« Tout ce qui brille »

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Les dirigeants politiques des pays africains sont (presque) tous aujourd’hui à Pékin, capitale de la Chine, pour participer au « Forum sur la coopération sino-africaine », qui se tient tous les trois ans.
La Chine fascinait déjà dans les années 1960, alors qu’elle était encore très pauvre. Dirigé par Mao Zedong et Chou Enlai, ce très grand pays avait déjà fait de sa capitale un lieu de pèlerinage. Mais, à l’époque, s’y rendaient surtout les jeunes, car, en ces temps-là, les dirigeants adultes prenaient plutôt le chemin de Washington, où flamboyait John Fitzgerald Kennedy
Cette Chine des années 1960 s’intéressait déjà à l’Afrique et le Premier ministre Chou Enlai avait fait le tour du continent en 1964, pour l’attirer vers le communisme chinois – et l’écarter de l’Occident comme de l’Union soviétique.

La Chine n’a pas de passé colonial et ses dirigeants actuels mettent en avant qu’ils ne s’immiscent pas dans les affaires intérieures des pays africains, respectent leur souveraineté. Mais, au-delà du discours officiel, c’est d’abord le sous-sol africain qui intéresse la Chine d’aujourd’hui, le marché constitué par le continent vient ensuite et, en dernier lieu, les voix dont il dispose – et peut donner – dans les instances internationales.
Pour les dirigeants chinois d’avant-hier comme pour ceux d’aujourd’hui, l’Afrique est donc objet, pas vraiment partenaire. À qui la faute, sinon aux Africains eux-mêmes, qui ne sont pas (encore) les acteurs de leur histoire ?
Mais cette Chine qui brille de tous ses feux, nous fascine par les succès économiques qu’elle accumule et par son « come-back » à grande allure est-elle, pour les Africains, cette fois-ci, le bon modèle ?

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Je rappelle aux jeunes qui s’émerveillent de la voir gravir quatre à quatre les marches vers une grandeur à retrouver :
– que la Chine d’hier a déjà ensorcelé leurs parents, mais s’est révélée être un modèle en toc ;
– que celle de 2006 est encore dirigée par ce parti communiste blanchi sous le harnais et dont nul ne sait quand il dira (aux Chinois et au monde) qu’il se résigne à mettre fin à l’ère du parti unique accapareur-de-tous-les-pouvoirs et qui-a-toujours-raison.

S’agissant de l’ancien Tiers Monde (devenu deuxième), je suis pour ma part plus intéressé par l’exemple moins spectaculaire qui nous est donné par trois belles démocraties – une pour chacun des trois grands continents : l’Asie, l’Afrique et l’Amérique.
Elles ont à leur tête, en ce moment, trois hommes sérieux, mais qui ne prétendent pas à la flamboyance et conduisent une politique économique (et sociale) courageuse : respectant les lois d’airain du capitalisme et les « fondamentaux » qu’elles imposent, ces trois dirigeants ont obtenu pour leur pays une croissance économique substantielle, saine et durable, qui leur permet de faire reculer la pauvreté, objectif déclaré de leur politique.
Je parle bien évidemment du Brésil, où le président Luiz Inácio Lula da Silva vient de se faire réélire ; de l’Afrique du Sud, qui revient de très loin, comme nous l’a rappelé la mort, ce 31 octobre, dans son lit, à 90 ans, de Pieter Botha – dernier chef du régime de l’apartheid – ; et de la République indienne, à laquelle nul ne conteste le statut de plus grande démocratie du monde.
Ces trois pays se sont reconnus puisqu’ils se sont regroupés au sein d’un forum de dialogue, l’Ibas – Inde-Brésil-Afrique du Sud -, et que leur premier sommet s’est tenu à Brasília le 13 septembre dernier (voir photo).
Ils y ont glorifié les valeurs pluralistes qui les rapprochent et les relations Sud-Sud auxquelles ils se sont dits attachés. L’objectif qu’ils se sont fixé est audacieux : « modifier la géographie commerciale du monde pour parvenir à une meilleure redistribution des richesses ».

Regardez ci-dessous le tableau et le graphique qui décrivent leurs performances économiques et celles de la Chine depuis 1990 : la Chine fait mieux, certes, mais les trois démocraties font mieux qu’on aurait pensé.
La pauvreté y recule lentement, trop lentement. Mais ce recul de la pauvreté s’est maintenu d’une année sur l’autre tout au long des dix-huit années (1990-2007) : plus d’une demi-génération. Grâce aux progrès de l’éducation, l’ascenseur social a fonctionné tout au long de cette période et, peu à peu, s’est constituée, dans chacun des trois pays, cette fameuse classe moyenne, colonne vertébrale de tout régime démocratique.
Je pense qu’il vous intéressera d’apprendre, si vous ne le saviez déjà, que des enquêtes d’opinion ont été menées dans chacune des trois républiques, dans lesquelles on a posé aux citoyens la question suivante : accepteriez-vous de renoncer à vos libertés démocratiques (ou à une partie d’entre elles) contre une croissance économique deux ou même trois fois plus rapide, à la chinoise ?
Dans les trois pays, la grande majorité des personnes interrogées ont répondu par un « non » sonore et assuré : dès lors qu’on a le pain quotidien, les libertés deviennent l’acquis auquel on ne veut plus renoncer et qu’on met au-dessus du bien-être matériel.
En ce début de XXIe siècle, la démocratie est donc bien devenue le stade suprême de la politique.

Il est dommage que cette simple vérité soit encore méconnue par beaucoup trop de ces dirigeants africains, aujourd’hui en pèlerinage à Pékin : le « modèle » chinois, au demeurant inaccessible, leur sert de justification, plus exactement d’alibi, alors que la toute proche Afrique du Sud devrait être pour eux l’exemple à suivre
Elle l’est pour leurs peuples.

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(Voir pp. 30-31 l’article d’Alain Faujas sur le Brésil de Lula.)

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