« Si j’étais président»

Immigration, Françafrique, Côte d’Ivoire, Maghreb, Moyen-Orient, relations avec les États-Unis Le ministre français de l’Intérieur, et candidat à la magistrature suprême en 2007, n’élude aucun sujet. Et répond sans détour.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 22 minutes.

En cet après-midi de fin octobre, le temps est exceptionnellement doux sur Paris. Dans le bureau du ministre d’État à l’Intérieur, place Beauvau, à deux pas de l’Élysée, les portes-fenêtres sont largement ouvertes sur le jardin. Nicolas Sarkozy a tombé la veste, et sa chemise, par endroits, lui colle à la peau. Inévitablement, le bon feu qui brûle dans la cheminée, côté coin salon, apparaît comme une incongruité. Pourquoi réchauffer ainsi l’air tiède en plein été indien ? Un coup d’il sur l’âtre où se consument quelques bûches et nous voici fixés : ce sont des papiers, des notes et des mémos confidentiels qui s’y transforment en cendres. Le président de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) et futur candidat à l’élection présidentielle d’avril 2007 manie lui-même le tisonnier. Manifestement, il n’a guère confiance en cet appendice indispensable de tout homme politique qu’est le broyeur. Pas plus, d’ailleurs, qu’il ne se fie aux magnétophones des journalistes. S’apercevant qu’ils tournent alors que nous en sommes aux préliminaires, il s’en saisit lui-même et coupe l’enregistrement – lequel ne pourra reprendre qu’une fois l’entretien commencé. On n’est jamais trop prudent.
Nicolas Sarkozy serait-il un homme traqué ? Non, mais c’est un homme « couturé », comme le dit son bras droit, porte-flingue et complice de trente ans, Brice Hortefeux. C’est-à-dire qu’il a reçu beaucoup de coups pendant sa carrière et qu’il en a rendu tout autant. À six mois d’une échéance pour laquelle il se prépare depuis qu’il est entré en politique, au point de la croire inscrite dans son propre destin, le très ambitieux et très énergique fils de Paul Sarközy de Nagy Bocsa – aristocrate hongrois naturalisé français en 1950 – est en outre la cible d’un faisceau de pressions, de « complots » réels ou supposés et de rivalités acharnées qu’il se doit de déjouer tout en gérant un triple agenda quotidien. On a beau être une mécanique de précision et un organisateur hors pair, la tension est palpable et le stress permanent.
Il faut être un Hortefeux, un Claude Guéant, son directeur de cabinet depuis 2002 (et futur directeur de campagne), ou encore une Cécilia Sarkozy, son épouse, pour « digérer » le caractère anguleux, la brutalité intellectuelle, l’absence de conformisme, la liberté à l’égard des structures, la susceptibilité et l’ego prononcés de cet homme de 51 ans (il est né le 28 janvier 1955). Eux savent tout ou presque du passé d’un personnage qui s’ennuie vite, agace et s’agace, ne boit ni ne fume – si ce n’est de temps à autre un havane au plaisir duquel l’a initié un certain Édouard Balladur – et qui, conscient sans doute d’en faire trop au point