Pourquoi la série noire

L’espace aérien du pays est parmi les plus dangereux du continent. Les accidents y ont fait ces quinze dernières années près de 1 200 morts.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est une de ces « journées noires » dont le Nigeria a hélas !l’habitude. Le 29 octobre, dans la matinée, un Boeing 737 de la compagnie nigériane ADC (African Development Company) s’écrase dans un champ de maïs. La cabine est scindée en deux. Le cockpit est embouti. Des bouts de carcasse déchiquetée jonchent la terre humide de pluie. Trois minutes auparavant, l’appareil quittait l’aéroport d’Abuja, quatre kilomètres plus loin, en direction de Sokoto (au nord-ouest du pays). Quatre-vingt-seize des 105 passagers n’arriveront jamais à destination. Les 9 survivants sont à l’hôpital.
Le « Black Sunday » – c’est ainsi que la presse nationale a, immédiatement, baptisé la journée du 29 octobre – ajoute une page aux annales déjà noires des catastrophes aériennes nigérianes. En un an et sept jours, le pays le plus peuplé du continent (plus de 130 millions d’habitants) a été endeuillé par quatre crashs. Le 22 octobre 2005 – un dimanche, encore -, le Boeing 737 de Bellview Airlines disparaît des écrans de contrôle et s’écrase près du village de Lissa, à une cinquantaine de kilomètres de Lagos. Aucun des 117 passagers ne survit. Un mois et demi plus tard, le 10 décembre, le McDonnell Douglas de Sosoliso Airlines s’embrase en plein ciel alors qu’il essaie de se poser à Port-Harcourt, où opèrent l’essentiel des compagnies pétrolières. Bilan : 108 morts et 1 miraculé. Et le 17 septembre, il y a moins de deux mois, un appareil de l’armée pique du nez à Vandeikya (Sud-Est). Treize des 18 militaires à bord ont péri, ce dimanche de septembre. Pour la plupart des officiers supérieurs nigérians.
Le décompte macabre peut continuer : 4 mai 2002, Kano (Nord), 74 passagers morts, sans compter les fidèles qui se trouvent dans les deux mosquées sur lesquelles tombe l’appareil ; 7 novembre 1996, Lagos, 143 morts ; 26 septembre 1992, environs de Lagos, 158 morts. Sans oublier le crash d’un appareil de Nigerian Airways, le 11 juillet 1991 à Djeddah (Arabie saoudite) : 261 morts. Depuis 1991, près de 1 200 personnes sont décédées en voyageant avec une compagnie nigériane. L’espace aérien du pays est parmi les plus dangereux d’Afrique : d’après l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), 11,9 % des 210 accidents d’avion du continent entre 1994 et 2003 s’y sont produits.
Malédiction ? En tout cas, les catastrophes se reproduisent avec une régularité troublante Comme le 17 septembre 2006, comme le 22 octobre 2005, des « personnalités importantes » ont péri, ce 29 octobre, à côté de Nigérians anonymes : ainsi de Mohammadu Maccido, 80 ans, sultan de Sokoto et chef spirituel des 70 millions de musulmans que compte le pays. L’an dernier, le secrétaire exécutif adjoint de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le général malien Cheick Oumar Diarra, est à bord du vol fatal de Bellview Airlines.
Traditionnellement, Olusegun Obasanjo décrète, la mine consternée, trois jours de deuil national. En septembre, il interrompt son séjour à Singapour – où il assiste aux réunions d’automne du Fonds monétaire international (FMI) -, rentre à la hâte au pays et déplore « une perte immense pour la nation tout entière ». Puis vient le temps de la colère et des mesures radicales. En décembre 2005, Sosoliso Airlines, dont l’appareil vient de s’écraser, est soumise à une inspection. Deux experts internationaux doivent passer en revue tous les avions qui volent au Nigeria en une semaine ! Dans un coup de gueule mémorable, le chef de l’État incrimine les corrompus du système qui détournent l’argent destiné à la sécurité. Des têtes tombent dans les administrations de l’aviation civile. Le 30 octobre, c’est le même scénario : le gouvernement retire, avec « effet immédiat », sa licence à la compagnie aérienne ADC et annonce l’arrivée « dans les vingt-quatre heures » d’enquêteurs américains. Les boîtes noires doivent être envoyées pour analyse à Washington, le Nigeria ne disposant pas des moyens techniques.
Les démonstrations présidentielles de volontarisme laissent sceptique. Surtout devant l’immense tâche de sécurisation du ciel nigérian. Routes en mauvais état et peu sûres, chemin de fer déliquescent : l’avion reste le moyen de transport le moins dangereux et le plus pratique. Depuis la mort de la compagnie nationale – Nigerian Airways -, en 2003, une douzaine de sociétés, qui pratiquent les mêmes tarifs et offrent les mêmes prestations, se partagent le marché, notamment le triangle infernal Lagos, Port-Harcourt, Abuja, les aéroports les plus fréquentés du pays. Chacune des enseignes possède trois à quatre appareils d’une centaine de places, le plus souvent des Boeing ou des McDonnell Douglas vieux d’une vingtaine d’années.
« Au Nigeria, on prend l’avion comme l’autobus, explique un consultant aérien. On achète son billet et on attend devant le guichet. Toutes les vingt minutes, il y a un Lagos-Abuja. » Les appareils volent à plein régime sans subir les contrôles de rigueur, les pilotes enchaînent les trajets sans observer le repos réglementaire, le nombre de passagers déclaré à la tour de contrôle est systématiquement minoré, les bagages ne sont pas pesés Le laxisme et l’irresponsabilité règnent. Le pilote du vol fatal d’ADC n’aurait pas écouté les injonctions des contrôleurs d’attendre que la tempête passe avant de décoller. « Dieu est en charge de l’avion », aurait-il déclaré
« Plus que les hommes, c’est l’infrastructure qui laisse à désirer », estime le même expert. L’aéroport de Port-Harcourt est actuellement fermé pour travaux. On le ceint d’une clôture pour éviter que ne se reproduise la mésaventure d’un pilote d’Air France qui, un jour, dut atterrir tout en évitant le troupeau de bovins qui divaguait sur le tarmac. De nouveaux radars doivent être également installés sur les pistes. Quelques mesures sont donc tout de même appliquées pour enrayer la descente aux enfers du transport aérien nigérian. Conjuguée aux prises d’otages récurrentes dans l’État pétrolier du Delta du Niger (Sud-Est), elle écorne terriblement l’image du pays. Encore les expatriés peuvent-ils emprunter Virgin Nigeria, nouvelle compagnie réputée plus sûre que ses concurrentes. Aux Nigérians, il reste le risque et les accidents.

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