Au bon cur des stars

Du Darfour au Malawi, de l’Éthiopie à la RD Congo, les célébrités mondiales de la scène ou de l’écran investissent le marché de l’humanitaire sur le continent. Par calcul, engagement politique ou simple démarche morale ?

Publié le 7 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

David Benda, un petit Malawite de 13 mois, est arrivé en Grande-Bretagne le 17 octobre. Crépitement de flashs, déversement d’encre à la une des tabloïds, inondation de messages sur les blogs des teenagers L’enfant que la chanteuse américaine Madonna vient d’adopter – en contrevenant allègrement aux lois locales et britanniques – est déjà une star. Après un séjour d’une semaine au Malawi, dont le PIB est à peine deux fois supérieur à sa fortune personnelle, la femme la plus connue du monde a fait passer ce petit pays d’Afrique australe de la 165e place au classement onusien du développement humain au rang de première nation subsaharienne citée dans les journaux de la planète. Et du petit David le bébé le plus célèbre du monde.
L’auraient-ils seulement désiré que George W. Bush, Jacques Chirac, Tony Blair et tous les chefs d’État africains réunis n’y seraient pas parvenus. Et alors que l’instinct maternel d’une pop-star blonde plaçait le continent sous les projecteurs, aux États-Unis, une poignée d’autres célébrités en faisaient autant. En lançant une gamme de produits labellisés « Red » – dont le bénéfice des ventes est destiné au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme -, le chanteur Bono, la présentatrice vedette africaine-américaine Oprah Winfrey, les acteurs Ed Norton et Leonardo DiCaprio ont associé leurs noms à des entreprises de renom pour sensibiliser les Occidentaux aux drames dont souffre l’Afrique. Acheter un téléphone Motorola, un iPod Apple, un tee-shirt Gap, une chemise Armani ou des baskets Converse, tous rouges et flanqués de la marque « Red », permet, d’une part, au consommateur de satisfaire ses envies tout en faisant une bonne action, et aux compagnies, d’autre part, de faire du profit sans être taxées de capitalisme cynique.
Les produits, déjà en vente en Grande-Bretagne depuis février, auraient rapporté 10 millions de dollars au Fonds mondial. « Je suis témoin. J’ai cette chance de pouvoir voyager », explique Bono, le chanteur du célèbre groupe U2, dans une tribune publiée en octobre dans The Independent. Le militant de longue date en faveur du développement et l’un des promoteurs de la campagne Red s’adresse ainsi au lecteur britannique : « Nous avons besoin de vous trouver là où vous êtes. Quand vous faites du shopping, quand vous téléphonez, quand vous menez vos vies professionnelles bien remplies… »
Bono, Madonna, les acteurs Angelina Jolie et son compagnon Brad Pitt (dont l’un de leurs deux enfants est né en Namibie), Mia Farrow (mère adoptive de dix enfants, qui s’est rendue deux fois au Darfour), Jessica Lange (mobilisée pour les déplacés de RD Congo), Naomi Watts (militante de la lutte contre le sida en Zambie), Sharon Stone (remarquée au Forum de Davos pour y avoir fait monter les enchères dans la campagne d’achat de moustiquaires) et bien d’autres se mobilisent-ils pour l’Afrique ou pour assouvir un simple caprice ? Se sentent-ils investis d’une mission ou adoptent-ils une posture philanthropique pour relancer leur carrière ? Leurs motifs ressemblent probablement à ceux du commun des mortels qui envoie un chèque à Médecins sans frontières au moment de Noël : un mélange de sentiment de culpabilité, d’espoir ou une simple envie de faire bouger le monde. Mais cette démarche charitable, anonyme si elle est le fait d’un citoyen lambda, apparaît d’autant plus suspecte qu’elle les place davantage sous les feux de la rampe. Même s’ils s’en défendent, Madonna se promettant d’ouvrir au Malawi un orphelinat capable d’accueillir 4 000 enfants.