d’assécher son entourage, passe une partie de son temps intime à opérer un énorme travail sur lui-même et son tempérament. C’est que Nicolas, le deuxième fils de Paul et d’Andrée, née Mallah, a toujours été un personnage pressé. Bachelier à 18 ans, militant gaulliste à 19 ans, conseiller municipal à 21 ans, maire de Neuilly à 28 ans, député à 33 ans, ministre à 38 ans Avec le même appétit qu’il mettait, enfant, à dévorer des pâtisseries, il a avalé les postes et consommé les parrains. Achille Peretti, Charles Pasqua, Jacques Chirac, Édouard Balladur furent tour à tour ses mentors, ravis de jouer les nounous d’un jeune homme aussi serviable que prometteur, puis ulcérés d’avoir été manuvrés par un boulimique très vite las de jouer les gendres idéaux et les héritiers putatifs. Chirac, surtout, qui ne lui a pas pardonné d’avoir choisi Balladur en 1995 et qui le lui a fait payer d’un silence glacial de trois ans. Chirac, qui lui a toujours barré le chemin de Matignon, avant d’inciter ses fidèles d’aujourd’hui à miner sous ses pas celui qui mène à l’Élysée
Nicolas Sarkozy est désormais entré dans la dernière ligne droite, la plus dure. Si l’on en croit sa biographe Anita Hausser, celui qui n’était alors qu’un jeune avocat brillant, maire de Neuilly, dans les années 1980, ne manquait jamais de glisser à ses hôtes une phrase du type : « J’ai l’intention de devenir président de la République. Je voudrais savoir si je peux un jour compter sur vous. »* Alors qu’il s’apprête à quitter le gouvernement, vraisemblablement en janvier 2007, à l’issue du congrès de désignation de l’UMP, pour se lancer dans la bataille, l’heure est venue de resserrer les rangs. Sarkozy n’ignore pas que les chiraquiens, en particulier Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie et Jean-Louis Debré, ne lui feront aucun cadeau. Il sait aussi que, pour l’instant, les derniers sondages où il creuse l’écart avec Ségolène Royal au second tour confirment son statut de meilleure chance de la droite en avril 2007. Mais il ignore encore l’essentiel : malgré leurs tête-à-tête hebdomadaires – dont on se demande d’ailleurs à quoi ils servent réellement -, Jacques Chirac ne lui a toujours rien dit. Tout juste lui a-t-il laissé entendre qu’il se prononcerait au début de mars. Une surprise du chef en forme d’épée de Damoclès.
En s’exprimant dans Jeune Afrique sur des sujets de politique étrangère aussi divers que la Côte d’Ivoire, l’Algérie, Israël ou les relations avec les États-Unis, Nicolas Sarkozy franchit une ligne de plus. Il sait que Jacques Chirac ne supporte guère les incursions dans son domaine réservé. En acceptant de reporter à plus tard, après son investiture, la convention de l’UMP sur la politique extérieure de la France, il lui avait donné l’impression de jouer le jeu. Ce n’est plus le cas. Qu’attendre de plus, il est vrai, d’un homme qui répète que tout ce qu’il a il l’a « pris ou conquis » et qu’on ne lui a « jamais rien donné ». Qu’il se taise alors qu’il a faim ?

