Le ressentiment antifrançais, ou comment se défausser de ses responsabilités

Sur le continent, les scènes d’hostilité à la présence des forces françaises se multiplient. Des manifestations de défiance bien commodes pour certains dirigeants africains, peu enclins à s’interroger sur leur rôle dans l’échec de la lutte contre le jihadisme.

Le 15 novembre 2019, à Bamako, le sentiment d’hostilité contre la France battait son plein. Depuis, il n’a fait que croître. © Bastien Louvet/SIPA

Le 15 novembre 2019, à Bamako, le sentiment d’hostilité contre la France battait son plein. Depuis, il n’a fait que croître. © Bastien Louvet/SIPA

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  • Francis Akindès

    Sociologue, professeur à l’Université Alassane-Ouattara, à Bouaké (Côte d’Ivoire)

Publié le 9 janvier 2022 Lecture : 4 minutes.

La vague de ressentiment antifrançais – que l’on observe notamment avec le blocage d’un convoi militaire à Kaya, au Burkina Faso, ou encore les récriminations d’un dirigeant malien à la tribune des Nations unies –, ressemble à une éruption cutanée. Ressortent ainsi les comptes mal soldés de la colonisation, transmis de génération en génération.

Les pays d’Afrique francophone ont tous des histoires particulières dans leur relation avec l’ancien pays colonisateur. Le Mali a, par exemple, demandé à Paris de le débarrasser du jihadisme en 2013. Huit ans plus tard, la présence de groupes armés se fait grandissante et menaçante. Et tout se passe comme si l’on demandait des comptes à un prestataire de service… L’État malien en veut à l’Hexagone de n’avoir pas fait la guerre à sa place.

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L’éléphant et la fourmi

Ailleurs aussi, la colère gronde. Au Niger et au Burkina, on rappelle à la France que la situation actuelle n’est qu’une conséquence de son intervention de 2011 en Libye. On la somme de payer, matériellement et militairement, dans un processus qui relève en fait de la déresponsabilisation de soi. Accuser ainsi la France de tous les maux est censé permettre de masquer la faiblesse de l’État au Niger et au Burkina, et sa faillite au Mali.

Cette hostilité à l’égard de Paris me rappelle ce que disaient deux chercheurs américains, Todd Palmer et Jacob Goheen, sur la relation entre l’éléphant et la fourmi : si grand soit-il, le premier a peur de l’autre, parce qu’elle peut entrer dans ses narines. La fourmi, elle, va se nourrir de nectar d’acacia. Le nectar, dans la zone sahélo-saharienne, c’est cet imaginaire complètement pollué par le fait qu’on n’ait jamais voulu faire une lecture plus objective des situations ayant mené au jihadisme. Un nectar produit par un environnement d’États emplis de failles, qui n’ont d’armées que le nom et sont sous l’emprise de la désinformation russe.

Nous assistons ces dernières années à l’essor d’une opinion mue par de l’acrimonie, plutôt que dotée de véritables capacités d’analyses de la réalité

Embarrassé par la gestion de ce problème, l’éléphant voit bien la ruse de cet État malien qui ne veut pas assumer sa faiblesse, et se cherche des voies de contournement. Il est surtout question, pour Assimi Goïta, de se constituer une garde prétorienne afin de rester durablement au pouvoir. Le tout, en faisant endosser à la population ce nectar du sentiment antifrançais qui lui permet d’avancer masqué dans la conservation du pouvoir, son objectif premier.

Mentalité postcoloniale

La France a un intérêt à se trouver au Mali – intérêt chahuté par l’opinion africaine, mais qui correspond à des objectifs européens précis  : maîtriser le phénomène terroriste au Sahel, territoire à haut risque.

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L’Europe laisse la France faire le gendarme dans sa zone d’influence, et l’État malien laisse des intellectuels mal lunés accuser Paris d’impérialisme. Des penseurs qui passent leur temps dans les avions abreuvent l’Hexagone d’un discours qui entretient le « sanglot de l’homme blanc », nourrit une bonne conscience de gauche et fait mouche en Afrique. Nous assistons, ces dernières années, à l’essor d’une opinion mue par de l’acrimonie, plutôt que dotée de véritables capacités d’analyses de la réalité. Le tout se trouve emballé dans une impuissance à gérer le jihadisme. Et celui-ci gagne, en fin de compte.

Vu d’Afrique, le sommet de Montpellier est une ruse qui ne modifie en rien les relations qu’il prétend refonder

Cette posture de lamentation reste enracinée dans une mentalité postcoloniale. Elle donne l’impression d’une prise de conscience et de perspective d’avenir à tort, car ce discours ne porte aucune alternative, n’offre aucune force de proposition, et ne fait qu’obstruer l’horizon des plus jeunes. Ceux-ci n’ont pas vécu la colonisation, mais les conséquences des mauvaises décisions prises pendant les trois décennies qui ont suivi les indépendances, et dont les responsables deviennent les porte-flambeaux de la lamentation pour cacher leurs propres responsabilités. Qui décide de l’allocation des ressources, des budgets ? S’il n’y a pas de plateaux techniques et de médicaments dans les hôpitaux publics de ces pays, si les enseignants n’ont pas de matériel pédagogique dans les écoles et les universités, est-ce la faute de la France ? Soyons sérieux !

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Le théâtre de Montpellier

L’attitude tricolore n’aide pas non plus, il faut le dire. Le sommet de Montpellier, organisé en octobre 2021 pour capter les voix de la diaspora en France et actualiser le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, s’est octroyé les services de l’un des intellectuels les plus critiques sur la relation France-Afrique.

Une grosse prise pour le président français que d’avoir associé Achille Mbembe à cette entreprise. Vu d’Afrique, le sommet de Montpellier n’en reste pas moins une ruse qui ne modifie en rien les relations qu’il prétend refonder.

Cette théâtralisation prend en compte les ressentiments, certes, mais sans vraiment changer les règles du jeu. Lorsqu’on parle de « partenariat gagnant-gagnant » et non plus d’aide, cela n’empêche pas les pays africains d’aller à la COP 26 pour réclamer plus d’argent, toujours dans une logique d’assistance.

La Russie avance ses pions : elle offre à l’Afrique des armes, des mercenaires, et récupère des permis d’exploitation minière

Emmanuel Macron croit être sorti gagnant de toute la mise en scène de Montpellier, mais ce sommet – critiqué de la façon la plus virulente par la diaspora – n’a pas modifié d’un iota la façon dont les Maliens perçoivent la relation franco-africaine. À se demander si, finalement, Achille Mbembe n’a pas été piégé.  En attendant, la Russie avance ses pions : elle offre à l’Afrique des armes, des mercenaires, et récupère des permis d’exploitation minière. Nos responsables pensent régler nos problèmes en remplaçant une forme de domination par une autre. Or il nous faut comprendre que le monde d’aujourd’hui est ouvert, et rempli d’opportunités qu’il faut savoir exploiter en connaissance de cause afin d’en tirer ce qui est intéressant pour le contient… et les générations futures.

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