Un mur, un homme, une voix

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

S’il est une loi d’airain dans l’histoire des relations arabo-israéliennes, c’est celle des conséquences inattendues. Par exemple, Israël se heurte encore aux conséquences inattendues de sa victoire de 1967. Aujourd’hui, l’État hébreu construit un mur autour de la Cisjordanie pour barrer la route aux kamikazes. M’étant longuement promené des deux côtés de ce mur, je suis prêt à faire une prédiction : il sera lourd de conséquences inattendues.
Au lieu de créer les conditions de la solution des deux États, ce mur fera renoncer les Palestiniens à ce projet, et les incitera, avec le temps, à militer pour la solution de l’État unique, dans le cadre de laquelle eux-mêmes et les Juifs auraient les mêmes droits. Et, comme en 2010, il y aura plus d’Arabes que de Juifs vivant en Israël, en Cisjordanie et à Gaza réunis, cette transformation des revendications palestiniennes posera un vrai problème à Israël. Si les juifs américains trouvent qu’il est aujourd’hui difficile de défendre Israël sur les campus universitaires, imaginez ce qu’il en sera lorsque ces jeunes gens devront argumenter contre le principe du « un homme, une voix ».
Pourquoi en est-il ainsi ? D’abord parce que le mur n’est pas bâti sur la frontière de 1967. Il est construit de l’autre côté de la frontière, à l’intérieur de la Cisjordanie. Et comme ce mur est en réalité une bande de barbelés, de tranchées, d’appareils de surveillance et de caméras, on confisque de nouveaux morceaux de terre palestinienne, coupant les exploitants agricoles de leurs champs.

Plus important : de leur côté, les Israéliens ne voient qu’une barrière. Mais pour les Palestiniens, cette barrière est un élément d’un réseau de clôtures et de postes de contrôle qui se trouve à l’intérieur de la Cisjordanie et bloque pour beaucoup de villages palestiniens toutes les issues sauf une. La bourgade de Qalqiliya est ainsi isolée sur trois côtés, afin de la couper non seulement du territoire israélien à l’ouest, mais aussi des colonies juives de Cisjordanie au nord et au sud. On ne peut sortir de Qalqiliya que par un unique point de contrôle israélien, où les Palestiniens doivent parfois faire la queue trois heures.
Si les Israéliens construisaient un mur autour de la Cisjordanie et supprimaient, derrière ce mur, tous les postes de contrôle, ce serait compréhensible. Mais ils ne le peuvent pas, parce qu’il faut protéger aussi les colonies juives : d’où les multiples postes de contrôle qui asphyxient le commerce et créent des cages, génératrices de désespoir. Les Palestiniens se retrouvant isolés dans des poches de territoire avec des colons juifs – lesquels ont le droit de vote, une protection sociale, des emplois, etc. -, et avec l’espoir d’un État palestinien homogène qui se perd dans les sables, il est inévitable que beaucoup d’entre eux jettent l’éponge et demandent le droit de vote en Israël. Ils seraient déjà 25 % à 30 % à y songer, bien que ce ne soit encore proposé par aucun parti.

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Mohamed Dahleh, le premier Arabe israélien à travailler à la Cour suprême israélienne, m’a dit : « Si les Palestiniens renoncent à leur rêve d’un État indépendant, la seule chose qui pourrait leur garantir leur dignité serait le droit de cohabiter dans un État unique avec les Israéliens. Lorsque cette revendication se fera jour, elle trouvera des partisans dans le million d’Arabes israéliens. Nous dirons alors : « N’évacuez pas une seule colonie de Cisjordanie. Accordez-nous le droit de vote et soyons membres d’une seule communauté. » Une telle revendication trouvera un large écho dans la communauté internationale. »
Je comprends parfaitement que les Israéliens veuillent se protéger des kamikazes. Mais construire un mur sans une frontière et sans faire face à la contradiction d’avoir des Juifs des deux côtés ne peut qu’être source de nouvelles difficultés.

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