Brazzaville-Kinshasa, l’enfer du Beach
Aller de Brazzaville à Kinshasa et vice versa, c’est, a priori, simple comme bonjour. Il suffit d’avoir son laissez-passer, de s’acquitter des taxes et de monter à bord d’un bateau pour se retrouver sur l’autre rive du fleuve Congo. La traversée, selon le type d’embarcation, dure entre cinq minutes et un quart d’heure. En réalité, rien n’est simple. Pour les Congolais, voyager entre les deux capitales est au contraire un calvaire à cause d’innombrables tracasseries auxquelles ils sont soumis. Démonstration : au départ de Kinshasa, le voyageur débourse 5 dollars pour le laissez-passer ; 10 dollars pour le certificat de vaccination contre la fièvre jaune (mais le voyageur n’est pas vacciné pour autant) ; encore 10 dollars pour le billet aller-retour (obligatoire) ; puis environ 2 dollars de droit d’accès au Beach. Ensuite, il paye 2 à 3 dollars une taxe qui lui donne le droit d’être fouillé par les douaniers (il l’est rarement). Dernier obstacle à franchir, la taxe d’embarquement : 1 dollar.
Arrivé à Brazzaville, il lui reste à régler les droits de quai (1 000 F CFA), les taxes pour l’environnement (1 000 F CFA) et la fouille (2 000 F CFA, même s’il n’est pas fouillé) Quand il regagne sa ville, il refait le même parcours, s’acquitte des mêmes taxes. Le Brazzavillois qui se rend à Kinshasa est traité de manière identique. À ces tracasseries s’ajoute la brutalité des agents administratifs et des forces de l’ordre.
Pourtant, « les deux capitales les plus rapprochées du monde », selon l’expression consacrée, sont liées, depuis juillet 1987, par un accord de coopération et de jumelage. La Commission spéciale de coopération (Cospeco) est chargée de traduire en actes la complémentarité entre les deux rives du Congo. Cette commission, dirigée par le Brazzavillois Pierre Malanda, dispose d’un budget de 93 millions de F CFA. « Avec les budgets déficitaires de nos villes, on ne peut espérer mieux », commente le Kinois Albert Bokole, secrétaire aux finances. Réunis à la mi-août, les experts des deux villes ont passé en revue les problèmes auxquels ils restent confrontés. À commencer par le trafic fluvial, véritable casse-tête. Dix-neuf ans après la signature de l’accord de coopération et de jumelage, les échanges entre les deux voisines sont toujours, dans une large mesure, informels. Chaque jour, quelque 500 personnes circulent sur le fleuve, selon Omer Mbenza, administrateur principal du Beach Ngobila (Kinshasa). Il y a, en moyenne, quatre rotations quotidiennes dans les deux sens. « Ceux qui traversent, d’un côté comme de l’autre, sont souvent les mêmes personnes, explique Mbenza. Certains peuvent aller et venir trois fois au cours d’une même journée. » La plupart de ces voyageurs – en majorité kinois – font partie de ce qu’on appelle des « trafiquants ». C’est-à-dire des débrouillards, champions de l’économie informelle. Ils vont vendre des produits alimentaires à Brazzaville, d’où ils ramènent des textiles.
Conscients des dysfonctionnements, les responsables de la Cospeco ont décidé de mettre fin aux arnaques organisées. Ils comptent ainsi instaurer un guichet unique pour les passagers, limiter le nombre des services habilités à opérer dans les installations portuaires, séparer le transport des personnes de celui des marchandises, supprimer les taxes illégales et, surtout, « humaniser le trafic fluvial ». Autre problème à résoudre, l’argent liquide que les voyageurs emportent avec eux. Souvent, ils en laissent une part aux douaniers qui les harcèlent. Une solution a été trouvée : d’ici peu, au départ de Kinshasa ou de Brazzaville, ils confieront leur argent à une messagerie financière et le récupéreront une fois arrivés sur l’autre rive. Tout cela va-t-il se réaliser ? Lucide, le colonel Ernest Manet, responsable de l’immigration au Beach de Brazzaville, répond : « Nous prenons beaucoup de décisions, mais nous avons du mal à les faire appliquer. » Aveu d’impuissance ? En tout cas, c’est toute la question de la gestion des Beachs kinois et brazzavillois qui est posée.
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