*Anita Hausser, Sarkozy, Itinéraire d’une ambition, L’Archipel, Paris, 2003.

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Jeune Afrique : « Pourquoi Sarkozy fait peur » titrait Jeune Afrique il y a six mois. Votre politique, dites-vous, répond au sentiment de crainte qu’éprouveraient nombre de Français face à une immigration incontrôlée. Et les Africains, pour la plupart, redoutent votre action, votre programme et vos décisions. La peur serait-elle électoralement payante ?
Nicolas Sarkozy : Je conteste totalement ce jugement. Beaucoup d’Africains se réjouissent d’entendre enfin un nouveau discours global sur la politique africaine de la France. Lorsque je me suis rendu en mai dernier au Mali et au Bénin, l’accueil que j’y ai reçu a été excellent. Il y a peut-être eu trente porteurs de pancartes à Cotonou et trente-cinq à Bamako. Est-ce cela, faire peur ?

Le discours de fond que vous avez prononcé devant le Parlement béninois, le 19 mai 2006, peut se résumer en une phrase : la France n’a plus besoin de l’Afrique. N’est-ce pas un peu court ? Et un peu cynique ?
Qu’ai-je donc déclaré de choquant ? J’ai d’abord dit que le destin de l’Europe et celui de l’Afrique sont intimement liés. Le détroit de Gibraltar fait à peine 12 kilomètres de large. C’est dire si le désastre de l’Afrique aujourd’hui sera celui de l’Europe demain. J’ai ajouté qu’il fallait cesser de répéter que la France était présente en Afrique pour piller ses ressources, car, tout bien pesé, c’est vrai, nous n’avons pas économiquement besoin de l’Afrique – et je mets quiconque au défi de me démontrer le contraire. La France est en Afrique avec des ambitions plus amicales.
J’ai enfin conseillé à nos interlocuteurs d’en finir avec cette idée fausse selon laquelle le retard de développement du continent serait dû exclusivement aux pays riches et à la colonisation. Voilà ce que j’ai dit. Je vous regarde en face, vous qui connaissez bien l’Afrique. Qu’y a-t-il de scandaleux dans ces propos, si ce n’est que pour la première fois quelqu’un tient aux Africains un langage de vérité – et donc les respecte ?

Ce qui choque, c’est le zapping de la mémoire, le moratoire que vous faites de la dette politique, économique et historique de la France en Afrique. Pas un mot, par exemple, sur la période coloniale
La colonisation a eu ses heures sombres et les traites négrières furent autant de crimes, c’est entendu. Il ne faut pas oublier le passé, car nous avons un devoir de mémoire et de reconnaissance. Mais dans cette démarche, il faut prendre garde à ne pas confondre le système colonial, dont nous connaissons tous l’injustice, et l’action des Français qui vivaient sur place, qui travaillaient et qui bâtissaient, qui aimaient l’Afrique. Réduire cette page d’Histoire à la seule dénonciation des erreurs du système colonial serait donc incomplet.

Vous approuvez donc le désormais fameux amendement de février 2005 à la loi sur les rapatriés, demandant aux manuels scolaires français de reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer ».
C’est un autre problème. Je ne suis pas favorable à ce que le Parlement revisite notre histoire et vote des textes d’incantation qui choquent les uns ou les autres. Je répète simplement qu’on ne peut pas assimiler la colonisation à l’esclavage, c’est tout.
Vous prônez une rupture totale avec le système de la Françafrique, en oubliant de dire au passage que la France y a largement trouvé son compte pendant quarante ans
La France, non. Certains Français, oui. Et c’est justement à ce système de relations personnalisées dans lequel on traite indistinctement avec les démocraties et avec les dictatures que je souhaite mettre un terme.

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Aimez-vous l’Afrique ?
Je m’intéresse à l’Afrique et je la respecte. C’est pour cette raison que, par exemple, je prône l’exonération totale d’impôts sur le revenu pour tous les migrants africains résidant en France, lorsque leur argent est investi dans des microprojets de développement sur place. Ce flux émanant de la diaspora permettra de décupler l’aide au développement, de pallier l’insuffisance du réseau bancaire et de contourner la corruption. Plus généralement, on ne fera pas bouger les choses par le seul tutoiement entre le chef de l’État français et ses homologues du continent, mais par la conscience collective d’un intérêt commun. C’est d’ailleurs ce qu’avait pressenti François Mitterrand lors du discours de La Baule de 1989 : le temps des réseaux occultes et des émissaires autoproclamés est révolu. Place aux relations différenciées selon le degré de démocratie de chacun.

Fini les relations « copain-complice », dites-vous. Pourtant, vous entretenez des rapports personnels avec quelques chefs d’État africains.
Je ne suis pas encore chef d’État, cher Monsieur. Pour le reste, le fait que je connaisse et que j’apprécie les présidents Amadou Toumani Touré, Boni Yayi, Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso et quelques autres ne signifie pas que les relations entre la France et leurs pays respectifs doivent se résumer à cela.

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Rassurez-les : ils pourront donc continuer à vous joindre directement quand vous serez à l’Élysée – à condition bien sûr que vous soyez élu – et vous maintiendrez en place la fameuse « cellule africaine » ?
S’il n’y a que cela comme problème, je suis tout à fait prêt à les rassurer, comme vous dites. Mais je crois que les Africains n’ont nul besoin d’être réconfortés : ils savent que je suis un véritable ami.

