Coetzee, l’antihéraut africain

Publié le 6 octobre 2003 Lecture : 2 minutes.

Le Sud-Africain John M. Coetzee (prononcer Coeutzi), 63 ans, s’est vu attribuer le prix Nobel de littérature 2003, le 2 octobre. « C’est magnifique, je suis vraiment très heureux, c’est un très grand écrivain », a commenté, depuis New York, Breyten Breytenbach, collègue et compatriote, résumant ainsi l’opinion universelle. Cette année, et ce n’est pas toujours le cas, le choix de l’académie suédoise rencontre un accueil particulièrement favorable, au-delà des commentaires convenus. « Même si l’Afrique du Sud est un pays à part, Coetzee est tout de même africain, et nous sommes fiers de lui », ajoute le Zimbabwéen Chenjeraï Hove.

Peu de gens savent qui est réellement cet homme discret, silencieux. « Il récuse l’expression « écrivain sud-africain blanc », explique Abdourahman Waberi, qui eut l’occasion de traduire les propos de Coetzee lors d’un voyage à Djibouti en 1997. Il préfère dire qu’il est « d’origine occidentale, mais vivant en Afrique ». Ce n’est d’ailleurs plus très vrai, puisque l’auteur habite en Australie depuis 2002. On peut d’ailleurs se demander pourquoi. Aurait-il été blessé de l’accueil plus que froid réservé à son roman Disgrâce (qui reçut le Booker Prize 1999), de la part de dirigeants sud-africains se sentant brusquement attaqués dans leur incapacité à résoudre des problèmes cruciaux ?
« Je ne suis pas le héraut d’une communauté, ni quoi que ce soit de ce genre. Je suis quelqu’un qui ressent des envies de liberté (comme tous les prisonniers) et construit des représentations d’un peuple qui aurait brisé ses chaînes et tournerait sa face vers le soleil. » Ainsi se définissait-il lui-même en 2002, lors de la sortie de son livre presque autobiographique, Vers l’âge d’homme (voir J.A.I. n° 2210). Il faut comprendre cette phrase dans ce qu’elle a d’allégorique, donnant une clé essentielle pour apprécier l’ensemble de l’oeuvre de cet auteur secret et ultrasensible, au style parfois si froid. Coetzee n’est pas un analyste direct et réaliste des conflits de l’apartheid, comme Nadine Gordimer, Prix Nobel 1991. « Il a préféré sonder en profondeur la politique sud-africaine, explorer les véritables soubassements de l’identité, de l’angoisse individuelle, de l’histoire du pays et de sa mémoire. Pour moi, il est paradoxalement le plus grand écrivain politique de notre pays », estime Breytenbach.
Les livres de Coetzee témoignent tous d’influences littéraires différentes, l’ensemble formant un tout cohérent, indissociable et original. C’est d’ailleurs, de leur propre aveu, ce qui a séduit les jurés de l’académie Nobel. Les personnages de Coetzee explorent leurs maigres possibilités de survie individuelle dans des mondes fermés, où le pouvoir a détruit la cohérence sociale et où chacun se retrouve à soliloquer, dans l’attente d’on ne sait plus quoi. On pense évidemment à Samuel Beckett et à ses magnifiques huis clos.

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