La vieille dame et l’épave

L’hélicoptère américain abattu en 1993 à Mogadiscio n’est pas perdu pour tout le monde. Une veuve en a fait un lieu de pèlerinage pour ses compatriotes et une curiosité pour touristes. Moyennant finances, bien sûr.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

On l’appelle « Madame Black Hawk », elle vit dans un quartier surpeuplé surnommé « Tokyo ». Dans un coin de sa cour, sous le fil à linge et à côté de la calebasse d’eau potable, se trouve un morceau d’histoire des États-Unis que les Américains préféreraient oublier : l’avant d’un hélicoptère Black Hawk [Faucon noir, NDT], abattu à Mogadiscio le 3 octobre 1993 au cours d’un combat de rue qui a vu tomber dix-huit soldats américains, causé une volte-face dans la politique étrangère des États-Unis et donné lieu au tournage d’un film à grand spectacle.
L’armée américaine ne manifeste aucune envie de récupérer l’épave. Elle demeure donc une étrange attraction touristique dans l’un des hauts lieux de la guerre, là où les bazookas sont en vente au marché, à côté des quartiers de viande de mouton couverts de mouches, au pays où les enfants des écoles apprennent l’anglais en récitant des histoires de massacres.
Si l’histoire de ces Black Hawk a une signification spéciale pour les Américains, il en est de même pour les Somaliens, qui sont très fiers d’avoir pu, ce jour-là, humilier la superpuissance. Le vrai nom de « Madame Black Hawk » est Hawa Elmi, 66 ans, analphabète, issue d’une famille de nomades éleveurs de chameaux. Lorsqu’elle est arrivée à Mogadiscio, dans les années 1960, la ville était encore un joyau d’architecture d’inspiration italienne posée au bord de l’océan. Hawa ne se fait jamais prier pour raconter comment, ce 3 octobre 1993, l’hélicoptère s’est écrasé près de sa cour.
Un contingent de rangers américains tentait de venir à bout d’un groupe de partisans de l’un des chefs de guerre les plus connus de Mogadiscio, Mohammed Farah Aidid. Mais la mission était dangereuse et, brusquement, elle a tourné à la catastrophe : un soldat s’est pris les pieds dans sa corde en descendant de l’hélicoptère, les secours se sont égarés dans le labyrinthe des ruelles de la ville et les militaires somaliens n’ont eu qu’à « cueillir » les deux Black Hawk, les abattant à coup de roquettes avant de se retourner contre les fantassins. Dix-huit soldats d’élite américains sont morts, des dizaines d’autres ont été blessés et plus de mille Somaliens tués.
Quelques jours plus tard, le président Bill Clinton décidait le retrait des troupes. Les Somaliens ivres de joie ont découpé et récupéré la ferraille des carcasses. Certains ont même arraché les insignes sur les cadavres, en guise de souvenir. Hawa n’était pas de ceux-là. Veuve depuis plusieurs années, ses six enfants à nourrir, elle a traîné l’avant d’un des appareils vers sa cour, au milieu des ruelles enchevêtrées de « Tokyo », le long des murs hachés par les balles.
Elle a commencé son business modestement, exigeant quelques centimes seulement des gosses du quartier pour les autoriser à voir son trophée, seul témoignage concret de ce que les Somaliens appellent désormais Ma-alinti Rangers, le Jour des rangers. Mais après la sortie du film La chute du Faucon noir, en 2001 – dont des copies piratées ont fait le tour de Mogadiscio -, ses affaires sont montées en flèche. Elle exige désormais 3 dollars pour les étrangers et 75 cents pour les locaux. « Un monde fou vient de partout, explique-t-elle. C’est trop beau pour ne pas en profiter. »
Le général américain à la retraite Antony Zinni, qui a supervisé les opérations de 1993 en Somalie, trouve incroyable que des gens aussi marqués par la guerre au quotidien que les habitants de Modagiscio puissent payer pour voir ces reliques. Hawa Elmi reçoit de nombreux journalistes et des travailleurs humanitaires qui lui donnent de bons pourboires, mais elle voit aussi défiler des miliciens qui marchandent âprement ou refusent de payer.
L’histoire des Black Hawk fait désormais partie du passé. Mogadiscio est aujourd’hui régie par les Tribunaux islamiques qui font régner sur la ville un calme qu’elle n’avait pas connu depuis des années. L’une des raisons de leur succès auprès de la population est justement leur sentiment antiaméricain, alors que les autres chefs de guerre bénéficient du soutien des États-Unis. Certains habitants craignent une application radicale de la charia, mais, pour le moment, ce n’est pas le cas. Hawa a ses raisons pour aimer les islamistes : « Ils nous ont apporté la paix, et la paix apportera les touristes »

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