Nouveau round pour le tandem Gbagbo-Banny

La résolution, la 19e depuis le début de la crise en 2002, que le Conseil de sécurité de l’ONU vient d’adopter après un long marathon diplomatique met fin à une phase de transition pour en ouvrir une autre. La dernière ?

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Abidjan, jeudi 2 novembre, 8 heures. Voilà quarante-huit heures que la Côte d’Ivoire, suspendue à la fin d’une phase de transition et au début d’une autre, vit à l’heure de New York, et le vote à l’unanimité de la résolution 1721 par le Conseil de sécurité dans la nuit n’a finalement rien changé. Ou peut-être que si : elle a permis aux Ivoiriens de reprendre le travail plutôt rassérénés après un 1er novembre férié et bien calme. Sauf dans la banlieue populaire de Yopougon, fief des « Jeunes Patriotes », où l’on a craint le pire dans l’après-midi. Des échauffourées entre gendarmes et milices du Groupement des patriotes pour la paix (GPP, pro-Gbagbo) y ont fait un mort. Mais l’appel au calme du chef de l’État, réitéré le 2 novembre à la mi-journée sur les écrans de la télévision nationale, la RTI, a calmé les esprits.
Hormis un commando de Licorne aperçu aux abords de l’ambassade de France, les militaires sont restés discrets. Même la Sorbonne (une place du quartier du Plateau fréquentée par les partisans du président Gbagbo) qui, depuis le début de la crise en 2002, prend feu à la moindre étincelle, était étrangement paisible. Les camions qui circulent dans tout le pays n’ont pas arrêté leur sarabande entre la zone de confiance, dans le Nord, et le Sud, sans encombres. Finalement, ce 31 octobre tant redouté, date de la fin du prolongement de mandat accordé par le Conseil de sécurité de l’ONU au chef de l’État ivoirien un an plus tôt, n’était qu’un jour ordinaire. Et la Côte d’Ivoire, qui s’était préparée au pire, est retournée vaquer à ses affaires courantes. Rassurée qu’un nouveau coup de feu ne soit pas venu ensanglanter une fois encore les rues d’Abidjan. Mais tout de même amère, car l’avenir qu’on lui réserve ressemble aussi tristement à l’année qu’elle vient de vivre.
Si le clan présidentiel a crié victoire pour n’avoir rien lâché sur la Constitution, Laurent Gbagbo s’est contenté de souligner les difficultés de la France à imposer un texte contraignant aux autres membres du Conseil de sécurité et a fermement indiqué sa détermination à ne pas se laisser retirer une once de pouvoir. L’opposition, réunie au sein du Rassemblent des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), a exprimé, de son côté, sa satisfaction de voir les pouvoirs du Premier ministre élargis. Pour une fois en Côte d’Ivoire, tout le monde semble content
Ce qui fait déjà murmurer dans les milieux diplomatiques que le texte adopté le 1er novembre n’est qu’un replâtrage de la résolution 1633. La France, rédactrice du projet de résolution, a dû reculer sur certains aspects de la mouture proposée une semaine auparavant. Il n’y aura pas de prééminence des textes internationaux sur la Constitution ivoirienne. C’était inacceptable pour la Chine, la Russie et les États-Unis, suivis par une Tanzanie désireuse de s’opposer à la France pour plaire à son grand partenaire, l’Afrique du Sud, qui, depuis la fin de la médiation de Thabo Mbeki, n’a plus voix au chapitre. Dans ce qu’on appelle déjà « la 1721 », le Premier ministre n’obtient pas non plus le droit de procéder à la nomination aux hautes fonctions civiles et militaires.
La France, qui a été appuyée par le Royaume-Uni, le Ghana et le Congo (à la tête de l’Union africaine), estime, pour autant, n’avoir pas tout perdu. « Nous avons longtemps bataillé », explique un diplomate. Car si le Premier ministre ne pourra pas se présenter lui-même à l’élection présidentielle, le texte stipule sans ambages qu’il dispose de « tous les pouvoirs nécessaires, toutes les ressources financières, matérielles et humaines requises » pour conduire le programme DDR, les opérations d’identification des électeurs, le redéploiement de l’administration et la préparation des élections. Dans ces domaines-là, il pourra prendre des décrets-lois et des ordonnances en Conseil des ministres et en Conseil de gouvernement. Sur les paragraphes 8 et 9, la France a obtenu gain de cause, grâce, explique-t-on à Paris, au soutien de la Cedeao et de l’Union africaine. « Le jour où les Africains ne seront plus en accord avec nous, et s’ils ne veulent pas s’opposer à Laurent Gbagbo, nous ne pourrons plus faire grand-chose », admet-on chez les Français. Tout en se rassurant : cette 19e résolution sur la crise ivoirienne sera la dernière accordée aux parties pour régler leurs différends.
