Paul Bérenger

Alternance historique à Maurice. Pour la première fois, un « Blanc » accède au poste de Premier ministre jusqu’ici réservé à l’importante et puissante communauté hindoue.

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

Ce 30 septembre, Paul Bérenger, 58 ans, est devenu le premier « Blanc » chef de gouvernement de l’île Maurice. Le leader du Mouvement militant mauricien (MMM) rompt ainsi une tradition qui, remontant à l’indépendance du pays, en 1968, voulait que le poste de Premier ministre revînt à une personnalité issue de la communauté hindoue (plus de la moitié des 1,2 million d’habitants de l’île). « J’ai longtemps attendu ce jour », s’est-il exclamé, dans son costume bleu marine, devant les cinq cents invités présents au Sir-Harilall-Vaghjee-Hall, à Port-Louis lors de sa prestation de serment. Cette alternance historique fait suite à un accord conclu en 2000 entre le MMM et le Mouvement socialiste militant (MSM) de sir Anerood Jugnauth, 73 ans, qui forment la coalition gouvernementale.
Les deux hommes ont passé un compromis : Jugnauth occupe le poste de Premier ministre pendant trois ans, puis, en 2003, cède sa place à Bérenger, avant de présenter au Parlement sa candidature à la présidence de la République. Scandale, collusion, manoeuvre antidémocratique ? Pas vraiment : l’accord, passé avant les élections générales du 11 septembre 2000, figurait en tête du programme électoral de l’alliance MSM-MMM. Les Mauriciens ont voté en connaissance de cause. Et ils ont choisi l’« attelage » Jugnauth-Bérenger, au grand dam du Premier ministre sortant Navin Ramgoolam, chef de file du Parti travailliste, qui, par la suite, a tout mis en oeuvre pour barrer la route à Bérenger. « La communauté hindoue se sent trahie », a-t-il encore déclaré, début septembre.
De fait, derrière son image de paradis terrestre perdu dans l’océan Indien, Maurice dissimule un « cocktail » détonant. Dans cette petite île surpeuplée, cette rainbow nation, cohabitent d’innombrables communautés : les descendants des premiers colons européens (1 % de la population), essentiellement d’origine française, les descendants de leurs anciens esclaves amenés d’Afrique de l’Est ou de l’Ouest (26 %), les petits-enfants des travailleurs venus d’Inde (70 %) ou de Chine du Sud (3 %). Un melting-pot ahurissant : bouddhistes, hindous, musulmans, catholiques, adventistes, anglicans, francophones, anglophones, créolophones, locuteurs en hindi, ourdou, tamoul ou cantonais… La communauté indienne a le pouvoir et a du mal à le lâcher. Déjà, en 1983, lors de la première tentative de Bérenger d’accéder au sommet de l’État, on avait vu fleurir nombre d’affiches et de tracts le caricaturant en colon, chemise et short kaki, un fouet à la main. Le procédé a fait sa réapparition en 2000…
Après plus de trente années de vie politique, Bérenger a donc atteint son but. Né le 26 mars 1945 à Quatre-Bornes (à une dizaine de kilomètres au sud de Port-Louis, la capitale), il quitte l’île après ses études secondaires. Comme tout bon fils de la bourgeoisie franco-mauricienne – son grand-père était un fonctionnaire originaire de Marseille -, il est envoyé en Europe pour poursuivre ses études supérieures. Après avoir bourlingué quelque temps comme marin, il rejoint les bancs de l’université de Bangor (pays de Galles), en 1966. On le retrouve ensuite à Paris, à la Sorbonne, où il participe aux événements de Mai 68. Il découvre le marxisme et se laisse gagner par les idées libertaires de la révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg.
Autre source d’inspiration pour l’idéaliste en herbe, Frantz Fanon, dont il retient le plaidoyer passionné contre le colonialisme. Ses idées marxistes, qu’il assouplira plus tard, il les appliquera dès son retour au pays, en 1969. D’un club d’étudiants du Collège royal de Curepipe, il fait le « Club des étudiants militants ». Quelques mois plus tard, c’est la naissance du Mouvement militant mauricien. Il entre en politique, par la petite porte, et affronte immédiatement l’oligarchie au pouvoir que symbolise sir Seewoosagur Ramgoolam, père de l’indépendance mauritienne et de… Navin Ramgoolam. Quelques décennies plus tard, on l’a vu, ce dernier voudra lui barrer la route de l’Hôtel du gouvernement. Bérenger dénonce la corruption dans l’entourage du Premier ministre et s’attaque au « communalisme », cette plaie de la société mauricienne qui dresse les unes contre les autres ethnies, castes et religions.
