Université unique

Près de Monrovia, l’Institut Booker-T.-Washington est le seul établissement d’enseignement supérieur à avoir survécu à la guerre. Non sans mal.

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Le passé, le présent et, qui sait, l’avenir du Liberia tiennent sur quelques milliers de mètres carrés de campagne boisée situés à Kakata, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de la capitale, Monrovia. S’y trouve l’Institut Booker-T.-Washington, seul établissement d’enseignement supérieur à avoir survécu à la guerre. Il doit tout à ses gardiens, qui l’ont protégé jour et nuit ces seize derniers mois.
Le principal adjoint, Alfred S. Walker, 58 ans, élégant mais le visage marqué par la fatigue, explique : « Le personnel a pris conscience de sa responsabilité envers la culture et l’éducation. Nous aurions tous mis notre tête sur le billot pour sauver l’école. » L’université nationale a été détruite par les miliciens de l’ex-président Charles Taylor, dans les derniers jours précédant son départ en exil, le 11 août. Quant aux écoles primaires et aux collèges, ils ont fait naufrage depuis longtemps.
Ne subsiste que l’Institut Booker-T.-Washington, ainsi nommé en hommage à l’un des premiers Américains noirs enseignant et homme politique, mort en 1915. L’établissement a été fondé en 1929 grâce à C.D.B. King, seizième président du Liberia. Après avoir visité l’Institut Tuskegee, célèbre collège noir d’Alabama où a enseigné Booker T. Washington, celui-ci a décidé de bâtir un établissement similaire dans son pays. Il a alors demandé à Robert Robinson Taylor, premier Noir diplômé du Massachusetts Institute of Technology, de dessiner le campus et le bâtiment destiné à l’enseignement. Un Blanc de Géorgie, James L. Sibley, a été le premier principal. Le Fonds Phelps-Stokes, du nom d’un Américain philanthrope, et les caoutchoucs Firestone, propriétaires de la quasi-totalité des plantations libériennes d’hévéas, l’ont financé.
Jusqu’à la guerre civile, l’Institut était fréquenté par les étudiants de toute l’Afrique de l’Ouest, et les professeurs venaient du monde entier. Sa réputation est telle que, tous les jours, des jeunes viennent demander s’ils peuvent s’inscrire. « Ils ont soif de connaissances, commente le principal adjoint Walker. Mais que vont-ils faire de leur diplôme ? Toutes les industries de ce pays sont fermées. » En 1990, « l’école a été presque détruite, explique le principal, Mulbah S. Jackolli. Elle a été occupée, pillée, ravagée et a dû fermer. » Ses professeurs ont été battus et jetés en prison par les soldats fidèles à Taylor, qui combattaient alors pour accéder au pouvoir.
Grâce aux mécènes, principalement l’Agence américaine pour le développement international, qui verseront entre 18 millions et 25 millions de dollars au total, l’Institut est réhabilité et, en 2000, sa première classe complète depuis une décennie ouvre. Cette année-là, cinquante-cinq professeurs enseignent à huit cent quarante étudiants de première et seconde années. Les externes paient 20 dollars américains par semestre, et les internes, 250 dollars. Ils apprennent la comptabilité, l’ingénierie, les affaires, l’économie domestique, le secrétariat, la mécanique auto, l’agriculture, le tissage, la maçonnerie ou la plomberie, toutes compétences indispensables à la reconstruction du pays.
Tout va bien jusqu’au 3 avril 2002. À 11 heures du matin, les rebelles du LURD (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie) attaquent Kakata et mènent une opération contre l’Institut, où ils vont kidnapper et violer plusieurs étudiantes. Les forces gouvernementales reprennent Kakata le lendemain, mais les élèves sont terrorisés. Aucun ne reprendra le chemin de l’école pendant presque six mois.
En septembre 2002, le cursus redémarre, mais le gouvernement ne paie plus les salaires des professeurs et des administrateurs, entre 20 et 40 dollars par mois. La guerre empêche les étudiants de venir, car les routes sont peu sûres et leurs ressources sont devenues insuffisantes pour payer les frais de scolarité.
L’Institut rouvrira néanmoins ses portes dès que possible, peut-être en décembre si le principal, Jackolli, parvient à récolter suffisamment d’argent pour acheter des livres et payer les professeurs. Il faudra aussi restaurer le campus et garantir une plus grande sécurité. Le 29 juin 2004, l’Institut Booker-T.-Washington fêtera ses 75 ans et, d’ici là, Mulbah Jackolli espère avoir réuni l’argent nécessaire. Son adjoint Alfred Walker en rêve : « Tous les Libériens rentreront chez eux, et notre école rouvrira. Une partie de notre matériel pédagogique sera remplacée. Quelques anciens élèves reviendront des États-Unis et… nos diplômés trouveront du travail. »

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