Pékin divise l’Occident

Faut-il lever l’embargo sur les ventes d’armes décrété en 1989 contre la Chine ? Bruxelles y est plutôt favorable. Washington s’y oppose fermement.

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Et si le centre de gravité des malentendus transatlantiques se déplaçait de l’Irak vers l’Asie ? À en croire l’administration américaine, le « grand jeu » a commencé. La partie devrait durer plusieurs mois, et peut-être se dénouer d’ici à décembre, avant la tenue d’un sommet sino-européen.
Le « grand jeu » ? C’est la bataille de l’embargo sur les ventes d’armes décrété par les Occidentaux contre Pékin en 1989 en représailles à l’écrasement de l’insurrection de Tienanmen. Les États-Unis veulent maintenir cet embargo. Les Européens sont de plus en plus tentés de le lever. Les premiers estiment que son abandon remettrait en cause l’équilibre stratégique mondial et qu’en Asie il placerait l’île de Taiwan dans une situation particulièrement périlleuse (et, avec elle, les forces américaines censées la protéger des visées du grand frère chinois). Les seconds jugent que l’embargo ne sert plus à rien et que sa levée ne pourrait que favoriser l’ouverture économique de la Chine. Des arguments frappés au coin du bon sens (commercial) et des intérêts diplomatiques, certains allant jusqu’à évoquer la nécessité de faire contrepoids à l’hégémonie américaine. Chris Patten, le commissaire européen aux Relations extérieures, a ainsi reconnu que la Chine « a une vision multipolaire du monde qui convient plutôt bien à l’Europe ».
Berlin et Paris se montrent les plus chauds partisans de la suppression de l’embargo. En janvier dernier, lors de la visite en France du président chinois Hu Jintao, Jacques Chirac avait déclaré que son maintien « n’avait plus aucun sens », relevant au passage que l’Occident vend des armes à des pays qui sont loin d’être des modèles de vertu démocratique. Au sein de l’Union européenne (UE), s’il n’est pas ouvertement question de lever l’embargo, on se dirige progressivement vers cette solution. En mars, Javier Solana, le haut représentant de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), a invoqué la nécessité de « résoudre » le problème. Pudique langage, relayé plus abruptement par le Premier ministre néerlandais Jan Balkenende. Les Pays-Bas, jusque-là réticents, ne peuvent plus s’opposer à la levée de l’embargo, a-t-il déclaré en mai, car « cela ne serait pas bon pour nos relations économiques avec la Chine ». Reste à convaincre la Suède, le Danemark et plusieurs des États qui ont intégré l’UE en mai et restent très proches des Américains. Allemands et Français s’y emploient avec ardeur. Il est vrai que la position de Washington a… du plomb dans l’aile ! La forte croissance de l’économie chinoise et les ambitions commerciales de l’UE y sont pour beaucoup.
Même si, côté européen, on jure qu’on ne fera rien de nature à modifier l’équilibre stratégique en Asie, le Pentagone se montre dubitatif : depuis 2000, Pékin est le premier importateur mondial d’armement, et son budget Défense (de 50 à 70 milliards de dollars), le place au troisième rang, derrière les États-Unis et la Russie. Surtout, Washington redoute un « effet boule de neige » : l’acquisition par la Chine de nouvelles technologies inciterait d’autres pays, qui jusque-là faisaient preuve de retenue, à livrer des matériels sensibles et des systèmes de détection de plus en plus performants pour remporter des marchés.
Les États-Unis luttent donc pied à pied contre de telles initiatives. Ils ont bloqué la vente à Pékin d’un système de radar tchèque et israélien (voir J.A.I. n° 2277), et auraient menacé leurs alliés de l’Otan de ne plus leur livrer de nouvelles technologies militaires s’ils levaient l’embargo. Mais ils sont de moins en moins entendus. La Chine a déjà recours à une technologie russe pour ses sous-marins à propulsion Diesel, et cela fait plusieurs années qu’Israël livre à Pékin des armes meurtrières achetées aux États-Unis ou développées en partenariat avec eux. Ainsi les avions de chasse chinois sont-ils équipés de missiles Python 3 à repère de chaleur sur le modèle du Sidewinder américain. Enfin, les Chinois participent au programme Galilée d’observation par satellite, lancé par l’UE. Après des discussions houleuses avec Washington, les Européens leur ont finalement refusé l’accès à la partie militaire du projet. Mais même le Royaume-Uni, qui développe ses relations commerciales avec la Chine, se laisse attendrir au sujet de l’embargo. Perfide Albion !

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