Exposition : « La part de l’ombre, sculptures du sud-ouest du Congo »

Le musée du quai Branly et l’AfricaMuseum de Tervuren s’associent pour une exposition d’œuvres congolaises jusqu’au 10 avril 2022. Au-delà de la contemplation esthétique, les motivations de cette mise en lumière prêtent à discussion.

Masque pwo, réalisé par un artiste tshokwe, collecté par G. Le Paige (missionnaire jésuite), et inscrit en 1948 aux collections du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren. © Studio R. Asselberghs – F. Dehaen, MRAC Tervuren

Masque pwo, réalisé par un artiste tshokwe, collecté par G. Le Paige (missionnaire jésuite), et inscrit en 1948 aux collections du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren. © Studio R. Asselberghs – F. Dehaen, MRAC Tervuren

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 22 décembre 2021 Lecture : 2 minutes.

À l’heure où le musée du quai Branly – Jacques Chirac (France) et l’AfricaMuseum de Tervuren (Belgique) sont vivement confrontés à la question des restitutions, l’exposition qu’ils présentent en collaboration à Paris, jusqu’au 10 avril 2022, a quelque chose d’anachronique. La part de l’ombre, sculptures du sud-ouest du Congo s’attache, selon son commissaire Julien Volper, « à dresser un panorama des arts traditionnels de cette aire culturelle », à savoir un vaste territoire regroupant les provinces actuelles du Kwango, du Kwilu, du Mai-Ndombe et de Kinshasa « où plusieurs dizaines de peuples cohabitent ».

163 œuvres sont offertes au regard des visiteurs : masques emblématiques Yaka et Suku liés au rite initiatique du mukanda, masques tshokwe dits akishi matérialisant des défunts importants, masques « de village » des Pende faisant le lien entre les vivants et les morts voisinent ainsi avec diverses statuettes aux fonctions variées, des outils (hachettes, herminettes, sabres), des pendentifs… Toutes ces créations sont présentées et analysées en fonction « de leurs caractéristiques typologiques, iconographiques et stylistiques » et de leurs usages.

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Une exposition en demi-teinte

Sur le plan esthétique, le contrat est bien évidemment rempli. Comment ne pas s’extasier devant ce masque yaka « kholuka » figurant une scène sexuelle plutôt flatteuse pour un jeune homme au membre démesuré ? Comment ne pas s’étonner face au visage grimaçant du masque pende « bwalabwala » qui, nez et bouche tordus, serait un mélange de deux masques différents : le tundu, bouffon grivois et moqueur, et le mbangu, « tête de Turc » victime de sorcellerie ? Comment ne pas tomber raide amoureux de ce masque tshokwe « pwo » s’inspirant – sans nul doute – des traits, de la coiffure et des scarifications d’une fort belle femme ? Enfin, comment ne pas être ensorcelé par cette chimère anthropo-zoomorphe yanzi utilisant les particularités d’une branche d’arbre pour donner naissance à un être étrange ? La liste pourrait être déroulée encore, tant l’exposition regorge de pièces superbes, rarement montrées, témoignant des talents variés des sculpteurs de la région à la fin du XIXet au début du XXsiècle.

Masque bwalabwala, réalisé par les Pende occidentaux, collecté avant 1932 par P. Hoet (missionnaire jésuite), inscrit en 1998 aux collections du Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren. © J.-M. Vandyck, MRAC Tervuren

Masque bwalabwala, réalisé par les Pende occidentaux, collecté avant 1932 par P. Hoet (missionnaire jésuite), inscrit en 1998 aux collections du Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren. © J.-M. Vandyck, MRAC Tervuren

Pour autant, le propos des deux musées et du commissaire d’exposition reste peu lisible pour le commun des mortels. Le parcours de La part de l’ombre est fragmenté, sinueux, les explications, tantôt lacunaires tantôt précises, ne prennent guère en compte les méthodes de « collecte » employées par ceux qui rapportèrent ces chefs d’œuvres en Occident. L’approche esthétique, qui a présidé à la naissance du musée du quai Branly, serait-elle de retour en grâce ? Ce serait un moindre mal, tant l’on sent poindre dans cette exposition les relents d’une forme d’ethnographie de surplomb que l’on croyait depuis longtemps remisée.

Comme le dit un personnage de l’écrivain togolais Sami Tchak dans son nouveau livre, Le continent du tout et du presque rien, « Ethnologue, ah, oui ! L’ethnologie, une science ambiguë. Les ethnologues se mentent surtout à eux-mêmes à partir de leur prétention à aimer les peuples qu’ils étudient. En vérité, l’ethnologue va où la verticalité lui est garantie. Aujourd’hui, votre science est une discipline sans intérêt, mais elle avait constitué à une époque une éclaireuse sur les chemins de notre merveilleuse aventure coloniale. » Cruel, peut-être, mais le temps d’une nouvelle anthropologie est depuis longtemps venu.

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