Rwanda, Tchad, Maroc… Comment Israël mène son offensive diplomatique en Afrique

Sous l’impulsion de Benyamin Netanyahou, l’État hébreu a renoué avec le continent. Après avoir normalisé ses relations avec de nombreux pays, Tel-Aviv continue de développer sa coopération sécuritaire et économique. Et espère intégrer l’Union africaine au titre d’observateur.

Le président rwandais Paul Kagame, à droite, s’entretient avec le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, à Kigali, le 6 juillet 2016 © CYRIL NDEGEYA/AFP

Le président rwandais Paul Kagame, à droite, s’entretient avec le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, à Kigali, le 6 juillet 2016 © CYRIL NDEGEYA/AFP

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Publié le 4 janvier 2022 Lecture : 4 minutes.

Le président rwandais Paul Kagame, à droite, s’entretient avec le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, à Kigali, le 6 juillet 2016 © CYRIL NDEGEYA/AFP
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Israël-Afrique : l’offensive diplomatique de Tel-Aviv

Après avoir normalisé ses relations avec de nombreux pays, Israël continue de développer sa coopération sécuritaire et économique. Et espère intégrer l’Union africaine au titre d’observateur.

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Depuis quelques années, « Israël est de retour en Afrique », comme n’a cessé de le proclamer Benyamin Netanyahou. L’ex-Premier ministre israélien l’avait annoncé une première fois lors de sa tournée historique de juillet 2016 dans l’est du continent (Ouganda, Rwanda, Kenya et Éthiopie), puis l’a répété un an plus tard lors du 51e sommet de la Cedeao organisé à Monrovia. Il a ensuite complété la formule en novembre 2018, à la suite des visites du président rwandais, Paul Kagame, de son homologue togolais, Faure Gnassingbé, et de l’ancien chef d’État tchadien Idriss Déby Itno. C’est alors « l’Afrique qui est de retour en Israël ».

C’est peu de dire que Benyamin Netanyahou n’a pas ménagé ses efforts pour voir son pays retrouver au minimum la place et l’influence qui était la sienne en Afrique, avant ses exploits militaires de 1973, pendant la guerre du Kippour. Le tout jeune État juif bénéficiait alors d’un capital de sympathie certain auprès des pays africains tout juste indépendants. Israël comptait dans les années 1960 jusqu’à 33 ambassades, multipliait les actions d’aide au développement à travers le continent et siègeait, en tant qu’observateur à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’ancêtre de l’UA. Avant d’être mis à l’index du continent pendant plus de deux décennies, puisque c’est avec la signature des accords d’Oslo, en 1993, qu’Israël commença à reprendre lentement ses relations diplomatiques avec la majorité des pays du continent.

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Moins d’une quinzaine d’ambassade

Ensuite ? « La diplomatie israélienne délaisse l’Afrique », estime aujourd’hui Emmanuel Navon, chercheur en sciences politiques à l’université de Tel-Aviv. Pendant deux nouvelles décennies durant lesquelles « Israël se renforce militairement et économiquement pour devenir une véritable puissance régionale, mais n’a pas l’opportunité alors de s’intéresser diplomatiquement à l’Afrique », reprend le chercheur. Pour cause notamment de seconde intifada dans les territoires occupés. Il faut donc attendre 2009, et le retour de Benyamin Netanyahou à la tête du gouvernement, pour qu’Israël porte à nouveau toute son attention en direction de son voisin du Sud. En douze années passées au pouvoir, il a pratiquement atteint son objectif, en redonnant de la « visibilité à Israël sur le continent ».