Pourtant, beaucoup en doutent. À commencer par tous ceux qui, sur le continent, souhaitent venir étudier en France et à qui l’on refuse obstinément les visas nécessaires.
Vous me comprenez mal, ou je me fais mal comprendre. L’Afrique compte 800 millions d’habitants, dont la moitié a moins de 17 ans. L’avenir de ces jeunes est donc une obsession pour tous ceux qui, comme moi, s’intéressent au développement. Parmi ces jeunes, il y a les étudiants, et je pense qu’ils doivent être plus nombreux à venir se former en France. Mais à une condition : une fois leur formation achevée, on doit leur demander de mettre leurs compétences acquises en France – donc leur première expérience professionnelle – au service de leur pays d’origine. Afin de ne pas se retrouver, par exemple, dans la situation caricaturale du Bénin, dont les médecins sont plus nombreux à exercer en France que chez eux.

Vu pieux : 70 % des étudiants africains en France ne rentreront pas dans leur pays d’origine, où les conditions d’emploi et d’exercice de leur métier sont trop souvent désastreuses. Qu’y pouvez-vous ?
Je ne suis pas d’accord avec ce constat. Je pense comme Abdoulaye Wade que les élites doivent en quelque sorte rembourser à leur pays l’investissement que ce dernier a consenti en les envoyant se former à l’étranger.

Wade, justement, mais aussi Alpha Oumar Konaré, Abdou Diouf et beaucoup de leaders de la société civile en Afrique ont qualifié votre politique d’immigration choisie de « pillage des cerveaux ». Qu’en pensez-vous ?
Il y a eu malentendu. Je l’ai d’ailleurs rapidement dissipé avec Abdoulaye Wade et Abdou Diouf. C’est l’inverse que j’ai fait : j’ai fait voter dans la loi sur l’immigration et l’intégration la création d’une carte « compétences et talent », dont le bénéfice sera réservé aux ressortissants des pays avec lesquels nous aurons conclu un accord bilatéral de gestion concertée des migrations. Cet accord précisera notamment les conditions dictées par les pays d’origine, sous lesquelles un étudiant pourra prolonger son séjour en France, après une première expérience professionnelle. Pour le reste, je ne vois pas pourquoi l’immigration serait un sujet tabou.

Quand vous fixez publiquement un chiffre annuel d’expulsion du territoire des immigrés en situation irrégulière – 20 000 en 2005, 25 000 en 2006 – avec des objectifs quantitatifs assignés à chaque préfet, ne comprenez-vous pas que cela puisse faire peur ?
Non. Je comprends simplement que, pour la première fois, quelqu’un a le courage de dire aux Africains : tout le monde n’aura pas sa place en France. Si on ne leur a pas déjà dit, j’en suis désolé. Je ne peux tout de même pas porter le poids de la lâcheté des autres. Bien sûr, la solution démagogique aurait été de promettre des visas à tout le monde. Mais dans démagogie, il y a mépris. Ce n’est pas mon genre.

Lors d’un discours prononcé à Nîmes en mai 2006, vous avez dit : « Fils d’immigré hongrois, je sais ce que cela signifie de prendre en partage une histoire qui n’est pas celle de ses ancêtres. » Ce qui fut valable pour vous s’applique-t-il aussi aux Français d’origine africaine ?
Évidemment. Je ne fais aucune discrimination entre l’immigration européenne et l’immigration africaine. J’applique les mêmes règles aux immigrés roumains, ukrainiens ou bulgares qu’aux immigrés sénégalais ou maliens. Où est la différence ? La couleur de la peau ?

