Blogmania

Les sites personnels font florès au Maghreb. Idéal pour donner son point de vue sur l’actualité, débattre, s’exprimer et… contourner la censure.

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Ils sont à la mode, « tendance », disent les jeunes. Pas un dîner à Paris, Marrakech ou Tunis sans que l’on ne vous demande d’un air détaché ce que vous pensez de ce phénomène désormais planétaire : la « blogmania ». Vous ne pouvez plus l’ignorer, sous peine de passer pour un Béotien, ou pis, un plouc. C’est aussi un sujet qui fâche. Il y a ceux qui bloguent et les autres. Ceux qui sont « in » et ceux qui sont « out » de la blogosphère. Ceux qui méprisent les blogs et ceux qui les admirent. Seule certitude : les blogs (abréviation de Web log, « cyber carnet de bord ») ne laissent pas indifférents.
Adolescents, adultes, artistes, politiques ou chefs d’entreprise, de nombreux internautes ont compris tout le bénéfice qu’ils peuvent tirer de ce nouveau moyen de communication. Où que vous soyez, impossible désormais d’y échapper. La blogosphère mondiale ne cesse de gonfler, toujours plus riche, plus prolixe, plus hétéroclite et, dans bien des cas, passionnée et passionnante. Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Chaque seconde, un nouveau blog est créé dans le monde. Soit plus de 86 000 par jour. Selon Technorati – un moteur de recherche spécialisé sur Internet -, leur nombre a été multiplié par 16 entre janvier 2004 et janvier 2006, passant de 1,6 million à 26,6 millions. Tout a commencé aux États-Unis, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, lorsque de nombreux Américains publièrent sur leur site personnel des images de l’événement accompagnées de leurs commentaires. Par la suite, la fièvre gagnera l’Europe, où la France tient aujourd’hui le haut du pavé avec plus de 3 millions de blogs. Le phénomène se développe aussi dans les pays d’Afrique du Nord, qui, à leur tour, font montre d’un grand enthousiasme.
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un blog ? C’est tout simplement un site Web personnel qui traite de sujets d’actualité (qu’on appelle « billets » ou « posts »), alimenté de manière régulière et présenté sous la forme d’un journal. Un conseil : retenez bien cette définition. Elle pourra vous être d’un grand secours pour briller dans les dîners en ville et faire partie du cercle très fermé de la « blogeoisie ». Bien plus qu’un simple phénomène de mode, les blogs font désormais partie du quotidien des internautes d’Afrique du Nord. Maghreb Blog, par exemple, regroupe des blogueurs de Tunisie, du Maroc et d’Algérie. Il se veut un espace de liberté et de dialogue. On y débat de tout : du retour du voile en Tunisie, de l’information au Maghreb après la publication du dernier rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse dans le monde (voir J.A. n° 2390), mais aussi du dernier défilé « Caftan 2006 » au Palais des congrès de Marrakech, avec la présence remarquée d’Adriana Karembeu.
Chaque pays du Maghreb a ses champions. Certains sont même distingués. C’est le cas d’une Tunisienne installée au Canada, qui s’est vu décerner, en 2005, le prix du meilleur blog au concours Tunisie Blog Awards pour La Rebelle blog. Au Maroc, on peut citer, entre autres, le blog ?d’Othmane, 22 ans, qui propose aux internautes « un espace de tolérance, de discussion et de réflexion autour de ce qui préoccupe l’humanité ». Un blog sans langue de bois, où le jeune homme pose des questions qui dérangent. Son dernier billet, en date du 17 octobre, est carrément intitulé : « Faut-il cesser de faire le ramadan ? » Les blogueurs algériens, particulièrement ceux qui sont installés à l’étranger, s’en donnent eux aussi à cur joie. Citons le « Hchicha’s blog », journal d’un Algérien résidant à Paris, mêlant des sujets sérieux et d’autres beaucoup plus légers, parfois même farfelus. « Pour le meilleur et pour le pire », comme il le dit lui-même. À noter aussi le blog « Chroniques d’Algérie », qui traite des sujets d’actualité et des dernières affaires concernant les enfants du pays. Exemple : l’accusation de coups et blessures portée à l’encontre de Cheb Mami, le prince du raï, par son ex-compagne (voir page suivante). Mais en Afrique du Nord, la palme des blogs engagés revient sans conteste aux Égyptiens. Le blog « Freedom for Egyptians » se propose ainsi de raconter, sans censure, ce qui se passe dans la rue.