En effet, en séance du Conseil de sécurité, le 31 octobre, l’ultime argument présenté par l’ambassadeur de France, Jean-Marc de la Sablière, à ses homologues a fait mouche. En expliquant que si la France n’obtenait pas gain de cause, elle pourrait envisager le retrait des 3 500 soldats de la force Licorne, qui devront alors être remplacés par des Casques bleus – sous peine de plonger toute la région dans le chaos -, le diplomate a employé le seul langage que tous comprennent : celui du coût de la crise ivoirienne pour la communauté internationale. L’ambassadeur John Bolton, notoirement anti-Chirac, qui s’était rallié, contre l’avis du département d’État américain, à l’opposition chinoise et russe, a vite compris l’enjeu pour son pays, qui participe à hauteur de 22 % au budget de toutes les opérations de maintien de la paix déployées par l’ONU dans le monde. « Une opération qui coûte déjà 37 millions de dollars par mois à l’ONU, sans compter le coût assumé par la France pour Licorne [320 millions de dollars par an], c’est déjà beaucoup d’argent pour faire plaisir à des gens qui se complaisent dans le statu quo », estime un haut responsable de l’ONU.
Quelle que soit la pertinence de l’argumentation française, notamment sur la suprématie des textes internationaux sur les lois nationales, elle n’a pu emporter l’adhésion de la Chine et de la Russie, qui craignent que la démarche ne leur soit appliquée un jour. Ni, non plus, celle des États-Unis, réticents à l’idée d’une jurisprudence onusienne supraétatique et peu mécontents de voir la Côte d’Ivoire devenir l’Irak de Chirac. Sans doute la France n’avait-elle d’ailleurs placé la barre haut que pour obtenir le maximum. « Il y a toujours des divergences d’appréciation entre les membres du Conseil de sécurité. Mais ils sont tous d’accord sur une chose : il faut en finir. Il y a d’autres problèmes plus importants que la Côte d’Ivoire dans le monde. Cette fois-ci, c’est la dernière chance. » Et elle repose, en grande partie, sur les épaules d’un Premier ministre devenu trop discret depuis l’échec du processus d’identification de la population (les audiences foraines) en août dernier.
Charles Konan Banny va-t-il profiter de la résolution pour reprendre la main ? « Il possède, en réalité, les pouvoirs d’un Premier ministre en période de cohabitation », résume un diplomate français. « C’est-à-dire qu’il peut tout faire, encore faut-il qu’il le veuille et qu’il se décide à engager le bras de fer avec le chef de l’État. » Au-delà d’un éventuel remaniement mineur de son gouvernement, il devra surtout, sans attendre, faire redémarrer les audiences foraines, en collaboration avec le haut représentant de l’ONU pour les élections, Gérard Stoudmann. Ce dernier, à qui le texte accorde une marge de manuvre beaucoup plus large, est dorénavant « la seule autorité à rendre les arbitrages nécessaires en vue de prévenir ou résoudre toute difficulté ou contentieux liés au processus électoral ». « Je suis assez heureux », estime l’intéressé, un homme que beaucoup, à Abidjan, estiment déterminé et volontaire.
« Le nouveau texte, indique Stoudmann, enlève certaines ambiguïtés, qui, en Côte d’Ivoire, sont toujours mises à profit pour ralentir le processus électoral par ceux qui ne veulent pas qu’on aille trop vite. Le gouvernement reste le maître d’uvre du processus électoral, mais je serai consulté et associé à chaque étape de décision. » Première urgence selon lui : « une campagne publique claire sur les audiences foraines ». Selon de bonnes sources, le Premier ministre a déjà donné des ordres à ses services, depuis trois semaines, pour reprendre assez vite le processus. S’il ne le fait pas d’ici à deux mois, les différents acteurs restent persuadés que l’élection présidentielle n’aura pas lieu en octobre 2007. Le risque de voir se prolonger la situation d’immobilisme qui prévaut depuis un an est réel. Le temps presse et « ce n’est pas la résolution qui va changer quoi que ce soit, mais la volonté politique des acteurs, comme toujours », conclut un diplomate étranger.

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