Un passé commun, une langue commune, la colonisation, les tirailleurs morts pour la France : cela crée des liens spécifiques, non ?
Faudrait-il, parce qu’on a eu en commun un chapitre d’Histoire, que l’on distribue des visas à vie ? Faudrait-il que l’on vide l’Afrique de sa main-d’uvre et de ses élites pour accueillir tout le monde en France ? Vous me dites que je fais peur, mais c’est la réalité qui fait peur : Ceuta et Melilla, les migrants qui se noient au large des Canaries et de Lampedusa, ceux qui meurent en traversant le Sahara. Quelle autre politique envisagez-vous ? Soyons sérieux : ce qui devrait en réalité vous inquiéter, c’est que l’extrême droite la plus forte d’Europe se trouve précisément en France. C’est que la situation dans les banlieues nous oblige à agir et non plus à subir. C’est que plus nous laissons entrer d’immigrés en France, plus le racisme et la xénophobie progressent. C’est que des squats ont brûlé et que nous n’avons ni emploi ni logement à offrir à tous ceux qui voudraient venir s’installer chez nous.

Dans votre discours de Cotonou, vous dites à l’intention des régimes africains qui critiquent la politique française la même chose que ce que vous dites aux immigrés installés en France. En substance, c’est : « Aimez-nous, ou quittez-nous ». Le président ivoirien Laurent Gbagbo doit-il se sentir visé ?
La Côte d’Ivoire offre l’exemple parfait d’un échec massif. C’était la Suisse de l’Afrique et c’est devenu un pays au bord du naufrage. La seule solution, c’est d’y tenir enfin des élections démocratiques, ouvertes et transparentes.

Et s’il se révèle impossible d’organiser un scrutin crédible ?
Dans ce cas, la France n’a pas pour vocation de soutenir un régime qui refuse de se soumettre à des élections. Tout comme elle n’a pas pour vocation de servir de punching-ball et d’exutoire aux frustrations des uns et des autres. La présence de notre armée n’est justifiée que par la tenue à un terme rapproché des élections. Certes, il faut éviter la guerre civile et une répétition de la tragédie rwandaise, mais il n’est pas question de maintenir 4 000 hommes sur le terrain au coût de 250 millions d’euros par an, sans aucune perspective de retrait.

La France a aussi des intérêts économiques à préserver en Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire n’est pas un enjeu significatif pour l’économie de la France : elle représente moins de 0,2 % des exportations françaises.

Quel type de relation convient-il d’entretenir avec le président Gbagbo ?
Cela dépend de lui et de son attitude à l’égard du processus de transition. S’il refuse des élections crédibles, je ne vois pas très bien quel genre de rapport nous pourrions avoir avec lui.

L’opposant Alassane Ouattara est de vos amis. Cela n’oriente-t-il pas votre lecture de la crise ivoirienne ?
Je connais Alassane Ouattara depuis l’époque où il était le directeur adjoint du FMI, et je pense qu’il fait partie de ces hommes qui font honneur à l’élite africaine. Cela dit, je connais beaucoup de gens sur le continent africain. Ce n’est pas pour cela que je m’ingère dans la vie politique de leur pays.

Passons au Maghreb. Comment faire pour que la France ait enfin une relation équilibrée, à la fois et au même moment, avec le Maroc et avec l’Algérie – ce qu’elle n’est jamais parvenue à obtenir ?
Les frontières entre ces deux pays sont fermées, ce qui indique toute la difficulté de la tâche. Mais c’est tout à fait possible, à condition de le vouloir. La France doit être l’amie du Maroc, où le roi Mohammed VI a accompli un travail assez remarquable – je pense aux droits des femmes, au droit de la famille, à la mise en place de l’Instance Équité et Réconciliation, à la transition démocratique. La France doit aussi être l’amie de l’Algérie, avec laquelle nos intérêts sont à ce point liés que je ne comprends pas pourquoi nous devrions continuer à nous opposer.

