Être un pays développé

La hausse des investissements, notamment venus du Golfe, donne un nouveau crédit à la vision stratégique des autorités pour 2030.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Mais qu’est-ce que c’est que ce « petit palais » qui vient de sortir de terre en un temps record à la sortie sud de Tunis ? La question est sur toutes les lèvres dans la capitale tunisienne en cette fin d’octobre. Édifié en moins de deux mois par une grande entreprise de travaux publics locale, ce « petit palais » est destiné à abriter le siège de Sama Dubaï, filiale de Dubaï Holding consacrée à l’immobilier. Avec un partenaire local, Sama se propose de réaliser sur ce site d’une centaine d’hectares un mégaprojet d’urbanisation des berges et des alentours. Il aura notamment pour caractéristique de réconcilier la capitale avec son front de mer. Le coût serait de plus de 10 milliards de dollars. Non loin de là, sur une superficie de 250 hectares située du côté de la station balnéaire du Kram, c’est le groupe émirati Abou Khater, également associé avec un partenaire local, qui se propose de réaliser un nouveau quartier, dont la maquette a été présentée au président Ben Ali le 20 septembre.
Dans le sillage de Dubaï Holding, qui a acquis en juillet 35 % du capital de l’opérateur national Tunisie Télécom, les fonds d’investissement du Golfe tiennent le haut du pavé à la Bourse de Tunis. Après leur entrée dans le capital de la compagnie privée Karthago Airlines, ils achètent depuis deux mois les actions flottantes de Tunisair, dont les cours ont augmenté de plus de 50 % en quelques semaines. Ailleurs à l’intérieur du pays, Eemar, un autre groupe émirati planifie de réaliser une station touristique à Hergla, au nord de Sousse. « La liste des projets que des investisseurs du Golfe veulent lancer en Tunisie va s’allonger encore, confie un homme d’affaires tunisien impliqué dans les tractations en cours. Ils veulent diversifier leurs placements en pétrodollars, et la Tunisie est un site qui les intéresse particulièrement. » Selon le rapport annuel de la Banque centrale, les investissements directs en provenance de ces pays ont atteint 200 millions de DT en 2005. Le double des montants enregistrés il y a cinq ans. Mais ce n’est qu’une bagatelle à côté des 17 milliards de dollars attendus dans les projets déjà connus. S’appuyant sur l’augmentation prévue des voyages d’affaires entre Tunis et les pays du Golfe, la compagnie Emirates Airlines a inauguré le 29 octobre 2006 une liaison Dubaï-Tunis à raison de cinq vols hebdomadaires.
Du côté des opérateurs européens, très présents en Tunisie depuis trois décennies avec quelque 2 600 entreprises, les annonces se succèdent : ceux qui sont déjà implantés étendent leurs activités alors que de nouveaux arrivants, pour ne pas voir s’éroder leur compétitivité face à la production asiatique, envisagent de s’implanter durablement. L’allemand Fuba, spécialisé dans les circuits imprimés, devait inaugurer le 3 novembre l’extension de son usine de Menzel Jemil pour en doubler la capacité. Le français Sagem renforce les activités de son usine implantée en 2005 et qui emploie plus de 1 000 personnes. L’imprimerie Lefrancq délocalise une unité de pliage. Quant à Benetton, il veut élargir sa plate-forme de confection avec deux nouvelles unités et un investissement de 22 millions d’euros.
D’où l’intérêt que le gouvernement porte aux infrastructures avec toute une série de grands projets résolument tournés vers l’extérieur. Ils ne doivent pas seulement servir la vocation exportatrice et touristique du pays, mais aussi sa position géostratégique : il s’agit de positionner le pays comme véritable hub méditerranéen. Ce qui nécessitera pas moins de 10 milliards de DT d’investissements (surtout étrangers). Premier concerné, l’aéroport d’Enfidha, entre Hammamet et Sousse. Au départ, sa capacité sera de cinq millions de passagers, mais elle pourrait être augmentée si la nouvelle plate-forme s’impose comme une escale du trafic aérien Nord-Sud et Est-Ouest. Idem pour le port en eau profonde à Hergla, non loin de là, conçu pour être un centre de transbordement de conteneurs au cur des routes maritimes de la Méditerranée, ou encore pour la raffinerie du terminal pétrolier de la Skhira, sur le golfe de Gabès, qui pourrait aussi exporter des produits raffinés.
Est également prévue une montée en puissance des infrastructures locales pour desservir les futurs sites. Le pont enjambant le Lac Sud et reliant la banlieue nord de Tunis et le port de la Goulette à Radès pour accéder à l’autoroute du Sud sera opérationnel l’an prochain. Son coût : 140 millions de DT. Du Nord au Sud, vers la frontière avec la Libye, d’Est en Ouest, vers l’Algérie, la construction de nouveaux tronçons d’autoroutes se poursuit. Celui Nord-Sud entre Msaken et Sfax, d’un coût de 430 millions de DT, sera en fonctions en novembre 2007. Vers l’Est, celui entre Tunis et Béja vient d’entrer en service.
Les investisseurs du Golfe, comme ceux venant d’Europe, ne pouvaient pas tomber mieux pour s’intégrer à la nouvelle vision stratégique de la Tunisie. À la veille du démarrage, début 2007, de la mise en uvre du XIe plan de développement économique (2007-2011) qui, lui-même, se place dans le cadre du Programme présidentiel pour l’horizon 2030 et fait partie des Perspectives décennales 2006-2016, la Tunisie se fixe en effet comme objectif premier de rejoindre, à l’horizon 2030, le statut de pays développé. Dans un entretien avec Jeune Afrique, Mohamed Nouri Jouini, ministre du Développement économique et de l’Investissement extérieur, le confirme : « Notre objectif est de rejoindre le groupe des pays membres de l’OCDE d’un niveau moyen comparable à celui de la Tunisie, tant par la taille que par la démographie, comme le Portugal. » Pour cela, le revenu moyen par habitant doit doubler, passant d’environ 4 000 à 8 000 DT, à prix constants. Le taux de chômage, notamment celui des jeunes diplômés, devra être ramené de 14 % en 2005 à 10 % en 2016. Il faudra alors avoir un taux de croissance plus important que la moyenne de 5 % par an enregistrée au cours de la dernière décennie, et passer à 6,1 % dans les cinq prochaines années et 6,5 % dans les cinq années suivantes. « Pour gagner 1,5 % de plus, indique le ministre, il faudrait de nouvelles sources de croissance, dans le secteur agricole, énergétique, industriel, mais surtout dans les nouveaux secteurs des services et des technologies de l’information. Il nous faut aussi, ajoute-t-il, doubler le flux des investissements directs étrangers à l’horizon 2016. » Cela revient à passer de 1 100 millions de DT en 2006 à une moyenne de 1 800 millions de DT par an dans les cinq prochaines années pour atteindre 2 300 millions de DT en moyenne annuelle pendant les cinq années suivantes jusqu’en 2016. En d’autres temps, on aurait dit que ces objectifs sont irréalistes. Depuis que les investisseurs du Golfe sont là, on commence à y croire.

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