Et si les États-Unis rentraient chez eux ?

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

Les États-Unis aiment à se désigner comme « la puissance indispensable » (au reste du monde), et les Américains – qui se nomment ainsi un peu abusivement – pensent que Dieu a fait d’eux une « nation d’exception ».
De fait, au cours du XXe siècle, ils ont joué un rôle de premier plan et, le plus souvent, positif.
Certes, ils ont commis des erreurs et des excès, sont intervenus à tort et à travers, surtout en Amérique latine, leur zone d’influence traditionnelle, mais aussi en Iran ou au Vietnam. Mais ils ont été, la plupart du temps, bien gouvernés et, sauf exception, ne sont sortis militairement de leurs frontières que lorsqu’ils ont été appelés au secours.
C’est ainsi qu’ils ont, à partir de 1942, aidé l’Europe à se libérer des tentacules d’Hitler et que, provoqués à Pearl Harbor, ils ont chassé les armées japonaises des pays d’Asie qu’elles avaient conquis.
La guerre achevée, ils ont eu l’idée généreuse du plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe, dévastée, et celle, géniale, du containment (« endiguement ») de Staline (et de ses successeurs), qui leur a permis de gagner la guerre froide en quarante ans, sans déflagration nucléaire.
Ils ont été à la pointe de la recherche scientifique et ont donné plus que leur part au progrès technique, dont nous bénéficions tous. Leur cinéma a conquis et changé le monde ; leurs écrivains ont renouvelé la littérature, et leurs autres artistes marqué la création mondiale.
On a pu dire du XXe siècle qu’il a été américain : ils l’ont dominé économiquement et culturellement, mais, n’étant pas (encore) l’unique hyperpuissance, ils n’ont pas abusé de leur force au point de susciter le rejet.

Hélas ! ayant gagné la guerre froide en 1990, ils ont élu, en novembre 2000, par accident, un étrange président qui s’est entouré d’un attelage de néoconservateurs « allumés » qui le dirigent comme le jockey le fait de son cheval.
Ces individus ont pris le pouvoir à la tête de l’hyperpuissance en janvier 2001, au début du XXIe siècle. Avec l’aide inattendue d’Oussama Ben Laden, le 11 septembre 2001, ils ont fait de leur pays, en moins de trois ans, à la fois le gendarme du monde et… son plus grand fauteur de troubles.
Alors qu’au XXe siècle, se suffisant à eux-mêmes, ils inclinaient à l’isolationnisme et se faisaient prier pour intervenir à l’étranger, les voici unilatéralistes, en première ligne sur tous les fronts : diplomatique, militaire, sécuritaire, économique, financier…
Ils voient des ennemis partout et entendent lutter contre eux en utilisant tous les moyens, les leurs et les nôtres, ceux qui sont permis et ceux qui ne le sont pas.
Au risque de devenir une nuisance mondiale plus grande que celle des ennemis qu’ils prétendent combattre.
Au point qu’on en arrive à se poser légitimement la grave question que voici : le monde ne se porterait-il pas mieux, ses problèmes ne seraient-ils pas plus vite et mieux résolus si l’Amérique intervenait beaucoup moins et redevenait isolationniste ? Si elle rentrait chez elle, en somme.
Imaginons-le et voyons ce qui se passerait si l’Amérique, celle des Bush, Rumsfeld, Wolfowitz and Co, s’occupait un peu moins de régenter le monde.

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L’Amérique latine respirerait. Ce demi-continent a toujours ressenti le poids de la présence yankee et souffert des interventions musclées des diplomates, des militaires et des policiers du grand « frère » du Nord. Si les États-Unis se faisaient plus discrets, les Latinos auraient l’impression d’une seconde indépendance… puis se mettraient à aimer les États-Unis, à désirer leur coopération.
L’Afrique ? C’est sur ce continent qu’un éventuel repli américain aurait le moins d’effet : les États-Unis n’y font presque rien.
Si George W. Bush y a passé quelques heures, c’est pour effacer les traces de Bill Clinton et grappiller quelques voix d’Africains-Américains. Mais, très visiblement, il avait l’esprit ailleurs, et tout le monde sait que les promesses qu’il y a faites ne seront pas plus tenues que celles de son prédécesseur.
Son pays n’a de soldats de la paix ni au Liberia, ni en RDC, ni dans aucun théâtre d’affrontements. Seulement à… Djibouti, pour défendre le Moyen-Orient pétrolier des incursions d’el-Qaïda.
Le sida, la malaria, le sous-développement économique, l’environnement ? D’autres que le gouvernement américain s’en occuperont. L’aide économique ? L’essentiel va à l’Égypte, pour… protéger Israël.

L’Europe ? Il ne fait aucun doute qu’elle se porterait mieux désormais sans l’intrusion américaine dans ses affaires : Tony Blair et José María Aznar n’auraient d’autre choix que de se faire une place en Europe par leurs seuls moyens. Idem pour la Pologne et les neuf autres pays qui s’apprêtent à rejoindre l’Union européenne et auxquels les États-Unis s’emploient à faire jouer le (mauvais) rôle d’un cheval de Troie.
L’Asie, elle, a fondé sa prospérité sur l’accès facile (et rémunérateur) offert par le marché américain à ses produits. Mais le Japon et la Corée du Sud voient leur fierté blessée par la présence, devenue permanente, de troupes américaines sur leur sol. Et la Chine souffre de l’appui américain, illimité dans le temps, à Taiwan.
Qui doute que les Asiatiques ne viendraient plus facilement à bout de l’irrédentisme de la Corée du Nord s’il n’était aiguillonné en permanence par les provocations et la diplomatie en dents de scie américaines ?
Restent l’Inde et le Pakistan : là encore, on peut penser que, sans les États-Unis, ces deux pays acquerraient vite la « sagesse nucléaire », à l’instar de la Chine.

Aussi étonnant que cela puisse être de prime abord, c’est au Moyen-Orient, où les Américains sont omniprésents depuis plus d’un demi-siècle, que leur absence serait le plus bénéfique.
Ceux des Arabes et des Européens qui, année après année, les appellent à intervenir davantage se trompent lourdement, à mon avis, car c’est la présence américaine aux côtés d’Israël – et de l’Arabie saoudite ! – qui rend les problèmes insolubles ou, à tout le moins, reporte leur solution aux calendes grecques.
Si les problèmes continuent de se poser de manière si aiguë, c’est que les États-Unis, qui ont tous les moyens de les résoudre, n’ont pas su, ou pas voulu, le faire. À mon avis, ces problèmes seront aisément résolus sans eux, dès qu’ils ne s’en mêleront plus.
Si les États-Unis ne soutenaient plus Israël de la manière excessive dont le fait George W. Bush, s’ils ne l’aidaient pas autant, diplomatiquement et financièrement, ce pays ne disparaîtrait pas pour autant. Mais ses dirigeants perdraient de leur rigidité et devraient renoncer à leurs exigences démesurées. Ils comprendraient alors que leur intérêt n’est pas d’occuper la Cisjordanie et le Golan pour y installer, par dizaines de milliers, des colons qui devront en partir un jour ou l’autre, ni de menacer le Liban, ni, encore moins, de semer la haine dans les coeurs de leurs voisins, jeunes et vieux, hommes et femmes.
Croyez-moi, sans les États-Unis et leur mauvaise politique au Moyen-Orient – bien plus mauvaise encore depuis Bush -, une paix équitable entre Juifs et Arabes serait intervenue depuis longtemps.

Je ne suis pas antiaméricain, loin de là, et ne dis donc pas aux Américains Go home. Je leur conseille, dans leur intérêt et dans le nôtre, de faire l’effort de se comporter comme s’ils n’étaient pas l’hyperpuissance qu’ils sont devenus, mais l’un des grands pays de la planète. Ils ont plus de moyens, surtout militaires, que la Russie ou la Chine, la France ou l’Allemagne, le Japon ou l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud. Mais pas davantage de droits.
Et aucun à régenter nos vies quotidiennes, à nous intimer l’ordre d’être avec eux, faute de quoi nous serions accusés d’être avec les terroristes.
Qu’ils s’occupent davantage de leur monnaie et de leurs autres problèmes, qui sont immenses, et moins des nôtres !
Qu’ils ne prétendent pas être au-dessus des lois internationales et cessent de faire passer les intérêts de 300 millions d’Américains avant ceux de 6 milliards d’êtres humains, et nous aurons alors – de nouveau – de l’amitié et du respect pour eux.

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