Faut-il enfin conclure ce traité d’amitié franco-algérien, bloqué depuis trois ans ?
J’ai toujours pensé que l’amitié n’avait pas besoin d’être gravée dans le marbre d’un traité. L’amitié, cela se vit, cela se prouve chaque jour et cela ne se décrète pas. Et puis, les problèmes entre la France et l’Algérie ne se résument pas à cela. En ce moment, je suis en train de travailler à la suppression de l’autorisation préalable de visa à laquelle sont soumis les Algériens qui veulent se rendre en France. Je ne veux pas qu’ils soient les seuls au Maghreb à supporter cette procédure supplémentaire, qui peut être considérée comme vexatoire. C’est cela, l’amitié. La question du traité, c’est aussi la question de la mémoire et de la repentance. La mémoire de chaque peuple est inévitablement spécifique. Le rapprochement, la réconciliation que nous recherchons appellent un effort réciproque pour dépasser les souvenirs construits au fil des ans, pour prendre en compte ce que les historiens nous enseignent et aboutir peu à peu, dans le respect de l’Histoire telle qu’elle a été, à des mémoires moins contrastées.
Je le répète : il ne faut pas confondre le système politique colonial, dont nous savons bien l’injustice qu’il faisait aux Algériens, et l’action des diverses communautés qui cohabitaient en Algérie. Quant aux souffrances subies par tous, Algériens et Européens, nul ne peut les ignorer. Tous en ont été les victimes. Tous appellent notre compassion.

Comment se déroule la coopération antiterroriste entre la France et les pays du Maghreb ?
Globalement, ça se passe assez bien.

Pas d’inquiétudes particulières quant aux activités des groupes salafistes marocains et du GSPC [Groupe salafiste pour la prédication et le combat] algérien ?
Les autorités marocaines ont pris la mesure de la menace et leur travail dans ce cadre est excellent. Quant aux Algériens, ils savent comme nous que l’affiliation du GSPC à al-Qaïda pose un vrai problème. Nous nous concertons. J’ai d’ailleurs eu une nouvelle fois mon collègue Yazid Zerhouni au téléphone la semaine dernière à ce sujet.

Vous êtes, et vous le répétez volontiers, un ami d’Israël. Au point que les dirigeants actuels de l’État hébreu ne cachent pas leur souhait de vous voir accéder à l’Élysée : enfin quelqu’un susceptible de mettre un terme au dogme gaulliste de la politique arabe de la France. Ont-ils raison de croire en vous ?
Écoutez, je ne suis pas le seul à être un ami d’Israël, puisque lors de la dernière visite à Paris de l’ex-Premier ministre Ariel Sharon, Jacques Chirac a déclaré que la France tout entière était l’amie d’Israël. Mais je ne suis pas que l’ami d’Israël. Je suis aussi l’ami du Liban et de bien d’autres pays arabes. Vous me parlez de politique arabe de la France au singulier, je parlerai moi de politiques arabes de la France au pluriel. Tout couler dans un moule unique n’est pas opératoire. C’est le président Bouteflika lui-même qui le dit : quel rapport y a-t-il entre l’Algérie et les monarchies du Golfe ?

Comment qualifieriez-vous le Hezbollah ? Une organisation de résistance ? Un parti politique avec une branche armée ? Un mouvement terroriste ?
Quand on tire des missiles sur une ville peuplée de civils et sans aucune cible militaire, cela s’appelle du terrorisme. Je souhaite que le Hezbollah se comporte comme un parti politique et qu’il serve l’intérêt supérieur de l’État libanais pour assurer son indépendance ; ce qui implique qu’il dépose les armes.

Et quand on bombarde le Liban au prix de 1 200 victimes, elles aussi civiles, cela s’appelle comment ?
Le fait que la riposte israélienne ait été excessive et inadaptée est incontestable, et je l’ai dit, tout comme il n’est pas contestable que, dans cette affaire, l’agresseur initial a été le Hezbollah et l’agressé, Israël. Le peuple libanais a été martyrisé, c’est une évidence. À qui doit-il en premier lieu demander des comptes pour avoir tant souffert ? Ma réponse est claire : au Hezbollah.

Vous avez dit, à propos des incidents antisémites en France : « Quand on menace un juif, on menace la République. L’antisémitisme ne s’explique pas, il se combat. »
Tout à fait. Voulez-vous que je le redise ?

Oui, mais en changeant les termes. Diriez-vous aussi : « Quand on menace un musulman, on menace la République. L’islamophobie ne s’explique pas, elle se combat » ?
Absolument. Je ne cesse même de dire mieux : il n’y a rien de plus semblable à un antisémite qu’un islamophobe. Tous deux ont le même visage, celui de la bêtise et de la haine.

On vous a souvent reproché, surtout depuis votre visite à George W. Bush en septembre, votre tropisme américain et votre sensibilité atlantiste. Qu’en pensez-vous ?
Que cette accusation frise le ridicule. J’ai été le premier responsable politique en France à s’opposer avec fermeté à l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne, alors même qu’il s’agissait là d’une demande pressante du président Bush. Ce simple rappel pulvérise le procès en vassalisation qui m’est fait, procès bien mal instruit comme vous pouvez le constater.

Tout de même. Quand vous plaidez à Washington pour l’efficacité de la modestie et contre une France arrogante, vous faites diablement plaisir aux néoconservateurs de l’administration Bush !
Toute personne qui voyage un peu sait que l’arrogance est trop souvent un défaut français.

Il y a quelques jours, un membre du gouvernement français de passage aux États-Unis* a, au cours d’une allocution consacrée aux relations franco-américaines, prononcé onze fois le mot « indépendance ». Difficile de ne pas y voir une réponse à vos propres propos.
L’indépendance n’a pas besoin d’être répétée ?pour être vécue. Sauf si l’on en doute, ce qui n’est pas mon cas.

Trois ans et demi après l’intervention américaine en Irak, l’équilibre et la sécurité au Moyen-Orient vous paraissent-ils mieux, ou moins bien assurés ?
Moins bien assurés, c’est une évidence. Le quasi-démantèlement de l’Irak laisse les mains libres à son voisin iranien, lequel est désormais en mesure de déployer son action néfaste dans la région.

Pour le coup, l’arrogance a été américaine
Personne, ou presque, y compris aux États-Unis, ne conteste le fait que les Américains ont commis des erreurs en Irak.
Quel commentaire vous inspire cette phrase citée par le pape Benoît XVI lors d’une homélie prononcée à Ratisbonne, il y a deux mois : « Montre-moi ce que Mahomet a apporté de neuf et tu ne trouveras rien que de mauvais et d’inhumain » ?
Je ne partage absolument pas cette opinion, mais, comme le disait Voltaire, je me battrai pour qu’elle puisse continuer de s’exprimer. Pour le reste, je dis aux musulmans de France une chose très simple : vous n’avez pas moins de droits que les autres, mais vous n’en avez pas plus pour autant.

Ils n’ont donc pas à avoir peur d’un Nicolas Sarkozy à l’Élysée ?
D’autant moins que c’est moi qui leur ai donné la possibilité de s’exprimer de façon collective avec le Conseil français du culte musulman. Que c’est moi qui ai souligné avec force qu’aucun amalgame ne devait être fait entre les islamistes et les simples fidèles. Et que c’est moi qui ai indiqué que les problèmes ne venaient pas des mosquées publiques, mais des caves et des garages convertis en foyers de propagande.

Comprenez-vous que certains des mots que vous avez employés – racaille, Kärcher – aient pu choquer, blesser ?
Non. Le mot de racaille a été prononcé devant moi par une brave dame rencontrée sur la dalle d’Argenteuil. Jamais je n’ai dit qu’il concernait l’ensemble des habitants des banlieues. Celui de Kärcher évoquait la nécessité incontournable de nettoyer la Cité des Quatre Mille, à La Courneuve, de la débarrasser des trafics et des trafiquants. Je ne vois pas ce que cela a de gênant. Dire que si on n’aime pas la France il vaut mieux la quitter n’a rien non plus de choquant. En réalité, il existe un profond décalage entre ce que pense la grande majorité des Français et une certaine pensée unique.

