Mama Galledou, suppliciée pour rien

Une étudiante d’origine sénégalaise brûlée vive dans un bus, à Marseille, par de jeunes délinquants. Entre fait-divers et affaire d’État.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

« Ceux qui ont fait ça ne peuvent pas rester impunis. Ils doivent être punis avec une très grande sévérité. C’est un acte barbare, un acte lâche, un acte gratuit, un acte stupide, un acte criminel », a lancé le 1er novembre Nicolas Sarkozy, le ministre français de l’Intérieur, au sortir d’une visite à la famille de Mama Galledou.
Étudiante d’origine sénégalaise, la jeune femme (26 ans) a été brûlée à 62 %, le 28 octobre, dans l’incendie criminel d’un bus, à Marseille. La réaction de Sarkozy fait suite à celle du président Jacques Chirac, qui, dès le lendemain du drame, a appelé la famille de la victime pour lui exprimer sa compassion. Mais aussi à l’initiative de Dominique de Villepin, le Premier ministre, qui, le 30 octobre, a convoqué une réunion d’urgence dans ses bureaux de l’hôtel Matignon pour plancher sur « la sécurité dans les transports publics ».
Le tragique fait-divers qui a frappé la cité des Lilas, dans le 13e arrondissement de Marseille, a très vite pris les proportions d’une affaire politique de première importance. Toute la presse française et internationale s’est donné rendez-vous dans la cité phocéenne et a pris d’assaut le service des grands brûlés de l’hôpital de la Conception. Dans la matinée du 31 octobre, un grand rassemblement a eu lieu à la faculté des sciences de Saint-Jérôme, où, en septembre 2005, Mama Galledou avait décroché un mastère en « nutrition, hygiène et sécurité alimentaire ».
Le contexte de précampagne présidentielle, marqué par une surenchère sur la sécurité, n’est évidemment pas étranger à cet engouement, mais il n’explique pas tout, en raison du caractère à la fois tragique et totalement absurde de l’événement.
Depuis la soirée maudite du 28 octobre, la jeune Franco-Sénégalaise arrivée à Marseille en 2000 pour poursuivre ses études universitaires lutte contre la mort, victime de jeunes insensés qui ont jeté de l’essence sur le bus à bord duquel elle se trouvait en compagnie d’une dizaine de passagers. Avant d’y mettre le feu. Son corps meurtri, entièrement bandé à l’exception du nez, relié par un tube à un respirateur, repose sur un lit à air, dans une chambre stérile de l’hôpital. Pour lui éviter de trop souffrir, la jeune femme a été plongée par les médecins dans un coma artificiel. Seuls quelques proches triés sur le volet sont autorisés à la regarder à travers une baie vitrée. En dehors du personnel médical, personne n’a accès à sa chambre. Pas même son père, Bocar Sally Galledou, maître de conférences en chimie et en énergie à l’université de Dakar, arrivé en France dans la soirée du 30 octobre avec l’aide du ministère français de l’Intérieur. Entre la famille Galledou et Marseille, il y a une longue histoire. Une histoire d’amour qui, aujourd’hui, tourne au cauchemar.
Comme sa fille un peu plus de deux décennies plus tard, Bocar Sally a étudié à la faculté des sciences de Saint-Jérôme, à 200 mètres du lieu du drame. Il y a même soutenu une thèse d’État en chimie. Mama est née à Marseille, en 1980. À l’âge de 1 an, elle regagne le Sénégal avec sa famille. À 20 ans, bac scientifique en poche, retour dans sa ville natale, où elle étudie la médecine pendant deux ans avant de s’inscrire à la faculté des sciences de Luminy. Elle décroche une licence de biochimie, puis un mastère, conclu par un stage au magasin Auchan d’Aubagne, avec la note de 16 sur 20. Il y a trois ans, son frère et sa sur l’ont rejointe. Eux aussi poursuivent leurs études dans les universités marseillaises. Toute la petite famille vit en France sous l’autorité d’un cousin, Ousmane Diagana, établi à Paris depuis plusieurs années.
Depuis le drame, celui-ci s’efforce de dresser un mur étanche entre ses jeunes cousins et le reste du monde, visiteurs, curieux ou journalistes. « Le frère et la sur de Mama ne doivent pas être sollicités, estime-t-il. La famille n’a pas besoin de publicité et souhaite se tenir à l’écart des joutes politiques. Elle n’éprouve ni haine ni rancune ni colère. Son seul souci est de voir Mama se rétablir. » Un propos qui reflète parfaitement l’état d’esprit des jeunes gens, qui font le pied de grue devant la baie vitrée de la chambre stérile, le regard absent, à l’affût du moindre commentaire des médecins.
Le calvaire de Mama Galledou, cette étudiante brillante, « correcte et sans histoires », de l’avis de tous ses voisins de la cité HLM des Ballustres, à quelques centaines de mètres de Saint-Jérôme, a suscité un émoi considérable dans son pays d’origine. Depuis les États-Unis, où il séjournait au moment du drame, le président Abdoulaye Wade a suivi de près les développements de l’affaire. Le 30 octobre, des représentants du consulat du Sénégal à Marseille conduits par le chargé d’affaires Abdourahmane Baro se sont entretenus avec Diagana et le père de la victime, dans une salle de réunion de l’hôpital de la Conception. Ils leur ont transmis un message de compassion du chef de l’État.
Pendant ce temps-là, l’enquête de la Division interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) avançait à grands pas. Dès l’aube du 31 octobre, cinq suspects, des mineurs de 15 ans à 17 ans connus des services de police et de la justice, ont été interpellés et placés en garde à vue. À en croire Jacques Beaume, le procureur de Marseille, ils risquent jusqu’à trente ans de réclusion criminelle. La volonté de faire de cette affaire très médiatisée un exemple est manifeste.
Aussi lourde soit-elle, la peine infligée à ses bourreaux ne compensera pas les dommages gravissimes subis par Mama Galledou. Si elle tient pendant trois semaines – le seuil fatidique pour les grands brûlés -, la jeune femme a des chances de survivre. Mais elle conservera en toute occurrence « de lourdes séquelles physiques », explique le Pr Jean-Claude Manelli.

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