Un certain Ernesto

Carnets de voyage, de Walter Salles (sortie à Paris le 8 septembre)

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

À quoi ressemble un révolutionnaire avant de devenir révolutionnaire ? C’est avec cette question en tête que le spectateur va voir ces Carnets de voyage qui relatent un épisode très connu de la vie de l’icône des contestataires de gauche : le périple d’Ernesto Guevara, le futur Che, à travers l’Amérique latine. Un voyage effectué en 1952 sur une vieille moto, par celui qui était encore un étudiant en médecine de 23 ans, en compagnie de son ami Alberto Granado. Le futur lieutenant de Fidel Castro a raconté cette aventure dans son ouvrage culte, Diarios de Motocicleta. Son compagnon de route y fait aussi allusion dans ses Mémoires. Ces deux livres ont directement inspiré le scénario du film.
Partis de Buenos Aires sur l’antique Norton 500 d’Alberto, les deux jeunes Argentins issus de la bourgeoisie locale vont parcourir en moins d’un an plus de 10 000 kilomètres. Leur vie en sera bouleversée. Après avoir sillonné les vastes étendues du sud de leur pays, où Ernesto rencontre pour la dernière fois sa « fiancée », une jeune fille bien comme il faut qui n’aura pas la patience de l’attendre, nos deux apprentis explorateurs traversent les Andes jusqu’au Chili. Puis ils rejoignent le Pérou, avant de séjourner un long moment dans une léproserie au coeur de l’Amazonie, dernière étape avant le retour au pays via le Venezuela.
Contre toute attente, Carnets de voyage, ne relève pas du genre road movie. À travers le récit de ce voyage d’initiation, le réalisateur brésilien Walter Salles entend avant tout relater la transformation psychologique de ses héros. Et en premier lieu celle d’Ernesto. Les moments forts du film ne se limitent pas aux mésaventures des motards qui, de panne en panne et de rencontres en rencontres, accumulent les expériences périlleuses ou inattendues. L’accent est mis sur des épisodes instructifs comme la rencontre de travailleurs miséreux dans les mines de cuivre des Andes ou, surtout, sur le « stage » qu’effectue Ernesto, déjà spécialisé dans ce domaine, chez les lépreux de San Pablo, au Pérou. C’est là, suggère-t-on, qu’au contact d’hommes frappés par la maladie et l’exclusion sociale, le futur Che – qui a laissé derrière lui son passé de nanti – voit mûrir sa conscience politique. Quelques années avant la rencontre décisive avec des révolutionnaires cubains au Venezuela…
Magnifiquement filmé, joué par deux excellents acteurs, monté de façon efficace, non dénué d’humour, Carnets de voyage semble avoir tout pour plaire. Il a d’ailleurs remporté un triomphe public lors de sa présentation au Festival de Cannes et il est probable que sa sortie en salles le transformera en succès. Pourtant, on peut aussi se sentir frustré, voire floué, après avoir vu un tel film, tout en reconnaissant qu’il n’est jamais ennuyeux.
L’évidence du parcours initiatique d’un jeune médecin qui, ayant déjà la vocation de secourir son prochain, découvre l’ampleur des inégalités sociales et des injustices de l’Amérique latine est des plus gênantes. Un personnage si peu contradictoire et quasi « sanctifié » perd beaucoup d’épaisseur. À tel point, d’ailleurs, que si l’on ne connaissait pas la suite de l’histoire, on pourrait croire que le futur Che était plus vraisemblablement Alberto qu’Ernesto, trop naïf à bien des égards pour connaître un destin grandiose. La meilleure des hagiographies est toujours moins convaincante que le plus banal des films « à hauteur d’homme ». Voilà pourquoi, pour qui voudrait saisir la personnalité du Che, il faut espérer que les prochains films qui seront consacrés au guérillero martyr – on en annonce deux, signés Steven Soderbergh et Terrence Malik – seront tout aussi distrayants, mais moins simplistes.

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