Le dernier combat de Lansana Conté

Indifférent aux déchirements de sa majorité et à la dégradation de la situation économique, le chef de l’État, miné par la maladie, persiste dans sa volonté de solliciter un nouveau mandat au mois de décembre.

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

« Curieuse situation que celle de la Guinée aujourd’hui ! D’un côté, il y a un pouvoir déliquescent, miné par la maladie du chef de l’État et les querelles entre ses successeurs potentiels. De l’autre, une opposition qui hésite à s’engager à fond dans la préparation d’une élection présidentielle qu’elle n’a à peu près aucune chance de remporter s’il reste assez de forces à Lansana Conté pour se maintenir dans la course, au mois de décembre. Entre les deux, une armée que les sourdes rivalités entre ses chefs confinent à l’inaction. » Ce diagnostic d’un diplomate en poste à Conakry résume à merveille la vie politique guinéenne.
À moins de trois mois d’une échéance cruciale, tous les ingrédients d’un cocktail explosif sont en effet réunis : un président malade, un camp présidentiel déchiré entre différentes chapelles, une opposition qui ne parvient à s’entendre que sur des revendications préélectorales dont elle sait pertinemment qu’elles ne seront jamais satisfaites… Pour ne rien arranger, tous les indicateurs économiques sont au rouge : inflation galopante, effondrement de la monnaie (le franc guinéen), dégradation rapide du pouvoir d’achat…
Dans ces conditions, il est permis de se demander si le scrutin pourra avoir lieu à la date prévue, en dépit des assurances en ce sens données par Moussa Solano, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation. Au mois d’avril, celui-ci a reçu de son collègue des Finances 800 millions de francs guinéens (350 000 euros) pour procéder à la mise à jour des listes électorales (radiations et inscriptions). Opération très complexe en raison des lacunes de l’état civil. Un mois plus tard, un arrêté ministériel a annoncé la mise en place des commissions administratives de révision. Pourtant, le fichier électoral n’est toujours pas au point. De très nombreux électeurs n’ont pas été recensés, surtout dans l’intérieur du pays. Et une bonne partie des jeunes en âge de voter n’ont pu être inscrits sur les listes, faute de cartes nationales d’identité.
Mais les listes électorales ne sont pas seulement incomplètes, elles fourmillent aussi d’incohérences et d’anomalies. Ainsi, à Boké, bastion du parti au pouvoir et ville natale d’Henriette Conté, l’épouse du chef de l’État, le corps électoral s’est enrichi de cent mille nouveaux électeurs entre 1998 et 2003. À l’inverse, Siguiri, l’un des fiefs d’Alpha Condé en Haute-Guinée, a perdu vingt mille électeurs pendant la même période !
Le vote des Guinéens de l’étranger, qui est l’une des principales revendications de l’opposition, reste très hypothétique. Aux États-Unis, où résident plusieurs dizaines de milliers d’émigrés guinéens, ce n’est que le 27 septembre que l’ambassadeur Rafiou Barry a mis en place la commission administrative de recensement. Or les inscriptions sur les listes seront closes le 10 octobre ! Combien d’électeurs auront le temps matériel de s’inscrire ?
Mais la plus grande incertitude est ailleurs. La consultation risque en effet de ne pas avoir lieu, faute de… candidats.
Premier à s’être déclaré, Lansana Conté a été investi le 14 septembre par le Parti de l’unité et du progrès (PUP). « Je ne peux pas faire campagne, j’ai mal aux pieds. C’est vous qui m’avez désigné, alors débrouillez-vous », a-t-il lancé aux membres de la Convention nationale qui venaient de l’adouber. Il ne risque certes pas de proposer à ses compatriotes un quelconque projet de société. Pourtant, sa candidature prive la consultation de tout suspense. Le président sortant conservera sans problème un fauteuil… qu’il n’a plus la capacité physique d’occuper. Militaire dans l’âme, on l’imagine difficilement accepter de perdre le pouvoir par les urnes. Et même d’y renoncer lui-même.
Il n’empêche que la question de sa succession est plus que jamais d’actualité. Dans son discours d’ouverture de la session budgétaire, le 25 septembre, Aboubacar Somparé, le président de l’Assemblée nationale – et dauphin constitutionnel -, s’est exprimé comme un présidentiable. Les grandes lignes du programme qu’il a exposé devant les députés marquent une véritable rupture avec le passé. Il refuse, par exemple, que la majorité « se disqualifie par un silence coupable et un soutien aveugle », appelle le gouvernement « à résorber la crise économique qui frappe le pays de plein fouet » et « à mettre fin aux pratiques de détournement des deniers publics, de racket, de gabegie ». Une preuve supplémentaire des tensions qui agitent la majorité présidentielle.
Celle-ci est aujourd’hui irrémédiablement scindée en deux camps. Le premier a pour chefs de file Somparé et Sékou Konaté, le secrétaire général du PUP, soutenus notamment par Lamine Sidimé, le Premier ministre, et Fodé Bangoura, le ministre secrétaire général à la présidence. Le second est dirigé par Fodé Soumah, « parrain national du PUP » et vice-gouverneur de la Banque centrale, avec l’aide de M’bemba Bangoura, le tonitruant mais très influent gouverneur de Conakry, et de plusieurs structures du parti (jeunes, femmes).
En face, l’unité de l’opposition n’est que de façade. Elle manifeste une certaine combativité, mais le pouvoir ne lui laisse qu’une marge de manoeuvre réduite. De manière générale, elle reste fort sceptique quant à la volonté du gouvernent de conduire un vrai « dialogue politique », même si un comité interministériel a été spécialement créé à cet effet, le 22 juillet. Le 23 septembre, ledit comité a autorisé les partis politiques à faire librement campagne dans l’ensemble du pays et leur a garanti l’accès aux médias publics.
Quant aux partenaires étrangers, ils attendent. Avant d’apporter leur soutien financier au processus électoral, ils veulent être convaincus de la volonté de transparence du gouvernement. Au cours de la première semaine du mois d’octobre, l’Union européenne devait plancher sur l’état d’avancement du dialogue politique. On ne sait comment elle a reçu l’avertissement lancé par Conté, le 14 septembre, à l’ensemble des bailleurs de fonds : « Si vous voulez nous imposer des conditions, gardez votre argent. »

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