Réunion au sommet à Tokyo

Remettre le Nepad à l’ordre du jour, mobiliser les donateurs, élargir le partenariat Japon-Afrique aux autres pays d’Asie : tels étaient les objectifs ambitieux que s’étaient fixés les organisateurs de la Ticad III. Pari gagné ?

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

Avec 1 300 délégués représentant 90 pays et une cinquantaine d’organisations internationales, la troisième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad III) a battu tous les records d’affluence. À en croire les officiels japonais, il s’agirait même de la plus importante manifestation politique jamais organisée dans l’archipel. Vingt-trois chefs d’État et de gouvernement africains se sont donné rendez-vous à Tokyo, du 29 septembre au 1er octobre, pour participer à ces travaux placés cette année sous le signe du Nepad, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique. Les présidents Thabo Mbeki (Afrique du Sud), Olusegun Obasanjo (Nigeria) et Abdoulaye Wade (Sénégal), à la fois promoteurs et ambassadeurs itinérants du Nepad, étaient évidemment de la partie.
Chacun à leur manière, ils ont répété leur vision du plan censé sortir de l’ornière le continent africain, et exhorté les donateurs pressentis à faire plus et mieux pour consolider un processus un peu long à se mettre en place. Blaise Compaoré, le président burkinabè, seul chef d’État à avoir personnellement assisté aux trois éditions de la Ticad, a quant à lui été invité par les organisateurs à dresser le bilan de la première décennie du processus de Tokyo. Autres hôtes de marque : les présidents Mathieu Kérékou (Bénin), Paul Biya (Cameroun), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville), Ismaïl Omar Guelleh (Djibouti), Omar Bongo (Gabon), John Kufuor (Ghana), Marc Ravalomanana (Madagascar), Amadou Toumani Touré (Mali) et Yoweri Museveni (Ouganda). Tous, ainsi que les chefs de gouvernement, dont Mélès Zenawi (Éthiopie) ou Mohamed Ghannouchi (Tunisie), et Alpha Oumar Konaré, président de l’Union africaine, ont été reçus par le Premier ministre nippon Junichiro Koizumi pour des entretiens bilatéraux. Enfin, les leaders africains ont été conviés à partager un thé avec l’empereur Akihito, au grand palais impérial de Tokyo.
En diplomatie, surtout au pays du protocole-roi, les gestes sont rarement dénués de signification. L’implication du Premier ministre Koizumi, comme celle de l’empereur Akihito, témoignent de l’intérêt porté par l’archipel au renforcement de ses relations avec le continent noir. Depuis 1991, le Japon a promu le partenariat avec l’Afrique au rang d’axe majeur de sa politique étrangère. En dix ans, il a consacré près de 11,25 milliards de dollars à l’aide à l’Afrique – sous forme de dons, principalement. Une performance qui place l’archipel au quatrième rang des donateurs, après la France, les États-Unis et l’Allemagne. C’est aussi le Japon, pays organisateur du G8 d’Okinawa (juillet 2000), qui a, le premier, invité des dirigeants africains à débattre avec leurs homologues du G8, en marge du sommet. Les présidents Bouteflika, Mbeki et Obasanjo avaient profité de l’occasion pour exposer leur « plan du Millénium », l’ancêtre du Nepad. Yoshiro Mori, le Premier ministre de l’époque, qui a aussi été le seul chef de gouvernement nippon à s’être jamais rendu en Afrique dans le cadre de ses fonctions (c’était en janvier 2001), est un peu devenu, faute de prétendants, il est vrai, le « monsieur Afrique » du Japon. Président de la Ligue d’amitié parlementaire Japon-Afrique, c’est lui qui a dirigé les débats de la troisième Ticad. Koizumi, son successeur, affilié, comme lui, au Parti libéral démocrate, a profité de la séance d’ouverture pour annoncer une contribution de 1 milliard de dollars, étalée sur les cinq années à venir, aux programmes Nepad touchant à l’éducation et à la santé. Le Premier ministre s’est également engagé à annuler 3 milliards de dollars de dette des pays africains. Mais, précisent les diplomates nippons, cette mesure ne bénéficiera qu’aux pays déclarés « éligibles à l’intiative PPTE » (Pays pauvres très endettés) par le FMI et la Banque mondiale. Pour les autres, le problème reste entier.
