Mangué Obama Nfube

Cinquième volet d’une série consacrée aux Premiers ministres africains : cette semaine, le locataire de la primature à Malabo.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Comme leurs voisins gabonais, les Équatoguinéens ont observé pendant des décennies une règle non écrite : le président a toujours été fang et le chef du gouvernement bubi. Pour la première fois, la norme a été mise en veilleuse. C’est Ricardo Mangué Obama Nfube, un Fang et non plus un Bubi, qui fêtera ses cent jours à la primature le 14 novembre. Sans doute, explique un conseiller à la présidence, parce que « Mangué prend des initiatives, alors que ses prédécesseurs, à cause du complexe de la minorité, n’arrivaient pas à appliquer les directives du chef de l’État, par crainte d’être accusés d’en faire trop ».
Né en février 1960 à Aton Nsomo, dans le nord-est du pays, Ricardo Mangué Obama Nfube est un fils d’agriculteur. Après le collège Patrice-Lumumba de Mongomo, il entre au lycée Carlos-Lwanga de Bata, la deuxième ville du pays. En 1980, il arrive en Espagne avec une bourse du gouvernement et s’inscrit à l’université Complutense de Madrid. Il en sortira avec deux diplômes, l’un en sciences politiques, sociologie et administration publique, l’autre en droit. Quand il revient au pays cinq ans plus tard, il rêve de devenir avocat. Mais il sera juge. Recruté dans la magistrature en 1986, Mangué Obama gravit rapidement les échelons et finit président de la Cour d’appel. Il évoque avec une certaine fierté ces années passées à dire le droit : « Nous avons beaucoup fait pour renforcer l’État de droit, assurer l’indépendance de la justice, consolider l’impartialité des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. »
Lorsque, en 1991, la Guinée équatoriale rompt avec le parti unique, Mangué Obama se retrouve au cur du pouvoir. Première fonction : ministre secrétaire général à la présidence. En quinze ans, il aura fait le tour des ministères. Éducation et Science, Travail et Sécurité sociale, Fonction publique et Réforme administrative. En 2004, il est promu vice-Premier ministre chargé de la Fonction publique, des Affaires sociales et des Droits humains. Malgré ce parcours, le nouveau Premier ministre ne se considère pas comme un homme politique. Il se voit plutôt en technicien, en « professionnel du droit » dont l’expérience peut servir dans « la recherche des équilibres socio-économiques ». Dès son arrivée à la primature, il fixe le cap : développement des infrastructures, décentralisation et, surtout, lutte contre la corruption, son cheval de bataille. « On n’a pas un degré de corruption plus important qu’ailleurs, affirme-t-il. Nous voulons simplement mettre fin à l’impunité, afin que personne ne soit au-dessus de la loi. Combattre la corruption, c’est lutter contre la pauvreté. »
Un pari difficile et périlleux. Il ne s’agit pas en effet de traquer le citoyen lambda qui soudoie un agent, mais d’avoir des gens formés et capables de démanteler les vrais réseaux de la corruption. Dans ce challenge, le Premier ministre dispose d’un atout : une « intégrité » que beaucoup lui reconnaissent. Un ambassadeur en poste à Malabo ne cache pas son admiration : « C’est un technocrate très méthodique et très pointilleux, de la race de ceux qui maîtrisent leurs dossiers et les font aboutir. Il ne manque pas de courage politique. Le chef de l’État peut utiliser sa détermination comme un gage pour de réels changements. »
Peu après sa prise de fonctions, le 14 août, Mangué Obama Nfube convoque les opérateurs économiques. Il les assure qu’il est là pour changer les choses et non pour tenir des discours. À chacun, il remet sa carte de visite en soulignant qu’il peut être joint à tout moment. Près de trois mois plus tard, un chef d’entreprise de Malabo note « une quasi-disparition des agents de la brigade routière » prompts au racket, la « rareté des visites impromptues et des harcèlements des agents de certains ministères ». Et de conclure : « Les hommes d’affaires respirent. » Est-ce déjà l’effet Mangué ? En tout cas une commission anticorruption a déjà vu le jour. Et les premières têtes tombent. Il y a eu d’abord l’affaire des lignes téléphoniques, qui a coûté son poste au secrétaire général du ministère des Transports et Communications. En cause l’attribution de quelque 800 lignes, sur le fixe et le mobile, à des personnes qui émargeaient illégalement au budget de la présidence de la République. Cette pratique a coûté une fortune au Trésor public. Les lignes en question ont été supprimées. Autre victime, le secrétaire général du ministère du Travail, accusé d’avoir reçu un pot-de-vin d’une société belge du bâtiment, Besix. L’entreprise a, elle, été condamnée à payer une amende de 50 millions de F CFA.
Par ailleurs, quatre fonctionnaires du ministère de l’Éducation et un agent du Trésor ont été sanctionnés pour « corruption et falsification de documents publics ». Poursuivant sa logique, le Premier ministre veut prêcher par l’exemple. Pour la première fois en Guinée équatoriale, une Commission nationale d’éthique est à pied d’uvre. Bientôt, les membres du gouvernement vont s’y présenter afin de déclarer leurs biens. Mais jusqu’où peut-il aller ? Un homme d’affaires belge qui l’a rencontré plusieurs fois entrevoit l’avenir : « S’il a les mains libres, il peut changer l’image du pays. Chez lui, la loi est au-dessus de tout. Et il a un sens de l’État très prononcé. »
Homme du sérail, modeste, avenant et peu soucieux de protocole, Ricardo Mangué Obama tient néanmoins au respect de la hiérarchie. S’il ne rechigne pas à exercer une certaine autorité sur ses collaborateurs, il tient toujours compte de chaque situation et recherche le plus large consensus possible avant de décider. Marié, père de cinq enfants, il mène une vie rangée : pas de tabac, pas d’alcool, mais footing tous les matins. Et puis lecture, Internet, perfectionnement du français et de l’anglais. Sans oublier une autre passion : la musique de l’ex-Zaïre, avec une préférence pour Franco Lwambo. Il en a sans doute besoin, lui qui doit traiter des dossiers aussi épineux que la renégociation des contrats pétroliers ou le différend territorial avec le Gabon à propos de l’îlot Mbanié. Dans ce contentieux, il est, en tant que juriste de formation, « l’éminence grise du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo depuis des années », laisse-t-on entendre à Malabo.

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