« B-Side », la revue qui célèbre les plasticiens afropéens

La revue photographique « The Eyes » consacre son dernier numéro à l’afropéanité et ses œuvres reléguées sur la « Face B » de l’art, celle que l’on montre et que l’on écoute peu.

« Small Axe 1, Steve McQueen for The Face Magazine » de Jazz Grant © Courtesy The Eyes Magazine

« Small Axe 1, Steve McQueen for The Face Magazine » de Jazz Grant © Courtesy The Eyes Magazine

Publié le 6 janvier 2022 Lecture : 3 minutes.

« Contre-hégémonie culturelle », « résistance virtuelle ». Est-ce à une révolution qu’appelle Taous R. Dahmani, historienne de la photographie, en introduction de The Eyes ? Le dernier numéro de cette revue annuelle a en tout cas pour étendards les œuvres trop souvent invisibilisées des Afropéens, les personnes d’ascendance africaine nées ou élevées en Europe.

Clin d’œil au groupe belgo-congolais Zap Mama, inventeur il y a trente ans du concept d’afropéanité, son titre – B-Side – fait aussi et surtout référence à la face du vinyle sur laquelle sont relégués les œuvres et les récits qu’on estime secondaires. À l’ombre des standards ou même rayés de la version officielle… mais finalement plus résilients, selon Johny Pitts, commissaire invité de ce numéro. « C’est le moyen par lequel les communautés noires sont parvenues à maintenir une culture vivante malgré les tentatives répétées de l’Occident de l’annihiler – du commerce transatlantique des esclaves au colonialisme (et peut-être, aujourd’hui, aux algorithmes néolibéraux) », estime l’auteur d’Afropéens. Carnets de voyage au cœur de l’Europe noire.

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Identités diasporiques

« B-Side », The eyes #12, 240 pages, 25€ © The Eyes

« B-Side », The eyes #12, 240 pages, 25€ © The Eyes

Carte blanche a été donnée à ce photographe et écrivain bercé par deux cultures – afro-américaine et blanche britannique – pour investir les 240 pages de la revue lancée en 2013. Filant la métaphore du 33 tours, il clame vouloir y « mettre en musique les identités diasporiques ». Les plasticiens qui ont attiré son regard avisé et celui de la rédaction de The Eyes puisent l’inspiration dans leurs expériences personnelles – « un acte d’affirmation plutôt que d’exhibition », souligne Taous Dahmani.

Avec Tabia Rezaire, l’Afrique règle ses comptes avec l’Occident par textos

La Portugaise Sofia Yala explore ainsi « la dimension morcelée de son identité » angolaise, juxtaposant clichés personnels et documents officiels. Depuis la Suisse, Claudia Ndebelele raconte Biso Bana Ya Poto (« Nous, les enfants congolais d’Europe ») et Silvia Rosi retrace l’itinéraire de ses parents du Togo à l’Italie. On voyage aussi dans le temps, du Londres des années 1960, où les couples mixtes sont immortalisés par le Ghanéen James Barnor, au quartier parisien des Halles dans les années 2000, où l’Algérien Mohamed Bourouissa déconstruit à coups de portraits les stéréotypes qui enferment les jeunes des banlieues françaises.

« Être noir dans un monde blanc »

Johny Pitts envisage avant tout l’afropéanité comme un espace dans lequel la culture noire participe à la formation de l’identité européenne, comme une réussite du multiculturalisme. En somme, « l’antithèse du propos nationaliste, de sa rhétorique du sang et du sol ». Mais il a également souhaité que ce cru de The Eyes, qui rend hommage à des périodiques pionniers comme La Revue noire et Trace magazine, « exprime l’inexprimable : la lutte d’être noir-e dans un monde blanc ».

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Ainsi, la Franco-Guyano-Danoise Tabita Rezaire expédie dans le cosmos les archétypes dressés autour de la femme noire. Et dans sa série « Sorry for real », Occidentaux et Africains règlent leurs comptes par textos.

– « Laissez-moi m’excuser pour le patriarcat impérialiste-blanc-suprémaciste-hétéro et capitaliste », osent les premiers.

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– « Alors, allez-vous arrêter de nous tuer ? », s’indignent les seconds.

Également célébrée dans B-Side, Maud Sulter, plasticienne féministe aux racines écossaises et ghanéennes décédée en 2008, à l’âge de 48 ans, faisait entrer les Africaines par effraction dans l’histoire de l’art européen. N’hésitant pas à éclipser la tête de la comtesse Skawronska, peinte par l’Autrichienne Angelica Kauffman en 1789, à l’aide d’un masque punu. « Cela m’amuse toujours lorsque des gens – généralement des individus blancs d’âge moyen et de la classe moyenne […] – ont l’audace d’avertir les jeunes noir.e.s des dangers de la cancel culture. Mais qui, historiquement, a véritablement annulé qui ? » pointe Pitts.

Ces récits alternatifs se construisent à partir des décombres des empires, des contrecoups du capitalisme

Pour cet explorateur de l’afropéanité, le monde a soif de récits alternatifs et ceux-ci se construisent « à partir des décombres des empires, des contrecoups du capitalisme, de multiples allégeances et de cultures hybrides ». Pitts s’affranchit volontiers du manichéisme, acceptant même son propre paradoxe : celui de présenter des œuvres subversives dans une revue « magnifiquement réalisée » sur papier mat. Un bel objet surtout feuilleté par un public averti, souvent privilégié.

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