Les blogs ne sont toutefois pas tous fréquentables et à l’abri des dérapages. Certains, librement accessibles à tous, y compris aux enfants, diffusent des photos à caractère pornographique. C’est le cas, au Maroc, des « sexblogs », qui mettent en scène des jeunes filles dénudées dans des positions provocantes. Leur nombre reste néanmoins limité.
Sur l’ensemble des blogs d’Afrique du Nord, comme du monde entier, les jeunes et les moins jeunes expriment leur indignation du moment, réagissent aux sujets d’actualité, évoquent leurs tracas quotidiens et livrent, à l’occasion, leurs confidences les plus intimes. Mais il ne suffit pas pour être blogueur d’étaler ses états d’âme.
Pour la communauté, le « blogging » est avant tout un état d’esprit, une attitude particulière. N’est pas blogueur qui veut, il y a des codes. Ainsi, certains conçoivent cette activité comme un devoir. Ils se considèrent ni plus ni moins comme les porte-parole de millions d’autres internautes et se sentent, dans ce contexte, investis d’une mission d’information qui ressemble étrangement à celle des journalistes. D’autres, au contraire, ne souhaitent s’exprimer que pour divertir. Finalement, quel que soit son but, le blogueur est seul maître à bord. C’est lui qui décide des sujets à traiter.
À ce titre, le blog donne à chacun la possibilité de devenir éditeur. Qu’ils parlent de politique, de football, de sexe, de chaussures ou d’animaux domestiques, les blogueurs ont pour dénominateur commun la liberté d’expression. À tel point que certains voient dans les blogs l’émergence d’une nouvelle forme d’expression appelée à concurrencer les médias traditionnels. Sur un blog, chacun peut diffuser ses idées et s’attendre à ce que des centaines de milliers d’internautes le consultent quotidiennement comme c’est le cas pour certains blogs très populaires aux États-Unis.
Bien sûr, l’Afrique du Nord reste encore loin de tels taux d’audience. Mais il est indéniable que la blogosphère du monde arabe n’en finit pas de s’étoffer et qu’elle intéresse un nombre croissant d’internautes. Pour ces blogueurs du Sud, le blog représente un espace démocratique où ils peuvent enfin s’exprimer sur des sujets délicats, voire tabous. Une sorte d’« agora digitale » – dixit le célèbre blogueur Loïc Le Meur dans un billet datant de 2004 intitulé : « La démocratie émergente : ce que les blogs changent à la politique » -, où les internautes se retrouvent pour discuter et confronter leurs idées.
Moyen d’expression individuelle, le blog serait-il en passe de devenir un moyen d’action collective ? C’est un risque que ne sous-estiment pas les régimes autoritaires de la planète, qui s’efforcent aujourd’hui de contrôler ce nouvel espace de liberté.
Publié en septembre 2005 par Reporters sans frontières, Le Guide pratique du blogger et du cyberdissident présente le blog comme une arme démocratique dans tous les pays où règne la censure. Du coup, il n’est plus seulement le journal intime ou le carnet de bord d’un internaute désireux de tuer le temps, mais un moyen de communication et un instrument de libération.
Ce n’est pas par hasard qu’on impose le silence à ces nouveaux trouble-fête, ou plutôt « trouble-Net ». On se souvient du cas d’Abdel Karim Nabil Soliman (22 ans), cet étudiant de l’université religieuse d’Al-Azhar, en Égypte, qui fut emprisonné pour avoir publié sur son blog des billets critiques à l’égard de l’islam. Il n’empêche que les rebelles réussissent chaque jour à contourner les systèmes de surveillance et continuent, malgré les dangers encourus, à s’exprimer librement dans leurs journaux intimes en ligne.

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