Le langage neuf et la combativité du MMM séduisent immédiatement les Mauriciens, intellectuels ou ouvriers. La bataille est rude : le gouvernement interdit les syndicats proches du MMM, décrète l’état d’urgence et emprisonne certains dirigeants du parti, dont Bérenger en 1972. Libéré un an plus tard, celui-ci retient la leçon. Ses idées commencent à évoluer. Fini l’extrême gauche idéaliste. Il ne défend plus uniquement les travailleurs, mais la démocratie directe, joue la carte légaliste, n’appelle plus à la grève générale et troque son blouson noir des débuts pour le complet-cravate. Lors des élections générales de 1982, il s’allie – déjà – à Jugnauth, en compagnie d’un troisième larron, Harrish Boodhoo, un enseignant de 35 ans. Ils les remportent haut la main. En fin stratège, Bérenger se place en retrait de la coalition au pouvoir (il n’en est que le numéro trois, derrière ses deux comparses). Il est persuadé qu’il ne sera jamais Premier ministre, que les considérations de race, de couleur, de caste sont insurmontables et qu’il doit se servir de Jugnauth et de Boodhoo comme d’un paravent.
Premier couac : un conflit l’oppose la même année à Kader Bhayat, le ministre du Commerce, dont il est pourtant très proche. Il réclame sa mise à pied. Jugnauth, Premier ministre, refuse. Le pays est en pleine négociation avec le FMI : ce n’est pas le moment, selon lui. Bérenger démissionne donc de son poste de ministre des Finances, abandonne le pouvoir trois mois après l’avoir conquis, au bout d’une lutte de dix ans. Mais il réintègre assez vite son ministère.
Quelques mois plus tard, nouveau clash entre les deux hommes. En mars 1983, Bérenger saborde le gouvernement en emmenant avec lui onze ministres MMM. L’équipe avait pourtant bénéficié, moins d’un an plus tôt, d’un plébiscite inédit dans l’histoire de Maurice. On le soupçonne d’avoir utilisé Jugnauth pour arriver au pouvoir, mais de n’avoir jamais accepté de se soumettre à son autorité. À la fin des années 1980, c’est la traversée du désert. Leader de l’opposition jusqu’en 1987, il est battu lors des élections générales et perd, pour la première fois, son siège de député. La « quarantaine » dure jusqu’en 1991, date à laquelle il remporte les élections grâce à une nouvelle alliance MMM-MSM.
La politique, à Maurice, c’est un peu le jeu des chaises musicales : les alliances se font et se défont, au gré des intérêts des uns et des autres. Seul Jugnauth se maintient. Il reste Premier ministre de 1982 à 1995. Bérenger est ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1994, mais, une nouvelle fois, un conflit l’oppose à Jugnauth : il est démis de ses fonctions… Et ne retrouve le gouvernement qu’en 1995, sans Jugnauth, battu par le travailliste Navin Ramgoolam. Il est vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1997. Un autre conflit, des divergences politiques : nouvelle révocation ! Il enfile son costume de leader de l’opposition jusqu’en septembre 2000. Nouvelle alliance avec le MSM de Jugnauth, nouvelle victoire.
L’accord entre les deux hommes est scellé. Et, pour la première fois, il tiendra jusqu’au bout. Chevelure et fine moustache argentées, Bérenger est marié et père de trois enfants (un garçon et deux filles). La rage de cet homme grand et mince est indestructible. Et son caractère, entier : on le dit volontiers colérique, voire dictatorial. Au terme d’un parcours semé d’embûches, de maladresses et de déceptions, ses amis comme ses adversaires saluent volontiers ses mérites. Oui, Paul Bérenger mérite ce qui lui arrive. On cite les mesures de relance économique en 1982, sa volonté de mettre fin au « communalisme », l’avancement de la démocratie quand il a dirigé le pays, son abnégation… Il a consacré sa vie à la politique.
Sa femme Arline a bien tenté de le ramener à la maison et à la raison : « Dites-lui de s’occuper un peu de sa famille… » Il a choisi de s’occuper de son pays. Il a le pouvoir, mais qu’en fera-t-il ? « Il a démontré qu’il était un grand homme politique », confie l’un de ses amis. Il lui reste à prouver qu’il est un grand homme d’État.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires