Inventaire à l’arsenal

Combien d’armes légères en circulation en Afrique subsaharienne ? Pas plus de 30 millions, estiment les responsables de Small Arms Survey, à Genève. Soit trois fois moins qu’on ne l’imaginait.

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

« Même si la prolifération des armes légères en Afrique a été particulièrement nocive et qu’elle a contribué à l’implosion de plusieurs États, jetant dans la tourmente plusieurs dizaines de millions de personnes, la situation est aujourd’hui moins dramatique qu’on pouvait le craindre. L’an dernier, une série d’accords de paix ont été conclus. La plupart incluaient des programmes de désarmement qui ont permis aux gouvernements de prendre le contrôle d’importantes quantités d’armes légères. Non seulement les conflits sont désormais moins nombreux, ce qui réduit d’autant la demande, mais on découvre que le nombre d’armes légères en circulation est moins important qu’on ne l’imaginait. »
Telle est la conclusion du troisième rapport annuel sur les armes légères dans le monde (Small Arms Survey 2003) rendu public fin septembre, à Nairobi. Une conclusion encourageante, sinon inattendue, alors que les bruits de bottes résonnent toujours du côté de Bouaké et que les images insoutenables de jeunes combattants libériens brandissant leurs kalachnikovs sur les ponts de Monrovia sont encore dans toutes les mémoires. Lancé en 1999, le projet de recherche Small Arms Survey est financé par douze gouvernements et hébergé dans les locaux de l’Institut supérieur des études internationales, à Genève. Le rapport qu’il publie chaque année constitue la meilleure source d’informations sur la production, les transferts et la dissémination de ce type d’armement.
Bien sûr, les statistiques sont sujettes à caution. Parce que les gouvernements répugnent à fournir des informations sur les stocks dont ils disposent. Et parce qu’ils sont souvent incapables d’évaluer avec précision le nombre d’armes individuelles détenues par des civils, dans leur propre pays. L’existence, ici et là, d’une production informelle et l’opacité de sa commercialisation achèvent de compliquer la tâche des spécialistes. En l’absence de chiffres fiables, la tendance générale est à la surestimation du nombre des armes légères en circulation, surtout dans les régions engluées dans d’interminables conflits. Les chercheurs du Small Arms Survey sont convaincus que le chiffre de 100 millions généralement avancé pour l’Afrique subsaharienne n’a qu’un lointain rapport avec la réalité.
« En fait, dans les quarante-quatre pays subsahariens, ce chiffre ne dépasse probablement pas 30 millions, estime le rapport. C’est assez pour entretenir des combats dans de nombreuses parties du continent et accroître la violence et la criminalité dans beaucoup d’autres, mais ce n’est pas suffisant pour considérer que la situation est désespérée. » Selon Peter Batchelor, le directeur du projet, « cette nouvelle estimation montre que le problème peut être résolu par des moyens classiques : adoption de législations plus sévères, meilleure application des textes existants, systématisation de la destruction des stocks… »
En Afrique de l’Ouest, où les guerres civiles ont été très nombreuses pendant les années 1990, le chiffre de 7 millions à 8 millions d’armes légères hors contrôle gouvernemental a souvent été avancé, y compris par les Nations unies. Or, selon le rapport, le nombre total des rebelles pendant la période la plus troublée n’a jamais dépassé 47 000. Et ils disposaient, au maximum, de 80 000 armes légères. « La surestimation des effectifs des rébellions a créé une certaine confusion, relèvent les auteurs. À la fin des conflits, beaucoup de non-combattants et de simples sympathisants se manifestent pour bénéficier des programmes de démobilisation financés par la communauté internationale. »
Au Nigeria (120 millions d’habitants), la criminalité et les violences politiques sont récurrentes. On y dénombre environ 1 million d’armes à feu détenues à titre privé. Pourtant, le ratio armes/habitants n’est que de 0,9 pour 100, soit beaucoup moins que celui de l’Afrique du Sud (11 pour 100). Car le pays le plus riche du continent est aussi le plus armé : 4,3 millions d’armes individuelles déclarées et environ 300 000 autres non déclarées. Dans des pays comme le Kenya, la Tanzanie ou l’Ouganda, on en recense entre 500 000 et 1 million, mais l’augmentation des stocks enregistrée ces dernières années est avant tout la conséquence de la forte expansion des armées régulières. En Ouganda, les effectifs des forces armées, milices gouvernementales incluses, ont été, selon l’organisation genevoise, multipliés par quinze ou vingt en une décennie.
Si la paix finit par revenir dans les pays en proie à d’interminables guerres civiles (comme en RD Congo, où les soldats des Nations unies commencent à récupérer les engins de terreur détenus, dans la province de l’Ituri, par les milices hema et lendu) et si les chefs de guerre style Charles Taylor sont durablement écartés du paysage, alors l’Afrique subsaharienne peut espérer devenir le continent le plus sûr du monde. On n’y recense en effet qu’une arme à feu pour vingt habitants. Soit beaucoup moins qu’en Europe occidentale (en France et en Allemagne, le rapport est environ d’un pour trois) et qu’aux États-Unis, qui restent les champions du monde toutes catégories : entre 238 millions et 276 millions d’armes en circulation pour une population de 287 millions d’habitants.

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