Le phénomène n’est pas nouveau. Audrey Hepburn, à la fin de sa carrière, s’est consacrée, presque corps et âme, à l’Unicef et à la cause des enfants mal nourris. Plutôt que par la qualité de ses chansons, le rocker Bob Geldof a acquis ses titres de gloire en organisant le fameux Live Aid en 1985 au bénéfice de l’Éthiopie. Aujourd’hui, un Bono ou une Angelina Jolie sont quasiment aussi connus pour leurs engagements politiques que pour leurs performances artistiques. L’acteur et réalisateur glamour George Clooney s’est lancé depuis avril dans une campagne d’information sur le Darfour, où il est même allé jouer au journaliste en compagnie de son père, Nick, ancien présentateur du journal télévisé.
Le choix d’apparaître également à l’affiche de films politiquement engagés (en 2006, Good Night and Good Luck sur le maccarthysme ou Syriana sur le Moyen-Orient) et de critiquer ouvertement l’invasion américaine en Irak laisse à penser que de réelles convictions politiques ou religieuses incitent Clooney à se mettre en avant pour alerter l’opinion publique sur les guerres et drames du monde, sans autre légitimité que sa célébrité. « Les rédacteurs en chef ont du mal à trouver une place dans leurs journaux pour parler de ces drames peu connus. À moins qu’une star s’implique », se justifiait-il à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier.
« Nous ne sommes pas d’accord avec le parachutage des stars pour faire de la communication autour d’une cause qu’elles ne connaissent pas », explique Franck Hourdeau, directeur de la communication de l’ONG française Action contre la faim. « Les stars ont le droit d’être généreuses, de vouloir mettre en avant leur popularité pour attirer l’attention sur une cause qui leur est chère, mais il ne faut pas qu’elles le fassent entre deux tournages et sans que ça leur coûte un minimum d’efforts. Cela dit, on ne peut pas nier qu’elles contribuent à créer une bonne image autour d’une ONG ou d’une cause. » Ils se comptent néanmoins sur les doigts de la main, les Clooney ou Bono, qui témoignent d’une réflexion politique aboutie sur les questions de développement. En enfourchant le cheval de l’annulation de la dette, à la fin des années 1990, le chanteur de U2 a participé à la médiatisation du problème et facilité le travail de ceux qui ont finalement obtenu que l’ardoise soit effacée.
L’ultramédiatisation des stars qui débarquent en Afrique aurait donc surtout le mérite de sortir le continent de l’oubli. Hier, Lilongwe pouvait être, dans l’esprit de nombre d’Américains, une espèce de singe ou un plat chinois. Aujourd’hui, la majorité de ceux qui ont suivi le périple de Madonna sait qu’il s’agit de la capitale du Malawi Reste maintenant à faire passer le message – beaucoup moins médiatique pour des stars en mal de causes à défendre – de l’Afrique qui se porte bien.
Si les acteurs ou les chanteuses se sont chacun trouvé un pays à soutenir, une cause à défendre, ils sont moins nombreux à mettre en valeur les progrès enregistrés ici et là. « Tout le monde, semble-t-il, a été invité à la campagne de 2005 pour sauver l’Afrique, écrivait l’économiste William Easterly dans le Washington Post au début de l’année 2006. Tout le monde, sauf les Africains. Ils ont tenu le haut de l’affiche seulement dans le rôle des victimes : génocide, violences, enfants-soldats, malades du sida, famine et morts. Oui, ces tragédies méritent notre attention, mais ce regard obsessionnel et presque exclusif du Nord sur eux n’est pas représentatif de la grande majorité des Africains : ceux qui ne fuient pas, qui n’ont pas le sida, qui ne meurent pas de faim, tous ceux qui n’attendent pas que des acteurs ou des rock-stars viennent les sauver. Angelina, le continent a des problèmes, mais il n’est pas détruit. » ?À bon entendeur

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