L’aide au développement est une manière pour le Japon de peser davantage sur la scène internationale. Et de justifier par là sa revendication d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité, même si le pays est encore loin de disposer des attributs militaires (arme nucléaire et capacité de projection) d’une grande puissance « normale ». Dans cette optique, la coopération avec l’Afrique revêt une dimension d’exemplarité appréciable. Car rien « n’oblige » le Japon à aider le continent : ni le contentieux d’un passé colonial, ni le souci de préserver des débouchés pour ses exportations, la part de l’Afrique ne représentant même pas 2 % du commerce extérieur nippon. « La médiatisation de la Ticad devrait contribuer à une meilleure connaissance, par les Japonais, et notamment par le secteur privé, des possibilités d’échanges et d’investissements qui existent au nord comme au sud du Sahara », estime Norio Maruyama, directeur du premier service Afrique au ministère des Affaires étrangères, et cheville ouvrière, avec l’ambassadeur Seigi Hinata, de l’organisation de la conférence.
L’objectif est louable, mais pourra-t-il être atteint ? La Ticad, coincée entre les répliques du tremblement de terre d’Hokkaido et le début de la campagne électorale n’a pas vraiment fait la une des journaux japonais. Et que dire des milieux d’affaires ? Hormis du côté de quelques délégations « stars », Sénégal, Afrique du Sud ou Ghana en tête, les contacts entre les dirigeants africains et les businessmen nippons ont été quasi inexistants. Les hommes d’affaires japonais continuent à percevoir l’Afrique comme un continent poudrière où il y a davantage de coups à recevoir que de marchés à gagner.
Dans ces conditions, à quoi peut servir une manifestation comme la Ticad, sinon à célébrer sur le mode incantatoire des valeurs consensuelles que sont, entre autres lieux communs, la démocratie, la « bonne gouvernance » ou « l’appel au secteur privé » ? Il serait tentant de répondre : « à rien » ! Surtout que, les organisateurs l’ont précisé d’emblée, ce forum Japon-Afrique élargi aux pays et institutions donateurs n’avait pas vocation à prendre des engagements financiers au profit du Nepad, la question n’étant « pas encore d’actualité ». « La Ticad III, dans le prolongement des deux premières éditions, avait pour but de permettre un débat de fond sur les vrais problèmes de l’Afrique, et sur les solutions apportées par les intéressés eux-mêmes, poursuit le diplomate Norio Maruyama. C’est la raison pour laquelle elle a accordé une grande place au Nepad, une initative à 100 % africaine, supportée à 100 % par le Japon. » Alors que, après les échecs enregistrés pendant le sommet du G8 d’Évian, en France, en juin 2003, et à la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce, à Cancún, au Mexique, le Nepad semblait en perte de vitesse, voire carrément enlisé, la Ticad a permis de replacer le processus sur l’agenda politique international. Dans la foulée du Japon, la France a décidé de convoquer à Paris, le 10 novembre prochain, une grande réunion rassemblant les représentants du G8, de l’Union européenne et des pays nordiques d’un côté, et les dirigeants africains de l’autre. Tous les participants à la réunion de Tokyo ont réitéré les appels à une reprise des négociations commerciales, malgré le ratage de Cancún. Enfin, le forcing des Japonais autour de l’idée de partenariat a posé les jalons d’une relance, toujours dans le cadre du Nepad, de la coopération Sud-Sud, dans sa version Asie-Afrique. Un domaine dans lequel des nations comme le Vietnam, aux capacités financières limitées, mais au savoir-faire éprouvé en matière agricole, pourraient s’illustrer, avec l’aide logistique du Japon. La mise au point de la semence nerica, acronyme anglicisant pour « nouveau riz pour l’Afrique », une variété plus résistante et plus productive issue du croisement entre des souches africaines et asiatiques, un exemple très prometteur de ce type de coopération, sponsorisé à la fois par la Ticad et le Programme des Nations unies pour le développement…

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