Israël dispose aujourd’hui de relations diplomatiques avec une quarantaine de pays africains, dont 37 subsahariens

La coopération, d’abord sécuritaire puis économique, a repris dans la foulée des savoirs technologiques proposés par les entreprises et les ONG israéliennes, pendant que Tel-Aviv renouait officiellement avec le continent, comptant quelques belles « prises » à son actif, comme la Guinée, le Rwanda, le Tchad et, plus significatif encore, des pays musulmans comme le Soudan et le Maroc. Israël dispose aujourd’hui de relations diplomatiques avec une quarantaine de pays africains, dont 37 subsahariens. Seul l’ancien ami sud-africain continue de faire défaut, même si Pretoria reste toujours le principal partenaire économique d’Israël sur le continent. Fort de ce regain de popularité, l’État hébreu peut même espérer retrouver bientôt son siège d’observateur à Addis-Abeba.

L’investissement diplomatique de Benyamin Netanyahou a donc porté ses fruits, même s’il s’agit pour le moment d’une déclaration d’intention. « L’intendance n’a pas encore suivi », confirme Emmanuel Navon. Le milliard de dollars promis à la Cedeao en 2017 n’a pas été décaissé, et Israël compte moins d’une quinzaine d’ambassades sur le continent, sa représentation marocaine incluse. Le pays a même dû fermer une de ses ambassades en Amérique latine pour ouvrir celle du Rwanda en 2011, faute de budget. « Bibi [le surnom de Benyamin Netanyahou] a concentré les pouvoirs et vidé de ses ressources le ministère des Affaires étrangères qu’il estimait lui être politiquement hostile », explique-t-on aujourd’hui en interne.

Ancien diplomate auprès de l’ONU dans les années 1980, le chef du gouvernement endosse lui-même le costume de ministre des Affaires étrangères pendant près de cinq ans. Se met alors en place « une diplomatie de cabinet, directe et très efficace », commente Emmanuel Navon. Encore plus avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. « Ses relations particulières avec les États-Unis ont toujours servi les intérêts d’Israël en Afrique », affirme l’universitaire. Et la politique « transactionnelle » pratiquée pendant l’ancienne administration américaine a donné des résultats spectaculaires à la fin de 2020 au Soudan, puis au Maroc, dans un jeu de billard à trois bandes qui, in fine, permet à Tel-Aviv de normaliser ses relations avec les pays désireux de plaire à Washington.

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Débouché sur la mer Rouge

L’arrivée de Naftali Bennett à la primature en juin dernier ne semble pas devoir inverser la donne vis-à-vis de l’Afrique. Au contraire, le nouveau chef de gouvernement capitalise déjà sur les succès de son prédécesseur, comme au Maroc, avec lequel un accord-cadre de coopération sécuritaire – unique en son genre en Afrique – a été signé le 24 novembre 2021. En interne, il a en revanche déjà replacé le ministère des Affaires étrangères, détenu par son allié et futur Premier ministre à partir de 2023, Yaïr Lapid, au centre de la diplomatie israélienne. Le budget, adopté par la Knesset à la fin d’octobre pour la première fois depuis trois ans et demi, devrait lui donner les moyens de développer sa politique extérieure, notamment en direction de l’Afrique.

Depuis des décennies, Tel-Aviv cherche à obtenir le soutien des pays africains dans les grandes instances internationales

Les décennies et les gouvernements passent en Israël, mais les enjeux du pays sur le continent restent toujours les mêmes depuis David Ben Gourion : s’assurer d’un débouché – ô combien stratégique – sur la mer Rouge et obtenir le soutien des pays africains dans les grandes instances internationales. L’entrisme iranien en Afrique et la lutte contre le terrorisme de par le continent n’ont fait que ranimer, à partir des années 2000, un activisme diplomatique qui n’a aucune raison de s’éteindre du côté de Tel-Aviv. D’autant qu’aux impératifs sécuritaires s’ajoutent les débouchés économiques pour un secteur privé israélien qui a vite retrouvé le chemin du continent. « Le pouvoir sécuritaire et le pouvoir économique vous confèrent le pouvoir diplomatique », assurait, en 2018, Benyamin Netanyahou, alors encore Premier ministre. Comme un résumé de la stratégie que compte suivre son pays en Afrique.

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