Si Royal m’était contée

Dans Les Éléphants malades de la peste*, le journaliste Philippe Alexandre tente d’expliquer le phénomène « Ségo » à travers quelques anecdotes.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Pompidou disait : « La politique n’a rien de scientifique. Quand le courant passe, vous pouvez faire élire une chèvre. » La magie, le magnétisme et la chance sont des éléments injustement sous-estimés de l’équation politique. Et, en la matière, Ségolène Royal n’est pas en reste.
La présidente socialiste de Poitou-Charentes a sept frères et surs. Antoine, son cadet, serait un peu médium. Il raconte au journaliste Philippe Alexandre : « J’ai une espèce de double vue. Je vois exactement tout ce qui va m’arriver plus tard. Encore enfant, j’ai vu que Ségolène serait présidente de la République. » Le journaliste lui fait remarquer qu’à l’époque, dans les années 1960, on ne féminisait pas encore toutes les fonctions. Le petit frère insiste : « Non. Je vous dis présidente. C’est peut-être absurde, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Et je lui répétais : Toi, un jour, tu seras présidente de la République. »
En mai 2006, Philippe Alexandre déjeune avec François Rebsamen. Le maire de Dijon est aussi discret que puissant au sein du Parti socialiste (PS), dont il est officiellement le numéro deux. Il témoigne de ce jour de la fin mai 2005, à quelques jours du référendum, où elle était venue en Bourgogne plancher sur l’Europe devant un parterre de militants et d’experts. « Elle a posé quelques fiches devant elle et elle a parlé pendant trois bons quarts d’heure. La salle s’est levée pour l’applaudir. » Ce soir-là, « Rebs » téléphone à son ami François Hollande : « Il se passe quelque chose. Elle a établi un vrai contact avec des militants qui ne la connaissaient pas. Une sorte de charme. Et elle a convaincu tout le monde qu’elle n’en resterait pas là. »
À la demande de Hollande, Jack Lang devient le promoteur de l’opération « Adhérez au PS pour 20 euros ». Le billet de banque bleu devient un précieux sésame au sein du parti rose, puisque les adhérents à jour de leur cotisation auront le droit d’élire leur candidat à l’Élysée. C’est un miracle : 80 000 personnes rejoignent un parti qui comptait moins de 120 000 membres. Jack Lang, qui se sent plus aimé dans le grand public que chez les vieux militants du parti, est aux anges. Ces néosocialistes, il en est convaincu, seront ses fans. Las ! Un sondage révèle que 30 % à 40 % des néos voteront Royal Le boomerang de la carte à 20 euros s’écrase sur le nez de Lang, qui était pourtant le seul à revendiquer une cote d’amour comparable à celle de la « Dame-aux-désirs-d’avenir ».
On ne dira jamais assez ce que Royal doit à Mitterrand, à quel point celle qui fut son obscure conseillère à l’Élysée s’est inspirée de son ancien maître. On surnommait Jean-Christophe Mitterrand, le fils aîné du président, « Papa-m’a-dit » ; Ségolène pourrait être « Papa-m’a-appris » ou « Ce-que-j’ai-appris-de-papa ».
Par sa loi de décentralisation de 1982, François Mitterrand a (ré)inventé les régions – et fait les barons qui les dirigent. Michel Sapin, ami du couple Hollande-Royal et ancien ministre de Mitterrand, est bien placé pour en parler : « [Les régions s’occupent] des lycées, des transports, de la culture, les trois domaines qui concernent le plus la population. » Selon lui, le coup de génie de Ségolène – le positionnement qui la lance définitivement dans la course à la présidentielle – est régional : « Ségolène a littéralement vampirisé le phénomène de la régionalisation. Elle est la figure emblématique de la région. Elle est la seule femme présidente. Quand elle figure au milieu de nous [Sapin est président de la région Centre], on ne voit qu’elle. La victoire des socialistes, en 2004, c’est elle qui l’incarne. »
Autre leçon mûrie dans l’ombre du monarque, le terrain. Dominique Bussereau, un proche de Raffarin qui a vu Royal battre la campagne poitevine, en fait la fille spirituelle de Mitterrand, héritière de trois credo : « démagogie anticapitaliste primaire, exaltation de la France rurale, mythologie du terrain ». Le terrain, le terrain, toujours le terrain. Ainsi, pour sauver une industrie locale en perdition, Ségolène Royal fait acheter au conseil régional de Poitou-Charentes des milliers de pantoufles du cru (les célèbres « charentaises ») qu’elle offre aux étudiants de la région ! Ainsi encore, en pleine crise de la grippe aviaire, elle propose à ses administrés de consommer deux volailles par semaine : « Henri IV faisait manger aux Français la poule au pot le dimanche. Nous, nous allons doubler la mise. » L’histoire ne dit pas si les quatre cents emplois locaux dans la filière avicole ont été sauvés. Mais les électeurs n’oublient jamais ce genre de tirades.
Savoir occuper le terrain est la qualité politique numéro un. Royal le fait avec habileté dans les médias, se refusant par exemple à attaquer ceux qui l’insultent. Dans la « vraie vie », c’est une autre affaire. Il y a quelques mois, Ségolène est invitée à un concert aux Invalides. Sa place est réservée, au premier rang, non loin d’un ancien ministre qui racontera la scène à Philippe Alexandre. Problème : seule une place a été réservée et les Royal sont trois, la maman et ses deux filles. Qu’importe les autres invités, Ségolène déplace les cartons pour faire asseoir sa progéniture à ses côtés. Une manuvre militaire que son père – ancien officier – n’aurait pas reniée

* Albin Michel, 250 pages, 18 euros.

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