Sous haute surveillance

Jamais un projet de développement – qui plus est pétrolier – n’a fait autant l’objet de sollicitude et de vigilance de la part des bailleurs de fonds et des organisations non gouvernementales.

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

L’exploitation du pétrole de Doba, au sud du Tchad, et la construction d’un oléoduc de 1 070 km jusqu’à Kribi, sur la côte camerounaise, ont failli ne pas voir le jour… Mais grâce à la ténacité des Tchadiens, des compagnies pétrolières et de la Banque mondiale, le projet sera mené à terme… avec six mois d’avance sur le calendrier. Les premiers barils ont été pompés le 14 juillet dernier, après vingt mois de travaux au lieu de trente-six. L’inauguration officielle est prévue pour le 10 octobre, à Komé, la « nouvelle capitale pétrolière africaine ».
La Banque mondiale – chef de file des financiers – a joué la transparence à 100 %. Elle a voulu faire de ce projet un exemple de bonne gestion unique au monde. Plus de deux cent cinquante ONG ont été consultées, des dizaines de débats et de conférences organisés dans le seul but de répondre à tous ceux qui s’interrogent, en particulier sur « l’utilisation-de-la-manne-pétrolière-par-un-gouvernement-non-démocratique ». Il est vrai que les exemples, au Moyen-Orient comme en Afrique, abondent sur la dilapidation de la rente pétrolière. La Banque a donc pris les devants en imposant aux autorités tchadiennes des conditions draconiennes quant à l’utilisation des recettes fiscales pétrolières. Une loi a même été adoptée le 31 décembre 1998, qui fixe le « barème » : 10 % des revenus seront versés sur un compte bloqué à l’étranger et destinés aux « générations futures » ; 80 % serviront à financer des projets de développement socio-économiques (éducation, santé, routes, énergie, eau) avec l’objectif de réduire la pauvreté, et 5 % bénéficieront au développement des régions pétrolifères. Le gouvernement n’a donc entière liberté de manoeuvre que sur 5 % des ressources. Un comité indépendant de supervision est chargé de veiller au grain. Des contrôles et des audits seront effectués régulièrement…
Exemplaire pour une fois, la Banque mondiale a consacré un site spécial sur ce projet, tout comme l’opérateur pétrolier en chef, ExxonMobil Corporation(*). Une conférence de presse multinationale a réuni, le 2 octobre, des dizaines de journalistes autour des experts du projet : utilisant la technique de vidéoconférence, ils ont débattu depuis N’Djamena, Paris, Londres et Washington, sur les tenants et les aboutissants de l’oléoduc Tchad-Cameroun.
Découvert en 1975, le pétrole de Doba a subi d’abord les affres de la guerre civile (1979) puis celles de la guerre entre compagnies pétrolières. Reprise en 1988, l’exploration conclut enfin à la rentabilité des gisements : au moins 1 milliard de barils sont commercialisables sur une durée de vingt-cinq à trente ans. Un consortium est enfin formé entre la firme américaine ExxonMobil (opérateur avec 40 % des parts), Chevron Texaco (25 %, États-Unis) et Petronas (35 %, Malaisie). L’investissement est évalué à 3,7 milliards de dollars, le plus gros jamais réalisé en Afrique. Il représente six fois le montant enregistré au Tchad depuis son indépendance, en 1960.
Le Tchad et le Cameroun n’ont pas versé un centime dans le projet. Leur participation aux sociétés d’oléoduc Totco (pour le premier) et Cotco (pour le second) a été financée par la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement (140 millions de dollars). Le consortium a donc financé sur ses fonds propres et sur emprunts 97 % du projet. Le rythme de production atteindra son plein régime à la fin de l’année 2003 (225 000 barils par jour) et déclinera à partir de 2008-2010. Outre les retombées économiques (activités de sous-traitance, salaires), le pétrole procurera environ 2 milliards de dollars au Tchad et 540 millions de dollars au Cameroun (recettes budgétaires nettes sur vingt-cinq ans). Pour le Tchad, qui devient ainsi un pays pétrolier, l’or noir permettra d’augmenter le budget de l’État de 40 % à 50 % par an. En plus des investissements induits, notamment par la Société financière internationale (SFI) qui a multiplié les lignes de crédit pour les microprojets, les petites et moyennes entreprises, la formation de cadres tchadiens et le management (100 millions de dollars). Mieux vaut tard que jamais !

*www.worldbank.org/afr/ccproj/project/pro_monitor.htm ;
www.essochad.com/Chad/Project/Overview/Chad_Overview.asp

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires