refuser cette aide, mais ces élections sont pilotées par les Congolais ». Le discours est en place même si seule la transparence du scrutin mené à son terme permettra de vérifier l’impartialité de son auteur. En attendant, la pression est très forte et les tentatives de déstabilisation nombreuses.
Malumalu peut heureusement compter sur ses plus proches collaborateurs. Discret mais très efficace, son directeur de cabinet, Guillaume Gatsongo, est un spécialiste des finances qui entretient de nombreuses connexions dans les milieux politiques. C’est sans nul doute un élément modérateur dans les discussions serrées entre la CEI et les états-majors de campagne des deux candidats. Toujours à ses côtés lors des conférences de presse et autres réunions de concertation, Delion Kimbulungu est beaucoup plus qu’un simple porte-parole. C’est lui qui entretient de bonnes relations avec les médias congolais, toujours friands de rumeurs infondées. Ancien chargé de communication au ministère de la Défense après avoir couvert le conflit dans l’est du pays, ce journaliste brillant a du métier. Et sait se mettre au service du patron pour saluer « son esprit visionnaire ainsi que son talent pour gérer les situations de crise sans jamais paniquer ».
De fait, toujours flanqué de gardes du corps à cause des menaces récurrentes dont il fait l’objet, l’abbé Malumalu affiche en toute occasion une sérénité à faire pâlir d’envie n’importe quel dirigeant politique. Levé dès l’aube, couché au beau milieu de la nuit, le prêtre trouve encore le temps de prier et de célébrer la messe, « au moins le dimanche, précise-t-il. Je travaille au nom de la foi et j’arrive à me libérer de la peur », confie-t-il avant de souligner le fonctionnement collégial de la CEI. Ce qui permet de ne pas être seul en première ligne.
La supervision des opérations de vote et l’annonce des résultats relèvent d’un bureau composé de huit membres. Exceptée l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de l’opposant historique Étienne Tshisekedi qui a boycotté le processus électoral, les principaux partis politiques y sont représentés. La première vice-présidente, Marie-Rose Mika, est une magistrate « bembiste » désignée par le Mouvement de libération du Congo (MLC). Le second vice-président, Norbert Basengezi, a été gouverneur du Sud-Kivu de 1998 à 2002 et membre du parti d’Azarias Ruberwa, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Le troisième vice-président, Crispin Kankonde, est un « kabiliste » issu du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Quant au rapporteur, Dieudonné Mirimo Mulongo, il appartient à la composante Maï-Maï. Mais tous affirment « avoir coupé le cordon ombilical ». « Nous avons toujours procédé par consensus et cela fonctionne très bien. Nous n’avons plus de contacts avec nos partis respectifs », assure Kankonde. « Nous partageons le même sort », ajoute Mulongo.
Cette unité de façade a malgré tout volé en éclats lors du premier tour, la première vice-présidente n’ayant participé à aucune délibération. « Sept personnes contre une seule, cela ne servait à rien que je sois présente », explique aujourd’hui Marie-Rose Mika. Le contentieux portait notamment sur la désignation des agents électoraux et la gestion des centres de compilation des résultats (voir encadré) confiée aux confessions religieuses. Le lien privilégié entre l’Église catholique et l’abbé Malumalu a fait l’objet de toutes les accusations du côté du MLC, qui n’a cessé de dénoncer des irrégularités. Cette thèse peut paraître surprenante si on s’appuie sur les interpellations très vives adressées à la CEI, en juillet dernier, par le président de la Conférence épiscopale, Mgr Laurent Monsengwo. « Il était dans son rôle, mais depuis nous nous sommes expliqués. S’il avait voulu me désavouer, il serait passé par mon évêque de Butembo, Mgr Sikuli Melchisedch », explique Malumalu. « Cette mise en cause du MLC était sans fondement et, aujourd’hui, la crise est passée », argumente le porte-parole, Kimbulungu, qui précise que les catholiques ne sont qu’une composante des Églises congolaises dominées par les évangélistes. L’heure serait donc à l’apaisement. La vice-présidente s’est engagée à siéger tandis que les deux candidats partis à la bataille ont été abondamment associés à la préparation du scrutin pour assurer son bon déroulement.
Le PPRD et le MLC ont déployé chacun cent mille témoins dans les bureaux de vote et peuvent ainsi procéder à leur propre compilation grâce à des copies de tous les PV de dépouillement mises à leur disposition. « C’est la meilleure formule pour éviter la suspicion », estime un observateur. Cela a par ailleurs facilité la signature d’une déclaration de bonne conduite dans laquelle les deux parties se sont engagées à respecter le verdict des urnes et à protéger le perdant. Encore faudra-t-il tenir parole. S’appuyant sur leurs propres calculs, les équipes de campagne font circuler les premières tendances claironnant victoire. De quoi échauffer les esprits en fournissant des munitions à ceux de leurs partisans les plus remontés. « Leurs données sont prévues pour vérifier notre travail, non pour une autoproclamation qui ne respecte pas les règles du jeu », souligne l’abbé Malumalu, qui en appelle à la responsabilité de chacun afin de ne pas créer « un climat de tension inutile ».
Sera-t-il entendu ? Il serait dommage que le travail entrepris par le prêtre de Butembo soit compromis par le comportement de l’un ou l’autre camp. En tout cas, l’homme a des projets personnels qu’il compte mener à bien une fois le processus électoral achevé. Il souhaite profiter de son expérience à la CEI pour se consacrer au développement du Congo. « Espérons que les acteurs politiques ne gâchent pas tout cela, conclut-il. Car la reconstruction du pays est en marche. »

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