Procès sur ordonnance

Le procès du médecin palestinien et des infirmières bulgares accusés d’avoir délibérément inoculé le virus du sida à plus de quatre cents enfants touche à sa fin. Et toujours pas la moindre preuve de leur culpabilité !

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Lyon, 18 octobre, hôpital Édouard-Herriot. Marwa el-Hassi, 9 ans, s’est éteinte à 3 heures du matin. C’est la cinquante-deuxième victime de l’infection par le virus du sida survenue dans le service de pédiatrie de l’hôpital El-Fateh de Benghazi, en Libye. En 1998, l’épidémie y a frappé 423 enfants.
Pendant que Marwa agonisait, le procès des personnels soignants accusés d’avoir « délibérément » inoculé le virus aux enfants tirait à sa fin, à Tripoli.
De l’avis général, le rôle des juges n’est que de pure forme : c’est sous la tente de Mouammar Kadhafi que le verdict sera rendu. Il devrait tenir compte des fortes pressions exercées par les États-Unis et l’Union européenne en faveur de la libération des prévenus. Mais aussi de la douleur des familles des victimes, dans une région en état de fronde contre le régime.
Trois issues possibles : la peine de mort, la relaxe ou une sanction intermédiaire. Le médecin palestinien Ashraf el-Hadjouj et ses cinq co-inculpées bulgares (Bristina Valtchéva, Nassia Nénova, Valentina Siropoulo, Valia Tchervenichka et Snéjana Dimitrova), toutes infirmières, croupissent en prison depuis le 9 février 1999. Ils n’ont jamais cessé de clamer leur innocence. « Satan lui-même n’aurait pas commis le crime dont vous les accusez », a déclaré Touhami Toumi, l’avocat du médecin, lors de sa plaidoirie, le 31 octobre.
Le 6 mai 2004, en première instance, les six accusés avaient été condamnés à mort par la cour criminelle de Benghazi. En appel, la Cour suprême avait, de fait, annulé les condamnations et ordonné que les accusés soient rejugés. Objectif : examiner les arguments des défenseurs et de leurs clients, qui dénoncent un certain nombre d’irrégularités lors des arrestations et pendant les interrogatoires.
Le procès a donc repris le 6 mai dernier. Mais les audiences qui ont suivi n’ont apporté que peu d’éléments nouveaux. Kadhafi, lui, a fait un pas en arrière en revenant sur l’accusation de « complot américano-israélien » qu’il avait imprudemment lancée en 1999. Et les juges n’ont finalement pas retenu les allégations d’actes de torture destinés à arracher des aveux aux accusés, pendant l’instruction.
Les procureurs n’ont pas apporté de preuves irréfutables à l’appui de leurs accusations. Rien, en tout cas, de nature à justifier la peine de mort qu’ils ont requise, le 29 août. Seul élément versé au dossier : un rapport « scientifique » rédigé par un panel de médecins libyens dont les conclusions vont dans le sens de la culpabilité des prévenus. Le très sérieux hebdomadaire britannique d’informations scientifiques Nature a obtenu une copie en anglais du fameux rapport et a demandé à des experts internationaux d’en faire une évaluation. Il a publié dans son édition du 12 octobre les résultats de leur enquête.
« Je n’y vois aucun élément de preuve, a conclu Janine Jagger, une épidémiologiste qui dirige l’International Health Care Worker Safety Center à l’Université de Virginie, aux États-Unis. Il [le rapport libyen] ne répond pas aux normes minimales d’épidémiologie pour établir une relation de cause à effet. »
Luc Perrin, virologiste à l’hôpital universitaire de Genève, en Suisse – qui a en outre soigné plusieurs enfants contaminés – a analysé, à la demande de Kadhafi et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des prélèvements faits sur plus d’une centaine de malades. Il estime que le rapport des médecins libyens contient « beaucoup de généralités qui ne sont pas toujours exactes ». « Je peux vous dire avec certitude que des cas de contamination par le VIH ont été recensés avant le mois de septembre 1997 et que les premiers cas sont très probablement apparus avant 1996 », soutient Perrin, qui signale que les infections sont accompagnées d’hépatites B ou C chez la moitié des enfants contaminés et qu’il a constaté que des seringues usagées avaient été utilisées lors de leur traitement.
Les dates sont d’une extrême importance : les six accusés ne sont arrivés à l’hôpital de Benghazi, en tant que coopérants, qu’en 1998, ce qui met à mal la thèse de la contamination intentionnelle.
Les conclusions de Perrin et de plusieurs autres experts consultés par Nature confirment celles du professeur français Luc Montagnier, le codécouvreur du virus du sida, et de son collègue italien Vittorio Colizzi, de l’université de Rome, commis par la Fondation Kadhafi pour rechercher les causes de l’infection.
« Le [scénario] le plus probable, écrivait Montagnier à Kadhafi dans une lettre datée du 1er juillet 2004, au lendemain des condamnations à mort, est que cette dramatique contamination en chaîne soit partie d’un enfant africain infecté par sa mère à la naissance, à l’hôpital (de Benghazi) en 1997 ou avant. Cette souche a ensuite été diffusée accidentellement à d’autres enfants de l’hôpital par suite de mauvaises pratiques de stérilisation. Lorsque les médecins de l’hôpital se sont aperçus de la présence du VIH, ils ont rectifié ces pratiques et les transmissions ont apparemment cessé. » « Il y a en tout cas un doute sérieux sur la responsabilité du personnel condamné », ajoute Montagnier, qui demande à Kadhafi « la grâce des condamnés au bénéfice du doute ».
Mais quel que soit le verdict, le vrai coupable restera la négligence

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