Vacance à la ferme

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

En redistribuant la terre aux paysans noirs spoliés de leurs droits par le régime colonial, Robert Mugabe prétendait répondre à des impératifs de justice sociale. Mais, dès le milieu des années 1990, ce président en mal de popularité du fait des mauvais résultats économiques a surtout utilisé le dossier de la réforme agraire pour en faire l’instrument principal de sa survie politique. La situation était au point mort depuis l’indépendance en 1980. Six mille fermiers blancs étaient toujours installés sur les meilleures terres du pays tandis que près de 700 000 agriculteurs noirs étaient confinés sur les terres dites « communales », en propriété collective et aux sols souvent appauvris. En 1997, Mugabe annonça donc un programme d’expropriations et, en février 2000, il donna son feu vert aux occupations de terres par la force.
Mais, « on ne remplace pas instantanément 4 000 fermiers blancs performants par 4 000 fermiers noirs non formés », souligne Daniel Compagnon, professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et spécialiste du Zimbabwe. Il ne suffit pas de régler la question de l’accès à la terre, il faut aussi créer les conditions d’une production viable pour les petits producteurs. Or le gouvernement « n’avait pas la capacité technique pour encadrer le processus de redistribution. Ce ne sont pas les terres qui coûtent cher, mais le reste : il faut diviser les domaines en lots plus petits, tracer des routes, creuser des forages… Pour assurer le développement local, il faut construire des structures villageoises. Aujourd’hui, les paysans réinstallés [plus de 200 000 selon le gouvernement] crèvent de faim. » Faute de moyens et dans l’attente de l’aide promise par l’État, ces « nouveaux fermiers » se contentent en effet de pratiquer une agriculture de subsistance sur les riches sols des fermes commerciales où les jachères se multiplient. En outre, très peu de titres de propriété ont été délivrés aux nouveaux occupants. Ceux-ci ne peuvent donc se tourner vers les banques pour obtenir des crédits. Le secteur bancaire est d’ailleurs menacé de pertes gigantesques, car les fermiers blancs, ruinés, ne peuvent plus honorer leurs emprunts. Nombre d’anciens ouvriers agricoles noirs se retrouvent également sans emploi et viennent grossir les rangs des miséreux aux abords des villes.
L’agriculture, qui faisait vivre des centaines d’entreprises en amont et en aval et produisait plus de 40 % des recettes d’exportation (contre 20 % aujourd’hui, selon les estimations), est sinistrée. Les surfaces cultivées ainsi que le rendement par hectare ont considérablement diminué. Premier secteur pourvoyeur de devises, la production de tabac n’a cessé de chuter depuis 2000, enregistrant une baisse spectaculaire de 45 % entre 2002 et 2003. Troisième producteur mondial en 2000 avec 237 000 tonnes, le Zimbabwe est passé au dixième rang en 2003 avec 80 000 tonnes. La récolte de maïs, essentiellement assurée par des fermes commerciales – donc blanches – s’est également effondrée de moitié (il y avait 4 500 fermes blanches il y a quatre ans contre moins de 500 aujourd’hui). Longtemps fournisseur de céréales pour les pays voisins, le Zimbabwe a dû faire appel à l’aide internationale pour éviter la famine qui menaçait la moitié de ses 11,5 millions d’habitants. Si la production agricole de 2004 devrait être supérieure à celle de l’année passée, le pays ne retrouvera pas son autosuffisance de sitôt, contrairement à ce qu’a affirmé, fin juillet, le gouvernement. Harare a estimé que, désormais, le pays n’avait plus besoin d’aide alimentaire. Cela n’a fait que conforter l’inquiétude des organisations internationales, qui craignent de voir le pays de nouveau frappé de pénurie alimentaire dans les prochains mois. Alors que les autorités annoncent une récolte céréalière de 2,4 millions de tonnes, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que la production sera moitié moindre.

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