Yannick Noah, qui est un personnage très populaire en France, a dit à votre propos : « Si Sarko passe, je me casse »
Je crois qu’il est déjà parti, non ? Et puis, quelle belle leçon ! Voilà un homme qui prône la tolérance pour tout le monde, sauf pour ceux dont il ne partage pas les idées !

Expliquez-nous pourquoi la droite française passe son temps à se déchirer.
Je ne suis pas d’accord. Depuis la mise en place de l’UMP, l’unité a beaucoup progressé. Comparez la prochaine élection présidentielle de 2007 avec celles de 1995 et de 2002 et vous percevrez la différence. Maintenant, qu’il y ait des préférences et des concurrences, quoi de plus normal dans un jeu démocratique ? Et puis, en Afrique plus qu’ailleurs, je pense, nul n’ignore que les rivalités de personnes sont consubstantielles à la politique.
Quand quitterez-vous le gouvernement ?
Lorsque le moment sera venu, c’est-à-dire lorsque les conditions au sein de l’UMP seront réunies, mais aussi au regard des exigences de ma mission gouvernementale et des attentes de l’opinion vis-à-vis de l’échéance présidentielle. J’ai un cap et une stratégie que tout le monde connaît. Mais je garde la liberté de fixer le calendrier en accord avec le président de la République.

Si l’UMP vous désigne comme son candidat – ce qui semble être acquis -, votre plus sérieux adversaire pourrait être Ségolène Royal, qui vous talonne dans les sondages. Comment comptez-vous la « gérer » ?
J’ai toujours dit que quel que soit le candidat socialiste, l’élection sera très serrée. Les socialistes misent sur le zapping électoral qui, depuis vingt-cinq ans, destitue toutes les majorités en place. Ils parient sur le rejet plus que sur leur projet, qui est d’ailleurs assez insipide. Moi je mise sur la force des idées afin de déclencher dans le pays un véritable débat de fond. Je veux obliger la gauche à un combat d’idées.

Qu’est-ce qui vous différencie des socialistes – et de leur candidat, quel qu’il soit – dans les domaines que nous venons d’évoquer : politique africaine, politique d’immigration, Moyen-Orient, relation avec les États-Unis ?
Sur les questions internationales comme sur les problèmes intérieurs, je m’efforce de parler vrai et de bousculer les vieilles certitudes et les postures habituelles. Sur la mondialisation, la gauche ne cesse de dire que c’est un mal alors que c’est un défi. Sur l’immigration, la gauche ne cesse de donner des leçons de morale alors qu’il faut des décisions. Sur l’Afrique, son regard est traversé de complexes et de sous-entendus alors qu’il faut de la franchise. Quant aux relations avec les États-Unis, la gauche fait de l’antiaméricanisme primaire et de l’anticapitalisme un de ses credo pour justifier « l’exemplarité » du modèle socialiste.

Une partie de votre discours n’a-t-il pas pour but de « draguer » l’électorat du Front national ? Pourquoi vouloir le séduire plutôt que de combattre Le Pen et ses idées ?
Je suis l’un des plus farouches adversaires de Jean-Marie Le Pen, et ce depuis longtemps. Et il me le rend bien puisque je suis sa principale cible politique. Cela étant dit, j’ai le droit – et même le devoir – de convaincre ses électeurs de voter pour la droite républicaine. On ne peut pas se plaindre de voir le Front national faire des scores aux élections et en même temps me reprocher de vouloir lui soustraire des voix. Les Français estiment légitimement que les questions de l’identité nationale, de l’immigration et de l’autorité républicaine doivent être prises à bras-le-corps. C’est ce que je fais, avec mon style et avec mes valeurs.

* Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, à Yorktown, le 19 octobre 2006 [NDLR]

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