La parole est à la défense

Écroués à la Maison d’arrêt de Moroni, les trois hommes accusés d’avoir fomenté un coup d’État fin septembre se renvoient la responsabilité de l’opération.

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

Ce que le gouvernement de l’Union des Comores appelle pudiquement « une opération de déstabilisation conçue par un groupe d’aventuriers étrangers et nationaux, dont l’avocat Saïd Larifou », dans un communiqué daté du 25 septembre, n’est ni plus ni moins une tentative de putsch. Certes, ce n’est jamais que la trentième depuis l’indépendance du pays, en 1975. Reste que celle-ci, sans préjuger de la véracité des faits reprochés, apparaît comme particulièrement pathétique.

Les principaux acteurs
Trois hommes sont aujourd’hui entre les mains de la justice. Un quatrième, le journaliste français indépendant Mourad Aït Habbouche, curieusement inculpé alors que tout porte à croire qu’il n’a fait qu’exercer son métier, a pu quitter l’archipel. Poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’État, tentative de déstabilisation et incitation à un mouvement insurrectionnel, l’avocat franco-comorien Saïd Larifou, son conseiller en communication Philippe Verdon et son compatriote français Pascal Lupart ont été déférés au parquet et écroués à la Maison d’arrêt de Moroni.
Me Saïd Larifou, président du Rassemblement pour l’initiative et le développement de la jeunesse avertie (RIDJA), s’est fait connaître en se plaçant en troisième position lors de sa première participation à un scrutin présidentiel, en février 2002. Depuis, il combat le régime en place, privilégiant l’action pacifique et non violente sans toutefois faire mystère de sa volonté de renverser le président Assoumani Azali.
Philippe Verdon est présenté par les autorités de Moroni comme un mercenaire. Il s’en défend et argue qu’il a même été réformé du service militaire pour raisons médicales. Le célébrissime Bob Denard avoue l’avoir rencontré à plusieurs reprises, tout en précisant que Verdon est plus homme d’affaires que soldat. Toujours est-il que les enquêteurs relèvent de nombreuses contradictions lors de ses interrogatoires, et les confrontations avec ses coïnculpés compliquent le travail de ses avocats.
Pascal Lupart, gérant de société à Bordeaux (France), qualifié à tort de mercenaire, s’est trouvé embarqué dans cette rocambolesque histoire par Verdon. Celui-ci l’aurait convaincu des avantages qu’il y avait à se trouver aux côtés d’un homme politique africain à la veille de sa prise de pouvoir. Lupart ne connaît rien à l’Afrique. Ses seuls séjours sur le continent, jusqu’à toute cette affaire : des vacances au Maroc et au Sénégal.

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Les faits
À la mi-août, le prix du riz augmente de 50 francs comoriens afin, dit-on, de financer la construction d’une université à Moroni. Pour dénoncer cette atteinte au pouvoir d’achat de la population, Saïd Larifou et son parti, le RIDJA, décident d’organiser, la semaine du 15 au 21 septembre, des « marches blanches » – autrement dit pacifiques – dans plusieurs villes de l’archipel. Ils annoncent la présence d’observateurs étrangers. « Verdon, confie d’ailleurs Larifou aux enquêteurs, m’a informé qu’il voulait m’aider en tant qu’observateur. »
Se présentant comme émissaire de la France, Philippe Verdon contacte le commandant Ayouba Combo, numéro trois de l’état-major comorien et rare haut gradé revendiquant un long compagnonnage avec Bob Denard. Verdon lui parle, au nom d’amis communs, sans jamais citer l’ex-mercenaire, de la nécessité de changer de régime. « Comment, et que proposez-vous ? » Verdon imagine un scénario à la malgache : entretien d’une pression populaire avec le soutien de la communauté internationale, puis celui de l’armée. Précision : Verdon vit entre Madagascar, où il a des affaires, et la France. Il met en place ses pions. La communauté internationale ? Quelques Blancs en tête des marches, aux côtés de Saïd Larifou. Il propose ce rôle à Aït Habbouche, qui décline : « Je suis là pour couvrir un événement, pas pour le créer. Je suis journaliste et vous n’avez pas à m’indiquer la place où je dois être. » Lupart, lui, accepte : « Je n’avais pas d’autre choix, c’est Philippe Verdon qui devait me rembourser mon billet d’avion et mes frais de séjour. » Me Larifou se défend, pour sa part, d’avoir été mis au parfum. Quant au commandant Combo, Larifou assure qu’il n’a jamais été question de prendre langue avec cet officier qu’il ne connaît pas. Aux enquêteurs, l’avocat affirme que Verdon doit s’expliquer sur ses agissements…

Où en est-on aujourd’hui ?
Légaliste, Larifou assure que sa démarche est politique et qu’il n’a jamais été question de transformer les fameuses marches en mouvement insurrectionnel (passible de cinq à dix ans de réclusion selon le code pénal comorien). L’évolution de l’enquête a montré que Verdon avait été lâché par ses coïnculpés. Mais le plus troublant, à l’heure où ces lignes sont rédigées, c’est que la pièce à conviction majeure – l’enregistrement des propos tenus par Verdon à Ayouba Combo – n’a toujours pas été versée au dossier d’accusation. Pour l’instant, c’est du pain bénit pour l’avocat de Philippe Verdon, Me Alexandre Varaut, connu pour avoir fait partie de l’équipe de défense d’un certain… Bob Denard.

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