Cameroun : à Mbengwi Road, le spectre d’une bavure
Militaires et séparatistes se rejettent la responsabilité de la mort de 13 personnes les 9 et 10 décembre près de Bamenda. Preuve, s’il en fallait, qu’à trois semaines de la CAN, la sécurité est loin d’être revenue dans les régions anglophones.
Ce sont une date, un lieu et des victimes qui s’ajoutent à l’interminable liste des drames enregistrés depuis que milices séparatistes et forces de défense s’affrontent dans les provinces anglophones du Cameroun. Le 9 décembre, en milieu d’après-midi, un convoi de reconnaissance du Bataillon d’intervention rapide (BIR) a été la cible d’une embuscade au lieu-dit Nitop, un quartier situé à la sortie de Bamenda, sur la route menant à Mbengwi (Nord-Ouest).
L’attaque, comme de nombreuses autres auparavant, a commencé avec l’explosion d’un engin explosif improvisé (EEI), enfoui sous la latérite. La détonation a détruit le blindé dans lequel se trouvaient les militaires, lesquels ont immédiatement ouvert le feu pour se défendre. L’un d’entre eux a perdu la vie. Face au nombre d’insurgés, les hommes du convoi ont dû battre en retraite. De retour à Bamenda, ils ont fait appel à leurs collègues du 3e bataillon du BIR, qui sont retournés sur les lieux pour une opération de sécurisation.
Maisons en flammes
L’attentat a été revendiqué par les Ambazonian Defence Forces (ADF), une milice séparatiste dirigée par Ayaba Cho Lucas. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux quelques heures plus tard, Daniel Capo, qui gère la branche armée du mouvement, a exhibé une arme récupérée sur les lieux pour légitimer sa revendication.
Selon les témoignages des riverains, les combats se sont en fait poursuivis tout au long de la nuit du 9 au 10 décembre. Des images de maisons en flammes ont circulé sur les réseaux sociaux, attestant de l’intensité des affrontements. Selon des sources locales, pas moins de 13 personnes – dont des enfants – ont été tués. La plupart d’entre elles ont péri dans l’incendie de leur logement, d’autres ont reçu des balles perdues.
Des images satellitaires contredisent la déclaration du ministère de la Défense sur l’attaque
Localement, c’est aux militaires, soupçonnés d’avoir mené une opération de représailles après l’attaque subie à Mbengwi Road, que l’on attribue la responsabilité de ces violences. Des accusations démenties le 11 décembre par l’armée camerounaise, qui évoque des « rumeurs » relevant de « la propagande séparatiste ». « Il ne s’agit que de fausses machinations, a déclaré dans un communiqué le colonel Atonfack Guemo, porte-parole du ministère de la Défense. Il se trouve qu’une maison servant de base arrière aux terroristes était en fait un magasin de fabrication d’engins explosifs improvisés. Dans le feu de l’action, une chambre pleine d’explosifs a explosé et à propagé le feu à quelques autres maisons du voisinage. »
Le 11 décembre, le Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique (CHDRA en anglais) a rendu public un rapport détaillant grâce à des images satellitaires les maisons qui ont brûlé à Mbengwi Road. « L’ampleur des incendies et la distance entre les maisons concernées, telles que décrites dans la géolocalisation, contredisent la déclaration du ministère de la Défense, relève le CHDRA dans son rapport. Des preuves vidéo et photo prises avant et après la tombée de la nuit démontrent que le feu a consumé ces bâtiments sur une période de temps plus longue qu’elles ne l’auraient fait à partir d’une seule explosion et onde de choc. Des vidéos et des photos montrant des voitures brûlées et des cadavres au sol indiquent des attaques plus larges. »
Menace sur la CAN ?
Ces évènements montrent aussi que la situation en zone anglophone est loin d’être stabilisée, à quelques semaines de l’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Aucun match ne sera disputé à Bamenda, et plusieurs sont programmés dans la région voisine du Sud-Ouest, qui est aussi la cible régulière d’attaques.
Yaoundé redoute que les séparatistes profitent de la compétition pour se rappeler au bon souvenir du monde
Les rencontres du groupe C sont ainsi programmées à Limbé, à une dizaine de kilomètres de Buea, la capitale régionale. Or le 7 décembre dernier, un engin improvisé a explosé lors d’une foire commerciale organisée dans cette ville. L’attaque a été revendiquée par les Buea Ghost Fighters, un groupe séparatiste actif dans la région et déjà auteur de plusieurs autres attentats similaires, notamment à l’université de Buea.
Redoutant que les séparatistes profitent de la CAN pour se rappeler au bon souvenir du monde entier cinq ans après le début du conflit, les autorités camerounaises ont annoncé avoir renforcé leur dispositif sécuritaire à travers le pays. Reste à voir si cela suffira à créer les conditions pour un retour à l’accalmie. Le coup d’envoi de la compétition sera donné le 9 janvier prochain.
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